Elle accomplit la loi qui l’enchaine d’en haut;

Pierre, elle ecrase; epine, elle pique; il le faut.

Le monstre est enferme dans son horreur vivante.

Il aurait beau vouloir depouiller l’epouvante;

Il faut qu’il reste horrible et reste chatie;

O mystere! le tigre a peut-etre pitie!

Le tigre sur son dos, qui peut-etre eut une aile,

A l’ombre des barreaux de la cage eternelle;

Un invisible fil lie aux noirs echafauds

Le noir corbeau dont l’aile est en forme de faulx;

L’ame louve ne peut s’empecher d’etre louve,

Car le monstre est tenu, sous le ciel qui l’eprouve,

Dans l’expiation par la fatalite.

Jadis, sans la comprendre et d’un ?il hebete,

L’Inde a presque entrevu cette metempsycose.

La ronce devient griffe, et la feuille de rose

Devient langue de chat, et, dans l’ombre et les cris,

Horrible, leche et boit le sang de la souris;

Qui donc connait le monstre appele mandragore?

Qui sait ce que, le soir, eclaire le fulgore,

Etre en qui la laideur devient une clarte?

Ce qui se passe en l’ombre ou croit la fleur d’ete

Efface la terreur des antiques avernes

Etages effrayants! cavernes sur cavernes.

Ruche obscure du mal, du crime et du remord!

Donc, une bete va, vient, rugit, hurle, mord;

Un arbre est la, dressant ses branches herissees,

Une dalle s’effondre au milieu des chaussees

Que la charrette ecrase et que l’hiver detruit,

Et, sous ces epaisseurs de matiere et de nuit,

Arbre, bete, pave, poids que rien ne souleve,

Dans cette profondeur terrible, une ame reve!

Que fait-elle? Elle songe a Dieu!

*

Fatalite!

Echeance! retour! revers! autre cote!

O loi! pendant qu’assis a table, joyeux groupes,

Les pervers, les puissants, vidant toutes les coupes,

Oubliant qu’aujourd’hui par demain est guette,

Etalent leur machoire en leur folle gaite,

Voila ce qu’en sa nuit muette et colossale,

Montrant comme eux ses dents tout au fond de la salle,

Leur reserve la mort, ce sinistre rieur!

Nous avons, nous, voyants du ciel superieur,

Le spectacle inoui de vos regions basses.

O songeur, fallait-il qu’en ces nuits tu tombasses!

Nous ecoutons le cri de l’immense malheur.

Au-dessus d’un rocher, d’un loup ou d’une fleur,

Parfois nous apparait l’ame a mi-corps sortie,

Pauvre ombre en pleurs qui lutte, helas! presque engloutie;

Le loup la tient, le roc etreint ses pieds qu’il tord,

Et la fleur implacable et feroce la mord.

Nous entendons le bruit du rayon que Dieu lance,

La voix de ce que l’homme appelle le silence,

Et vos soupirs profonds, cailloux desesperes!

Nous voyons la paleur de tous les fronts mures.

A travers la matiere, affreux caveau sans portes,

L’ange est pour nous visible avec ses ailes mortes.

Nous assistons aux deuils, au blaspheme, aux regrets,

Aux fureurs; et, la nuit, nous voyons les forets,

D’ou cherchent a s’enfuir les larves enfermees,

S’echeveler dans l’ombre en lugubres fumees.

Partout, partout, partout! dans les flots, dans les bois,

Dans l’herbe en fleurs, dans l’or qui sert de sceptre aux rois,

Dans le jonc dont Hermes se fait une baguette,

Partout le chatiment contemple, observe ou guette,

Sourd aux questions, triste, affreux, pensif, hagard;

Et tout est l’?il d’ou sort ce terrible regard.

O chatiment! dedale aux spirales funebres!

Construction d’en bas qui cherche les tenebres,

Plonge au-dessous du monde et descend dans la nuit,

Et, Babel renversee, au fond de l’ombre fuit!

L’homme qui plane et rampe, etre crepusculaire,

En est le milieu.

*

L’homme est clemence et colere;

Fond vil du puits, plateau radieux de la tour;

Degre d’en haut pour l’ombre, et d’en bas pour le jour.

L’ange y descend, la bete apres la mort y monte;

Pour la bete, il est gloire, et, pour l’ange, il est honte;

Dieu mele en votre race, hommes infortunes,

Les demi-dieux punis aux monstres pardonnes.

De la vient que, parfois, – mystere que Dieu mene! -

On entend d’une bouche en apparence humaine

Sortir des mots pareils a des rugissements,

Et que, dans d’autres lieux et dans d’autres moments,

On croit voir sur un front s’ouvrir des ailes d’ange.

Roi forcat, l’homme, esprit, pense, et, matiere, mange.

L’ame en lui ne se peut dresser sur son seant.

L’homme, comme la brute abreuve de neant,

Vide toutes les nuits le verre noir du somme.

La chaine de l’enfer, liee au pied de l’homme,

Ramene chaque jour vers le cloaque impur

La beaute, le genie, envoles dans l’azur,

Mele la peste au souffle ideal des poitrines,

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