Avec sa spirale sublime,
Archimede sur son sommet
Rouvrirait le puits de l’abime
Si jamais Dieu le refermait;
Euclide a les lois sous sa garde;
Kopernic eperdu regarde,
Dans les grands cieux aux mers pareils,
Gouffre ou voguent des nefs sans proues,
Tourner toutes ces sombres roues
Dont les moyeux sont des soleils.
Les Thales, puis les Pythagores;
Et l’homme, parmi ses erreurs,
Comme dans l’herbe les fulgores,
Voit passer ces grands eclaireurs.
Aristophane rit des sages;
Lucrece, pour franchir les ages,
Cree un poeme dont l’?il luit,
Et donne a ce monstre sonore
Toutes les ailes de l’aurore,
Toutes les griffes de la nuit.
Rites profonds de la nature!
Quelques-uns de ces inspires
Acceptent l’etrange aventure
Des monts noirs et des bois sacres;
Ils vont aux Thebaides sombres,
Et, la, blemes dans les decombres,
Ils courbent le tigre fuyant,
L’hyene rampant sur le ventre,
L’ocean, la montagne et l’antre,
Sous leur sacerdoce effrayant!
Tes cheveux sont gris sur l’abime,
Jerome, o vieillard du desert!
Elie, un pale esprit t’anime,
Un ange epouvante te sert.
Amos, aux lieux inaccessibles,
Des sombres clairons invisibles
Ton oreille entend les accords;
Ton ame, sur qui Dieu surplombe,
Est deja toute dans la tombe,
Et tu vis absent de ton corps.
Tu gourmandes l’ame echappee,
Saint Paul, o lutteur redoute,
Immense apotre de l’epee,
Grand vaincu de l’eternite!
Tu luis, tu frappes, tu reprouves;
Et tu chasses du doigt ces louves,
Cytheree, Isis, Astarte;
Tu veux punir et non absoudre,
Geant, et tu vois dans la foudre
Plus de glaive que de clarte.
Orphee est courbe sur le monde;
L’eblouissant est ebloui;
La creation est profonde
Et monstrueuse autour de lui;
Les rochers, ces rudes hercules,
Combattent dans les crepuscules
L’ouragan, sinistre inconnu;
La mer en pleurs dans la melee
Tremble, et la vague echevelee
Se cramponne a leur torse nu.
Baruch au juste dans la peine
Dit: – Frere! vos os sont meurtris;
Votre vertu dans nos murs traine
La chaine affreuse du mepris;
Mais comptez sur la delivrance,
Mettez en Dieu votre esperance,
Et de cette nuit du destin,
Demain, si vous avez su croire,
Vous vous leverez plein de gloire,
Comme l’etoile du matin! -
L’ame des Pindares se hausse
A la hauteur des Pelions;
Daniel chante dans la fosse
Et fait sortir Dieu des lions.
Tacite sculpte l’infamie;
Perse, Archiloque et Jeremie
Ont le meme eclair dans les yeux;
Car le crime a sa suite attire
Les apres chiens de la satire
Et le grand tonnerre des cieux.
Et voila les pretres du rire,
Scarron, noue dans les douleurs,
Esope, que le fouet dechire,
Cervante aux fers, Moliere en pleurs!
Le desespoir et l’esperance!
Entre Democrite et Terence,
Rabelais, que nul ne comprit;
Il berce Adam pour qu’il s’endorme,
Et son eclat de rire enorme
Est un des gouffres de l’esprit!
Et Plaute, a qui parlent les chevres,
Arioste chantant Medor,
Catulle, Horace, dont les levres
Font venir les abeilles d’or;
Comme le double Dioscure,
Anacreon pres d’Epicure,
Bion, tout penetre de jour,
Moschus, sur qui l’Etna flamboie,
Voila les pretres de la joie!