(rencontrer un ami, rencontrer des difficultes)', recourir ne peut s'employer sans un complement introduit par la preposition a (recourir a un expedient). Ces actants sont dits «requis». Il existe donc des actants simplement regis et des actants regis et requis [Lazard 1994: 70,1998a: 68; 1998b: 16–17].

Ce sont ces distinctions qui, plus ou moins clairement, sont sous-jacentes a la notion traditionnelle de transitivite. Pour les grammairiens du francais qui admettent la transitivite indirecte, un verbe transitif est un verbe qui peut ou doit etre accompagne d'actants (directs ou indirects). Pour ceux qui definissent la transitivite par la presence possible d'un objet direct, un verbe transitif est un verbe qui peut ou doit etre suivi d'un actant sans preposition.

Ajoutons que certains linguistes pensent que la notion de transitivite est inutile et qu'on peut s'en dispenser (ainsi [Gross 1969]). Il soutiennent que celle de complement d'objet est vaine et qu'il suffit de decrire avec precision les faits de valence, c'est-a-dire de classer les verbes selon le nombre et la forme des complements qu'ils admettent ou exigent.

Transitivite directe ou indirecte, transitivite reduite a la construction directe, abandon de la notion de transitivite, les trois positions sont legitimes, pourvu que, dans le cadre choisi, les faits soient decrits exactement.

Il reste cependant que la notion de transitivite est employee tres largement et etendue a de nombreuses langues, y compris des langues ergatives ou la forme de la construction dite transitive est totalement differente de celle qu'elle a dans les langues accusatives. Cette persistance appelle une explication. L'examen de la question en perspective interlinguistique en suggere une.

3. Le probleme de la comparaison des langues

Les criteres defmitoires de la transitivite dans des langues particulieres ne sont guere generalisables.

Si l'on retient celui des grammairiens du francais qui admettent une transitivite indirecte, transitivite signifie purement et simplement presence possible d'un ou plusieurs actants («actant» etant defini par opposition a «circonstant»). La distinction entre verbe transitif et verbe intransitif coincide alors avec celle qu'on fait entre actant et circonstant. Elle peut etre generalisee, mais elle n'est pas tres interessante.

La plupart des linguistes, dans la plupart des langues, definissent la transitivite par la presence (possible) d'un objet direct. Mais qu'est-ce qu'un objet direct? En latin ou en russe un terme a l'accusatif; en francais et d'autres langues d'Europe occidentale, un terme suivant le verbe sans preposition; en tahitien, langue polynesienne, un terme prepositionnel d'un certain type (v. plus bas, § 5). Dans les langues erga-tives, on considere generalement comme transitive une construction comprenant un terme a l'ergatif et un autre a l'absolutif (cas zero), et c'est ce dernier qui correspond a l'objet direct des langues accusatives. Chacun de ces criteres est propre a des langues particulieres et incapable de fournir une definition de la transitivite en perspective interim-guistique. Il n'y a pas de critere morphosyntaxique de la transitivite valable pour toute langue.

Cette difficulte n'est qu'un cas particulier du probleme general et fondamental que pose la comparaison typologique des langues. Toute comparaison demande une base de comparaison. Sur quelle base va-t-on comparer les langues? Les formes des langues etant d'une variete pratiquement infinies, elles ne peuvent former une base de comparaison. En revanche, comme toutes les langues sont en principe propres a exprimer les memes contenus de sens, c'est aux contenus de sens qu'on doit faire appel pour fonder la comparaison. La difficulte est que, comme nous avons vu, les seules donnees observables objectivement en linguistique sont les formes, c'est-a-dire les signifiants. Quant aux signifies qui sont exprimes par les signifiants, ils ne se definissent eux-memes que par leur place dans le systeme qui est propre a la langue. Independamment de cette structure imposee par la langue, les contenus de sens n'ont pas de structure saisissable objectivement, c'est-a-dire autrement que par l'intuition, qui est inevitablement subjective. Le linguiste est alors en face d'un dilemme. Il voit d'un cote des formes saisissables objectivement, mais indefiniment variees, de l'autre un univers de sens «libres, fuyants, imprevisibles», comme dit Benveniste.

