De ce qui s’engloutit et de ce qui surnage.

Sans cesse le progres, roue au double engrenage,

Fait marcher quelque chose en ecrasant quelqu’un.

Le mal peut etre joie, et le poison parfum.

Le crime avec la loi, morne et melancolique,

Lutte; le poignard parle, et l’echafaud replique.

Nous entendons, sans voir la source ni la fin,

Derriere notre nuit, derriere notre faim,

Rire l’ombre Ignorance et la larve Misere.

Le lys a-t-il raison? et l’astre est-il sincere?

Je dis oui, tu dis non. Tenebres et rayons

Affirment a la fois. Doute, Adam! nous voyons

De la nuit dans l’enfant, de la nuit dans la femme;

Et sur notre avenir nous querellons notre ame;

Et, brule, puis glace, chaos, semoun, frimas,

L’homme de l’infini traverse les climats.

Tout est brume; le vent souffle avec des huees,

Et de nos passions arrache des nuees;

Rousseau dit: L’homme monte; et de Maistre: Il descend!

Mais, o Dieu! le navire enorme et fremissant,

Le monstrueux vaisseau sans agres et sans voiles,

Qui flotte, globe noir, dans la mer des etoiles,

Et qui porte nos maux, fourmillement humain,

Va, marche, vogue et roule, et connait son chemin;

Le ciel sombre, ou parfois la blancheur semble eclore,

A l’effrayant roulis mele un frisson d’aurore,

De moment en moment le sort est moins obscur,

Et l’on sent bien qu’on est emporte vers l’azur.

Marine-Terrace, octobre 1855.

XX. Relligio

L’ombre venait; le soir tombait, calme et terrible.

Hermann me dit: – Quelle est ta foi, quelle est ta bible?

Parle. Es-tu ton propre geant?

Si tes vers ne sont pas de vains flocons d’ecume,

Si ta strophe n’est pas un tison noir qui fume

Sur le tas de cendre Neant,

Si tu n’es pas une ame en l’abime engloutie,

Quel est donc ton ciboire et ton eucharistie?

Quelle est donc la source ou tu bois? -

Je me taisais; il dit: – Songeur qui civilises,

Pourquoi ne vas-tu pas prier dans les eglises? -

Nous marchions tous deux dans les bois.

Et je lui dis: – Je prie. – Hermann dit: – Dans quel temple?

Quel est le celebrant que ton ame contemple,

Et l’autel qu’elle reflechit?

Devant quel confesseur la fais-tu comparaitre?

– L’eglise, c’est l’azur, lui dis-je; et quant au pretre… -

En ce moment le ciel blanchit.

La lune a l’horizon montait, hostie enorme;

Tout avait le frisson, le pin, le cedre et l’orme,

Le loup, et l’aigle, et l’alcyon;

Lui montrant l’astre d’or sur la terre obscurcie,

Je lui dis: – Courbe-toi. Dieu lui-meme officie,

Et voici l’elevation.

Marine-Terrace, octobre 1855.

XXI. Spes

De partout, de l’abime ou n’est pas Jehovah,

Jusqu’au zenith, plafond ou l’esperance va

Se casser l’aile et d’ou redescend la priere,

En bas, en haut, au fond, en avant, en arriere,

L’enorme obscurite qu’agitent tous les vents,

Enveloppe, linceul, les morts et les vivants,

Et sur le monstrueux, sur l’impur, sur l’horrible,

Laisse tomber les pans de son rideau terrible;

Si l’on parle a la brume effrayante qui fuit,

L’immensite dit: Mort! L’eternite dit: Nuit!

L’ame, sans lire un mot, feuillette un noir registre;

L’univers tout entier est un geant sinistre;

L’aveugle est d’autant plus affreux qu’il est plus grand;

Tout semble le chevet d’un immense mourant;

Tout est l’ombre; pareille au reflet d’une lampe,

Au fond, une lueur imperceptible rampe;

C’est a peine un coin blanc, pas meme une rougeur.

Un seul homme debout, qu’ils nomment le songeur,

Regarde la clarte du haut de la colline;

Et tout, hormis le coq a la voix sibylline,

Raille et nie; et, passants confus, marcheurs nombreux,

Toute la foule eclate en rires tenebreux

Quand ce vivant, qui n’a d’autre signe lui-meme

Parmi tous ces fronts noirs que d’etre le front bleme,

Dit en montrant ce point vague et lointain qui luit:

Cette blancheur est plus que toute cette nuit!

Janvier 1856.

XXII. Ce que c’est que la mort

Ne dites pas: mourir; dites: naitre. Croyez.

On voit ce que je vois et ce que vous voyez;

On est l’homme mauvais que je suis, que vous etes;

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