Les vieux antres pensifs, dont rit le geai moqueur,

Clignent leurs gros sourcils et font la bouche en c?ur;

L’atmosphere, embaumee et tendre, semble pleine

Des declarations qu’au Printemps fait la plaine,

Et que l’herbe amoureuse adresse au ciel charmant.

A chaque pas du jour dans le bleu firmament,

La campagne eperdue, et toujours plus eprise,

Prodigue les senteurs, et, dans la tiede brise,

Envoie au renouveau ses baisers odorants;

Tous ses bouquets, azurs, carmins, pourpres, safrans,

Dont l’haleine s’envole en murmurant: Je t’aime!

Sur le ravin, l’etang, le pre, le sillon meme,

Font des taches partout de toutes les couleurs;

Et, donnant les parfums, elle a garde les fleurs;

Comme si ses soupirs et ses tendres missives

Au mois de mai, qui rit dans les branches lascives,

Et tous les billets doux de son amour bavard,

Avaient laisse leur trace aux pages du buvard!

Les oiseaux dans les bois, molles voix etouffees,

Chantent des triolets et des rondeaux aux fees;

Tout semble confier a l’ombre un doux secret;

Tout aime, et tout l’avoue a voix basse; on dirait

Qu’au nord, au sud brulant, au couchant, a l’aurore,

La haie en fleur, le lierre et la source sonore,

Les monts, les champs, les lacs et les chenes mouvants,

Repetent un quatrain fait par les quatre vents.

Saint-Germain, 1er mai 18…

II .

Mes vers fuiraient, doux et freles,

Vers votre jardin si beau,

Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’oiseau.

Ils voleraient, etincelles,

Vers votre foyer qui rit,

Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’esprit.

Pres de vous, purs et fideles,

Ils accourraient nuit et jour,

Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’amour.

Paris, mars 18…

III. Le rouet d’Omphale

Il est dans l’atrium, le beau rouet d’ivoire.

La roue agile est blanche, et la quenouille est noire;

La quenouille est d’ebene incruste de lapis.

Il est dans l’atrium sur un riche tapis.

Un ouvrier d’Egine a sculpte sur la plinthe

Europe, dont un dieu n’ecoute pas la plainte.

Le taureau blanc l’emporte. Europe, sans espoir,

Crie, et baissant les yeux, s’epouvante de voir

L’Ocean monstrueux qui baise ses pieds roses.

Des aiguilles, du fil, des boites demi-closes,

Les laines de Milet, peintes de pourpre et d’or,

Emplissent un panier pres du rouet qui dort.

Cependant, odieux, effroyables, enormes,

Dans le fond du palais, vingt fantomes difformes,

Vingt monstres tout sanglants, qu’on ne voit qu’a demi,

Errent en foule autour du rouet endormi:

Le lion nemeen, l’hydre affreuse de Lerne,

Cacus, le noir brigand de la noire caverne,

Le triple Geryon, et les typhons des eaux,

Qui, le soir, a grand bruit, soufflent dans les roseaux;

De la massue au front tous ont l’empreinte horrible

Et tous, sans approcher, rodant d’un air terrible,

Sur le rouet, ou pend un fil souple et lie,

Fixent de loin, dans l’ombre, un ?il humilie.

Juin, 18…

IV. Chanson

Si vous n’avez rien a me dire,

Pourquoi venir aupres de moi?

Pourquoi me faire ce sourire

Qui tournerait la tete au roi?

Si vous n’avez rien a me dire,

Pourquoi venir aupres de moi?

Si vous n’avez rien a m’apprendre,

Pourquoi me pressez-vous la main?

Sur le reve angelique et tendre,

Auquel vous songez en chemin,

Si vous n’avez rien a m’apprendre,

Pourquoi me pressez-vous la main?

Si vous voulez que je m’en aille,

Pourquoi passez-vous par ici?

Lorsque je vous vois, je tressaille:

C’est ma joie et c’est mon souci.

Si vous voulez que je m’en aille,

Pourquoi passez-vous par ici?

Mai, 18…

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