Toutes les cloches des tempetes

Sonnent au supreme beffroi;

Quand l’aube etale ses opales,

C’est pour ces contemplateurs pales

Penches dans l’eternel effroi!

Ils savent ce que le soir calme

Pense des morts qui vont partir;

Et ce que prefere la palme,

Du conquerant ou du martyr;

Ils entendent ce que murmure

La voile, la gerbe, l’armure,

Ce que dit, dans le mois joyeux

Des longs jours et des fleurs ecloses,

La petite bouche des roses

A l’oreille immense des cieux.

Les vents, les flots, les cris sauvages,

L’azur, l’horreur du bois jauni,

Sont les formidables breuvages

De ces alteres d’infini;

Ils ajoutent, reveurs austeres,

A leur ame tous les mysteres,

Toute la matiere a leurs sens;

Ils s’enivrent de l’etendue;

L’ombre est une coupe tendue

Ou boivent ces sombres passants.

Comme ils regardent, ces messies!

Oh! comme ils songent effares!

Dans les tenebres epaissies

Quels spectateurs demesures!

Oh! que de tetes stupefaites!

Poetes, apotres, prophetes,

Meditant, parlant, ecrivant,

Sous des suaires, sous des voiles,

Les plis des robes pleins d’etoiles,

Les barbes au gouffre du vent!

III

Savent-ils ce qu’ils font eux-memes,

Ces acteurs du drame profond?

Savent-ils leur propre probleme?

Ils sont. Savent-ils ce qu’ils sont?

Ils sortent du grand vestiaire

Ou, pour s’habiller de matiere,

Parfois l’ange meme est venu.

Graves, tristes, joyeux, fantasques,

Ne sont-ils pas les sombres masques

De quelque prodige inconnu?

La joie ou la douleur les farde;

Ils projettent confusement,

Plus loin que la terre blafarde,

Leurs ombres sur le firmament;

Leurs gestes etonnent l’abime;

Pendant qu’aux hommes, tourbe infime,

Ils parlent le langage humain,

Dans des profondeurs qu’on ignore,

Ils font surgir l’ombre ou l’aurore,

Chaque fois qu’ils levent la main.

Ils ont leur role; ils ont leur forme;

Ils vont, vetus d’humanite,

Jouant la comedie enorme

De l’homme et de l’eternite;

Ils tiennent la torche ou la coupe;

Nous tremblerions si dans leur groupe,

Nous, troupeau, nous penetrions!

Les astres d’or et la nuit sombre

Se font des questions dans l’ombre

Sur ces splendides histrions.

IV

Ah! ce qu’ils font est l’?uvre auguste.

Ces histrions sont les heros!

Ils sont le vrai, le saint, le juste,

Apparaissant a nos barreaux.

Nous sentons, dans la nuit mortelle,

La cage en meme temps que l’aile;

Ils nous font esperer un peu;

Ils sont lumiere et nourriture;

Ils donnent aux c?urs la pature,

Ils emiettent aux ames Dieu!

Devant notre race asservie

Le ciel se tait, et rien n’en sort.

Est-ce le rideau de la vie?

Est-ce le voile de la mort?

Tenebres! l’ame en vain s’elance,

L’Inconnu garde le silence,

Et l’homme, qui se sent banni,

Ne sait s’il redoute ou s’il aime

Cette lividite supreme

De l’enigme et de l’infini.

Eux, ils parlent a ce mystere!

Ils interrogent l’eternel,

Ils appellent le solitaire,

Ils montent, ils frappent au ciel,

Disent: Es-tu la? dans la tombe,

Volent, pareils a la colombe

Offrant le rameau qu’elle tient,

Et leur voix est grave, humble ou tendre,

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