Et, designant la valise, il ajouta :

— Voici l’uniforme.

Interesses, Lisa et Paulo s’approcherent de la valise. Paulo fit jouer les maigres fermoirs et souleva le couvercle. Il sortit une veste de marin a boutons dores qu’il tint ecartee devant lui, un peu comme l’eut fait un vendeur de grand magasin proposant une marchandise.

— C’est quoi ? demanda-t-il.

— Marine marchande, repondit negligemment Gessler.

— Allemande ? insista Paulo.

— Ca vous choque ? dit Gessler avec un sourire blanc.

Paulo haussa les epaules et lacha la veste pour puiser une casquette plate dans la valise. Il la coiffa d’un mouvement enfantin, puis il s’approcha de la verriere et chercha son image dans les vitres avec des contorsions cocasses.

— Y a des gars, soupira-t-il, collez-leur cette casquette sur la tronche, ils ressembleront tout de suite a des corsaires.

« Moi, ajouta-t-il, piteux, je ressemble a un facteur.

Il ota la casquette et la lanca adroitement dans la valise ouverte.

— Chacun sa gueule, soupira Paulo, c’est la vie.

Gessler tira de sa poche une sorte de carnet brunatre sur la couverture duquel luisaient des caracteres dores.

— Voici en outre un passeport au nom de Karl Ludrich, annonca-t-il.

Lisa prit le document et l’ouvrit a la page signaletique. Gessler eut un sourire triste. Tout etait grave et triste chez cet homme : sa voix, sa figure, ses manieres et sa mise.

— On s’est arrange pour que le tampon morde un peu sur la photographie, expliqua-t-il.

Lisa contemplait l’image et quelque chose de vibrant chantait en elle.

— Elle date de cinq ans, soupira la jeune femme. Il a beaucoup change ?

Gessler haussa les epaules.

— Tout le monde change en cinq ans !

— Mais lui ? insista Lisa.

— Je le vois trop souvent pour m’en rendre compte.

Elle referma le passeport a regret et le deposa dans la valise.

— Cinq ans de detention ; un homme comme Frank…

— Oui, ronchonna Paulo, il a du griffer les murs, moi je vous le dis !

Gessler le regarda d’un air surpris.

— Toutes les fois que je l’ai vu il etait calme, affirma l’Allemand.

— Les bombes aussi sont calmes avant d’exploser ! ricana Paulo.

Gessler se detourna pour consulter sa montre, mais malgre tout Lisa surprit son geste.

— Ou sont-ils, maintenant ? demanda-t-elle. 

2

Le gros fourgon cellulaire noir qui roulait a vive allure dans Stresemanstrasse ralentit pour aborder le carrefour. Comme si le passage du vehicule eut declenche quelque savant mecanisme, les feux rouges s’engloutirent dans la penombre pour laisser place aux feux verts et le fourgon reprit de la vitesse.

Le chauffeur etait un gros type blond au visage rouge. Il chantonnait en conduisant. A ses cotes, un garde arme d’une mitraillette machonnait une allumette en regardant le sombre flot de la circulation. Soudain, les lampadaires municipaux s’allumerent. Aussitot, tous les automobilistes eclairerent leurs phares. C’etait automatique. Le chauffeur du fourgon en fit autant. En trois secondes, Stresemanstrasse passa du jour mourant a la nuit. Au ciel, pourtant, de grandes lueurs mauves s’attardaient, mais cette decision collective des hommes les avaient rendues brusquement negligeables.

La voiture decrivit un arc de cercle afin d’emprunter Budapesterstrasse ; puis elle obliqua resolument a droite pour foncer en direction de l’Elbe. Comme elle arrivait en vue des batiments rococos signalant l’entree de l’Elbtunnel, deux motards de la police qui attendaient devant Landungsbrucken mirent leurs machines en marche et rejoignirent le fourgon.

Leurs cires noirs trempes de pluie luisaient a la lumiere des lampes comme des carapaces d’insectes.

Le chauffeur leur adressa un clin d’?il sans cesser de chantonner. Le cortege penetra a l’interieur du batiment et suivit la voie menant a l’ascenseur. Des automobilistes et des cyclistes faisaient la queue devant les grilles. L’immense cabine d’acier jaillit tout a coup du sol et un gardien galonne actionna les portes qui coulisserent silencieusement. Les voitures et les cyclistes s’engouffrerent a l’interieur de l’ascenseur, mais ils ne purent tous s’y loger et une demi-douzaine de cyclistes durent attendre le tour suivant. L’ascenseur disparut pour aller deposer son chargement au-dessous du fleuve. La rotation des poulies grasses sur lesquelles filaient les enormes cables permettait de mesurer la profondeur de la cage. La descente dura un bon moment, puis les poulies s’immobiliserent pour repartir bientot en sens inverse. Lorsque la cage reapparut, les cyclistes voulurent y entrer, mais les deux motards s’interposerent et firent signe au fourgon d’avancer. Docilement, les cyclistes se rangerent sur les trottoirs de bois. De meme ils n’insisterent pas lorsque les deux policiers leur condamnerent a nouveau l’acces de la cage apres l’entree du vehicule, bien qu’il restat beaucoup d’espace disponible. La scene se deroula sans un mot. Le prepose referma les grilles sur les policiers et actionna d’un geste indifferent le levier de descente.

Appuyes sur leurs velos, les ouvriers regarderent s’enfoncer la vaste cabine illuminee.

Aucun ne pensa au prisonnier qui se trouvait a l’interieur du fourgon. 

3

Ils se taisaient depuis un bon moment deja. Tous trois restaient immobiles et deserts comme des statues. Soudain Lisa esquissa un furtif signe de croix.

— Vous etes croyante ? demanda Gessler.

— Non, fit Lisa, mais il ne faut rien negliger.

Gessler sourit.

— C’est tres francais, fit-il.

— Pourquoi ? grogna Paulo.

Gessler ne repondit pas et le petit homme lui jeta un regard charbonneux. Lisa poussa une exclamation qui fit sursauter les deux hommes. D’instinct ils regarderent au-dehors, mais le port etait calme et gris et continuait de se diluer dans une brume ou fulguraient les lampes a arc.

— Qu’avez-vous ? questionna Gessler.

— Je viens de penser que j’ai oublie mon poste de radio dans ma chambre.

— Pourquoi la radio ?

— Pour les informations !

— L’information qui vous interesse, vous l’aurez avant le bulletin d’informations, ma chere Lisa, dit Gessler en s’efforcant de prendre un ton leger. Mais il y parvenait difficilement.

C’etait un homme sans humour, aux manieres dures. Sa courtoisie n’etait jamais de l’affabilite. Malgre ses elans, il restait raide et froid.

— Si ca ne reussissait pas, murmura la jeune femme, il faudrait bien que nous le sachions autrement que par le silence et l’attente ?

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