Toutes les cloches des tempetes
Sonnent au supreme beffroi;
Quand l’aube etale ses opales,
C’est pour ces contemplateurs pales
Penches dans l’eternel effroi!
Ils savent ce que le soir calme
Pense des morts qui vont partir;
Et ce que prefere la palme,
Du conquerant ou du martyr;
Ils entendent ce que murmure
La voile, la gerbe, l’armure,
Ce que dit, dans le mois joyeux
Des longs jours et des fleurs ecloses,
La petite bouche des roses
A l’oreille immense des cieux.
Les vents, les flots, les cris sauvages,
L’azur, l’horreur du bois jauni,
Sont les formidables breuvages
De ces alteres d’infini;
Ils ajoutent, reveurs austeres,
A leur ame tous les mysteres,
Toute la matiere a leurs sens;
Ils s’enivrent de l’etendue;
L’ombre est une coupe tendue
Ou boivent ces sombres passants.
Comme ils regardent, ces messies!
Oh! comme ils songent effares!
Dans les tenebres epaissies
Quels spectateurs demesures!
Oh! que de tetes stupefaites!
Poetes, apotres, prophetes,
Meditant, parlant, ecrivant,
Sous des suaires, sous des voiles,
Les plis des robes pleins d’etoiles,
Les barbes au gouffre du vent!
Savent-ils ce qu’ils font eux-memes,
Ces acteurs du drame profond?
Savent-ils leur propre probleme?
Ils sont. Savent-ils ce qu’ils sont?
Ils sortent du grand vestiaire
Ou, pour s’habiller de matiere,
Parfois l’ange meme est venu.
Graves, tristes, joyeux, fantasques,
Ne sont-ils pas les sombres masques
De quelque prodige inconnu?
La joie ou la douleur les farde;
Ils projettent confusement,
Plus loin que la terre blafarde,
Leurs ombres sur le firmament;
Leurs gestes etonnent l’abime;
Pendant qu’aux hommes, tourbe infime,
Ils parlent le langage humain,
Dans des profondeurs qu’on ignore,
Ils font surgir l’ombre ou l’aurore,
Chaque fois qu’ils levent la main.
Ils ont leur role; ils ont leur forme;
Ils vont, vetus d’humanite,
Jouant la comedie enorme
De l’homme et de l’eternite;
Ils tiennent la torche ou la coupe;
Nous tremblerions si dans leur groupe,
Nous, troupeau, nous penetrions!
Les astres d’or et la nuit sombre
Se font des questions dans l’ombre
Sur ces splendides histrions.
Ah! ce qu’ils font est l’?uvre auguste.
Ces histrions sont les heros!
Ils sont le vrai, le saint, le juste,
Apparaissant a nos barreaux.
Nous sentons, dans la nuit mortelle,
La cage en meme temps que l’aile;
Ils nous font esperer un peu;
Ils sont lumiere et nourriture;
Ils donnent aux c?urs la pature,
Ils emiettent aux ames Dieu!
Devant notre race asservie
Le ciel se tait, et rien n’en sort.
Est-ce le rideau de la vie?
Est-ce le voile de la mort?
Tenebres! l’ame en vain s’elance,
L’Inconnu garde le silence,
Et l’homme, qui se sent banni,
Ne sait s’il redoute ou s’il aime
Cette lividite supreme
De l’enigme et de l’infini.
Eux, ils parlent a ce mystere!
Ils interrogent l’eternel,
Ils appellent le solitaire,
Ils montent, ils frappent au ciel,
Disent: Es-tu la? dans la tombe,
Volent, pareils a la colombe
Offrant le rameau qu’elle tient,
Et leur voix est grave, humble ou tendre,