«Comme l’oiseau des cieux, veuille avoir sa chanson;
«Et que tel garnement du Pinde, nourrisson
«Des Muses, au milieu d’un bruit de corybante,
«Marmot sombre, ait mordu leur gorge un peu tombante?»
Vous n’en tenez nul compte, et vous n’ecoutez rien.
Voltaire, en vain, grand homme et peu voltairien,
Vous murmure a l’oreille: «Ami, tu nous assommes!»
– Vous ecumez! – partant de ceci: que nous, hommes
De ce temps d’anarchie et d’enfer, nous donnons
L’assaut au grand Louis juche sur vingt grands noms;
Vous dites qu’apres tout nous perdons notre peine,
Que haute est l’escalade et courte notre haleine;
Que c’est dit, que jamais nous ne reussirons;
Que Batteux nous regarde avec ses gros yeux ronds,
Que Tancrede est de bronze et qu’Hamlet est de sable.
Vous declarez Boileau perruque indefrisable;
Et, coiffe de lauriers, d’un coup d’?il de travers,
Vous indiquez le tas d’ordures de nos vers,
Fumier ou la laideur de ce siecle se guinde
Au pauvre vieux bon gout, ce balayeur du Pinde;
Et meme, allant plus loin, vaillant, vous nous criez:
«Je vais vous balayer moi-meme!»
Balayez.
Paris, novembre 1834.
XXVII .
Oui, je suis le reveur; je suis le camarade
Des petites fleurs d’or du mur qui se degrade,
Et l’interlocuteur des arbres et du vent.
Tout cela me connait, voyez-vous. J’ai souvent,
En mai, quand de parfums les branches sont gonflees,
Des conversations avec les giroflees;
Je recois des conseils du lierre et du bleuet.
L’etre mysterieux, que vous croyez muet,
Sur moi se penche, et vient avec ma plume ecrire.
J’entends ce qu’entendit Rabelais; je vois rire
Et pleurer; et j’entends ce qu’Orphee entendit.
Ne vous etonnez pas de tout ce que me dit
La nature aux soupirs ineffables. Je cause
Avec toutes les voix de la metempsycose.
Avant de commencer le grand concert sacre,
Le moineau, le buisson, l’eau vive dans le pre,
La foret, basse enorme, et l’aile et la corolle,
Tous ces doux instruments, m’adressent la parole;
Je suis l’habitue de l’orchestre divin;
Si je n’etais songeur, j’aurais ete sylvain.
J’ai fini, grace au calme en qui je me recueille,
A force de parler doucement a la feuille,
A la goutte de pluie, a la plume, au rayon,
Par descendre a ce point dans la creation,
Cet abime ou frissonne un tremblement farouche,
Que je ne fais plus meme envoler une mouche!
Le brin d’herbe, vibrant d’un eternel emoi,
S’apprivoise et devient familier avec moi,
Et, sans s’apercevoir que je suis la, les roses
Font avec les bourdons toutes sortes de choses;
Quelquefois, a travers les doux rameaux benis,
J’avance largement ma face sur les nids,
Et le petit oiseau, mere inquiete et sainte,
N’a pas plus peur de moi que nous n’aurions de crainte,
Nous, si l’?il du bon Dieu regardait dans nos trous;
Le lis prude me voit approcher sans courroux,
Quand il s’ouvre aux baisers du jour; la violette
La plus pudique fait devant moi sa toilette;
Je suis pour ces beautes l’ami discret et sur;
Et le frais papillon, libertin de l’azur,
Qui chiffonne gaiment une fleur demi-nue,
Si je viens a passer dans l’ombre, continue,
Et, si la fleur se veut cacher dans le gazon,
Il lui dit: «Es-tu bete! Il est de la maison.»
Les Roches, aout 1835.
XXVIII .
Il faut que le poete, epris d’ombre et d’azur,
Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,
Qui marche devant tous, eclairant ceux qui doutent,
Chanteur mysterieux qu’en tressaillant ecoutent
Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,
Devienne formidable a de certains moments.
Parfois, lorsqu’on se met a rever sur son livre,
Ou tout berce, eblouit, calme, caresse, enivre,
Ou l’ame, a chaque pas, trouve a faire son miel,
Ou les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel;
Au milieu de cette humble et haute poesie,
Dans cette paix sacree ou croit la fleur choisie,
Ou l’on entend couler les sources et les pleurs,
Ou les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,
Volent chantant l’amour, l’esperance et la joie;
Il faut que, par instants, on frissonne, et qu’on voie
Tout a coup, sombre, grave et terrible au passant,
Un vers fauve sortir de l’ombre en rugissant!
Il faut que le poete, aux semences fecondes,
Soit comme ces forets vertes, fraiches, profondes,