Dans ces conditions, il n'a d'autre solution que de «se donner», c'est-a-dire choisir, des cadres conceptuels qui lui serviront de base de comparaison [Lazard 1999: 99-103, reimpr. 2001: 28–39]. Ces cadres conceptuels sont arbitraires, en ce sens qu'ils ne resultent pas d'un raisonnement rigoureux ni d'une observation systematique, mais d'une decision methodologique. Ils sont fondes sur l'intuition et peuvent surgir de toute espece d'experience, sens commun, connaissance du monde en general, convictions philosophiques, suggestions tirees de la psychologie. En particulier et tout particulierement, le linguiste tire parti de sa familiarite avec des langues diverses. Ces cadres conceptuels sont evidemment conjecturaux, puisque purement intuitifs, mais ce ne sont pas des hypotheses au sens scientifique du terme.

Ils ne sont pas verifiables par l'examen des donnees offertes a l'observation. Ce sont des instruments de la recherche, en l'occurrence des moyens utilises pour comparer les langues. Leur valeur reside dans leur fecondite. Il n'y a pas lieu de se demander s'ils sont justes ou faux, mais s'ils sont productifs ou non. S'ils permettent de decouvrir des relations interessantes commimes a des langues diverses, ils ont rempli leur fonction. S'ils n'aboutissent pas a des decouvertes, il faut les abandonner et en construire d'autres.

4. Un cadre conceptuel

Pour l'etude de la transitivite nous choisissons comme point de depart, c'est-a-dire comme cadre conceptuel, la notion d'«action prototypique», que nous definissons de la facon suivante:

(1) Definition: Une action prototypique est une action reelle, complete, discrete, volontaire, exercee par un agent humain bien individue sur un patient bien individue qui en est affecte reellement.

On admettra facilement que toutes les langues ont le moyen d'exprimer un proces ainsi defini. Autrement dit, il existe dans toutes les langues une construction employee pour exprimer une action prototypique. Cela ne signifie pas que, dans toutes les langues, cette construction sert exclusivement a cela. Bien au contraire, dans beaucoup de langues, et meme probablement, dans la plupart, elle peut servir a exprimer autre chose, actions non prototypiques ou meme proces qui ne sont pas des actions. Mais c'est cette construction qui est employee lorsqu'il s'agit d'exprimer une action prototypique, c'est-a-dire possedant les caracteristiques indiquees dans la definition (1). Nous l'appelons «construction biactancielle majeure» (sigle: CBM).

(2) Definition: La construction biactancielle majeure (CBM) est, en toute langue, celle qui sert a exprimer l'action prototypique.

Cette construction prend, selon les langues, des formes variees. Elle peut etre accusative ou ergative, comporter ou non des indices actan-ciels (marques personnelles ou autres) dans la forme verbale, mettre en jeu ou non des marques casuelles dans les termes nominaux, impliquer un ordre des mots obligatoire ou preferentiel, etc. Quelles que soient ces formes, elles ont toutes en commun d'etre susceptibles de denoter un meme type de contenu semantique, a savoir des actions prototypiques.

Nous disposons ainsi, pour la comparaison des langues, d'un point fixe, qui consiste en deux elements correles:

— sur le plan du contenu de sens ou, en termes saussuriens, des signifies, la notion d'action prototypique,

— sur le plan morphosyntaxique ou des signifiants, la construction biactancielle majeure, qui assume des formes differentes dans les diverses langues.

Nous avons donc a la fois, d'une part, un contenu de sens bien defini commun a toutes les langues et, d'autre part, des formes differentes exprimant ce contenu de sens dans les langues differentes. Nous sommes des lors en mesure de comparer legitimement ces formes differentes sur la base du contenu de sens commun. Nous pouvons aussi comparer l'extension semantique que prend, differemment dans les differentes langues, l'usage de la CBM, c'est-a-dire examiner, dans une perspective comparative, quels sont les sens qu'elle peut exprimer, dans chaque langue, en plus de l'action prototypique. Nous verrons que ce champ de recherche ne manque pas d'interet.

5. La transitivite en perspective interlinguistique

Ce qui precede (§ 4) constitue la premiere etape de la demarche: nous avons elabore un cadre conceptuel pour servir de base a la comparaison des langues, c'est-a-dire un instrument de travail choisi librement. La deuxieme etape consiste a former une hypothese verifiable par l'observation. Notre

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