Ces trois phrases dans l’ombre ecrites

Sur les trois pages de la nuit.

– O vieux cromlech de la Bretagne,

Qu’on evite comme un recif,

Qu’ecris-tu donc sur la montagne?

– Nuit! repond le cromlech pensif.

– Archipel ou la vague fume,

Quel mot jettes-tu dans la brume?

– Mort! dit la roche a l’alcyon.

– Pleiades qui percez nos voiles,

Qu’est-ce que disent vos etoiles?

– Dieu! dit la constellation.

C’est, o noirs temoins de l’espace,

Dans trois langues le meme mot!

Tout ce qui s’obscurcit, vit, passe,

S’effeuille et meurt, tombe la-haut.

Nous faisons tous la meme course.

Etre abime, c’est etre source.

Le crepe de la nuit en deuil,

La pierre de la tombe obscure,

Le rayon de l’etoile pure

Sont les paupieres du meme ?il!

L’unite reste, l’aspect change;

Pour becqueter le fruit vermeil,

Les oiseaux volent a l’orange

Et les cometes au soleil;

Tout est l’atome et tout est l’astre;

La paille porte, humble pilastre,

L’epi d’ou naissent les cites;

La fauvette a la tete blonde

Dans la goutte d’eau boit un monde…

Immensites! immensites!

Seul, la nuit, sur sa plate-forme,

Herschell poursuit l’etre central

A travers la lentille enorme,

Cristallin de l’?il sideral;

Il voit en haut Dieu dans les mondes,

Tandis que, des hydres profondes

Scrutant les monstrueux combats,

Le microscope formidable,

Plein de l’horreur de l’insondable,

Regarde l’infini d’en bas!

VIII

Dieu, triple feu, triple harmonie,

Amour, puissance, volonte,

Prunelle enorme d’insomnie,

De flamboiement et de bonte,

Vu dans toute l’epaisseur noire,

Montrant ses trois faces de gloire

A l’ame, a l’etre, au firmament,

Effarant les yeux et les bouches,

Emplit les profondeurs farouches

D’un immense eblouissement.

Tous ces mages, l’un qui reclame,

L’autre qui voulut ou couva,

Ont un rayon qui de leur ame

Va jusqu’a l’?il de Jehovah;

Sur leur trone leur esprit songe;

Une lueur qui d’en haut plonge,

Qui descend du ciel sur les monts

Et de Dieu sur l’homme qui souffre,

Rattache au triangle du gouffre

L’escarboucle des Salomons.

IX

Ils parlent a la solitude,

Et la solitude comprend;

Ils parlent a la multitude,

Et font ecumer ce torrent;

Ils font vibrer les edifices;

Ils inspirent les sacrifices

Et les inebranlables fois;

Sombres, ils ont en eux, pour muse,

La palpitation confuse

De tous les etres a la fois.

Comment nait un peuple? Mystere!

A de certains moments, tout bruit

A disparu; toute la terre

Semble une plaine de la nuit;

Toute lueur s’est eclipsee;

Pas de verbe, pas de pensee,

Rien dans l’ombre et rien dans le ciel,

Pas un ?il n’ouvre ses paupieres… -

Le desert bleme est plein de pierres,

Ezechiel! Ezechiel!

Mais un vent sort des cieux sans bornes,

Grondant comme les grandes eaux,

Et souffle sur ces pierres mornes,

Et de ces pierres fait des os;

Ces os fremissent, tas sonore;

Et le vent souffle, et souffle encore

Sur ce triste amas agite,

Et de ces os il fait des hommes,

Et nous nous levons et nous sommes,

Et ce vent, c’est la liberte!

Ainsi s’accomplit la genese

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