On se rue aux plaisirs, aux tourbillons, aux fetes;

On tache d’oublier le bas, la fin, l’ecueil,

La sombre egalite du mal et du cercueil;

Quoique le plus petit vaille le plus prospere;

Car tous les hommes sont les fils du meme pere;

Ils sont la meme larme et sortent du meme ?il.

On vit, usant ses jours a se remplir d’orgueil;

On marche, on court, on reve, on souffre, on penche, on tombe,

On monte. Quelle est donc cette aube? C’est la tombe.

Ou suis-je? Dans la mort. Viens! Un vent inconnu

Vous jette au seuil des cieux. On tremble; on se voit nu,

Impur, hideux, noue des mille n?uds funebres

De ses torts, de ses maux honteux, de ses tenebres;

Et soudain on entend quelqu’un dans l’infini

Qui chante, et par quelqu’un on sent qu’on est beni,

Sans voir la main d’ou tombe a notre ame mechante

L’amour, et sans savoir quelle est la voix qui chante.

On arrive homme, deuil, glacon, neige; on se sent

Fondre et vivre; et, d’extase et d’azur s’emplissant,

Tout notre etre fremit de la defaite etrange

Du monstre qui devient dans la lumiere un ange.

Au dolmen de la tour Blanche, jour des Morts, novembre 1854.

XXIII. Les mages

I

Pourquoi donc faites-vous des pretres

Quand vous en avez parmi vous?

Les esprits conducteurs des etres

Portent un signe sombre et doux.

Nous naissons tous ce que nous sommes.

Dieu de ses mains sacre des hommes

Dans les tenebres des berceaux;

Son effrayant doigt invisible

Ecrit sous leur crane la bible

Des arbres, des monts et des eaux.

Ces hommes, ce sont les poetes;

Ceux dont l’aile monte et descend;

Toutes les bouches inquietes

Qu’ouvre le verbe fremissant;

Les Virgiles, les Isaies;

Toutes les ames envahies

Par les grandes brumes du sort;

Tous ceux en qui Dieu se concentre;

Tous les yeux ou la lumiere entre,

Tous les fronts d’ou le rayon sort.

Ce sont ceux qu’attend Dieu propice

Sur les Horebs et les Thabors;

Ceux que l’horrible precipice

Retient blemissants a ses bords;

Ceux qui sentent la pierre vivre;

Ceux que Pan formidable enivre;

Ceux qui sont tout pensifs devant

Les nuages, ces solitudes

Ou passent en mille attitudes

Les groupes sonores du vent.

Ce sont les severes artistes

Que l’aube attire a ses blancheurs,

Les savants, les inventeurs tristes,

Les puiseurs d’ombre, les chercheurs,

Qui ramassent dans les tenebres

Les faits, les chiffres, les algebres,

Le nombre ou tout est contenu,

Le doute ou nos calculs succombent,

Et tous les morceaux noirs qui tombent

Du grand fronton de l’inconnu!

Ce sont les tetes fecondees

Vers qui monte et croit pas a pas

L’ocean confus des idees,

Flux que la foule ne voit pas,

Mer de tous les infinis pleine,

Que Dieu suit, que la nuit amene,

Qui remplit l’homme de clarte,

Jette aux rochers l’ecume amere,

Et lave les pieds nus d’Homere

Avec un flot d’eternite!

Le poete s’adosse a l’arche.

David chante et voit Dieu de pres;

Hesiode medite et marche,

Grand pretre fauve des forets;

Moise, immense creature,

Etend ses mains sur la nature;

Manes parle au gouffre puni,

Ecoute des astres sans nombre… -

Genie! o tiare de l’ombre!

Pontificat de l’infini!

L’un a Patmos, l’autre a Tyane;

D’autres criant: Demain! demain!

D’autres qui sonnent la diane

Dans les sommeils du genre humain;

L’un fatal, l’autre qui pardonne;

Eschyle en qui fremit Dodone,

Milton, songeur de Whitehall,

Toi, vieux Shakspeare, ame eternelle;

O figures dont la prunelle

Est la vitre de l’ideal!

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