Grincheux, le petit homme s’avanca, posa le poste de radio sur le bureau et rendit a Gessler ses cles de voiture. Gessler avait retire ses mains, Paulo montra le poste.

— Il a une bonne sonorite, dit-il, on sent que c’est made in Germany !

Gessler coupa le contact et l’appareil redevint silencieux.

— Il est inutile de le faire marcher maintenant, trancha l’avocat.

— Vous croyez qu’ils sont dans le tunnel, maintenant ? demanda Lisa.

Gessler regarda sa montre.

— C’est possible.

— C’est dans le premier ou dans le second ascenseur que ca doit se passer ? demanda-t-elle.

— Dans le second, c’est-a-dire dans celui de la remontee. Il etait preferable de leur laisser traverser le fleuve, sinon, en cas d’anicroche, ils se seraient fait bloquer dans le tunnel. 

4

L’allumette avait diminue de moitie entre les dents du garde.

Le chauffeur avait lache son volant afin de pouvoir croiser ses jambes boudinees. Acagnarde contre la porte dans une pose tres abandonnee, il considerait son compagnon d’un ?il amuse.

— Tu ne fumes plus, c’est vrai ! remarqua-t-il.

Les grilles du deuxieme ascenseur venaient de se refermer sur le fourgon et l’enorme cabine d’acier remontait le vehicule dans un mouvement lent et si doux qu’il n’etait presque pas perceptible.

— J’ai de l’asthme, fit le garde en crachant une brindille d’allumette.

Sur ses genoux, la mitraillette noire scintillait a la clarte du tableau de bord.

— Tu le savais, toi, qu’on aurait une escorte ? demanda-t-il.

— Non, mais ils ont du decider ca a cause du tunnel… Pour le cas ou…

Il n’acheva pas. La portiere contre laquelle il etait appuye venait de s’ouvrir brutalement ; desequilibre, le gros garcon blond bascula en arriere. Il eut la vision fulgurante d’une matraque brandie, puis il sombra dans l’inconscience. Son compagnon avait commence de rire, croyant que c’etait a la suite d’un faux mouvement du chauffeur que la portiere s’etait ouverte. Il plongea en avant pour tenter de le retenir mais sa propre portiere s’ouvrit a la volee et une main preste lui arracha la mitraillette.

— Ne bouge pas ! fit une voix.

Le garde se redressa et apercut l’un des motards qui le couchait en joue avec sa propre mitraillette. Quelque chose siffla.

Il voulut tourner la tete mais recut un terrible coup de matraque et s’effondra sur la banquette.

— Collons-les sous le tableau de bord ! dit le matraqueur au second motard.

Ce dernier hocha la tete et, sans menagement, fit basculer le garde inanime sur le plancher du fourgon. De son cote, son camarade hissait le conducteur a l’interieur du vehicule.

— Tu crois que nous pourrons tenir tous les quatre ? demanda Freddy.

Il parlait un allemand de cuisine qui, chaque fois, faisait ricaner le matraqueur.

— C’est necessaire, repondit Baum.

Ils parvinrent a se loger dans la cabine du fourgon, malgre les deux corps qui l’encombraient. L’ascenseur venait de s’immobiliser et deja les portes coulissaient, decouvrant une population patiente, sagement canalisee.

Le liftier, un vieil invalide a cheveux blancs, leur adressa un aimable hochement de tete lorsqu’ils passerent.

— Maintenant remue-toi, mon pote, lacha Freddy ; quand ils vont trouver les deux motos toutes seules, ca va leur mettre la puce a l’oreille.

Baum appuya sur l’accelerateur. Le fourgon manquait de nerf.

— Ces moteurs diesel, c’est pas le reve, dit Freddy en francais.

— Was ? demanda son compagnon. Freddy negligea de traduire. Le vehicule venait de se degager du flot d’ouvriers masses devant l’entree du tunnel. Une esplanade aux paves mouilles, luisante et desolee sous la lumiere de lampadaires trop hauts, s’offrait. Le conducteur prit a gauche. Les deux gardiens assommes geignaient faiblement sur le plancher de la voiture. 

5

— Vos types sont vraiment a la hauteur ? questionna Paulo apres un furtif regard a sa montre.

Les machoires de Gessler se crisperent.

— Bien que ce ne soient pas « mes types », fit-il, j’en suis convaincu.

Paulo pressa ses deux poings l’un contre l’autre.

— Ce que je voudrais y etre ! soupira le petit homme.

— Ce n’etait guere possible, assura l’avocat avec un sourire meprisant : vous ne parlez pas l’allemand, et puis, comme vous le faisiez remarquer tout a l’heure, vous supportez mal l’uniforme.

Paulo fronca son gros nez constelle de vilains petits crateres.

— Bon, je descends rejoindre Walter a l’entrepot pour l’aider a receptionner ces messieurs.

Il prit l’escalier interieur et fut surpris par l’odeur fade de l’immense local. Une odeur de cuir et de denrees perissables.

Lisa etait assise au bureau et contemplait un calendrier imprime en caracteres gothiques. La gravure representait une grosse fille blonde, plantureuse, et Lisa se dit que Mme Gessler devait ressembler a cela, jadis.

— Supposons que le fourgon cellulaire n’ait pas pris par le tunnel ? murmura-t-elle.

— Allons donc, sourit Gessler, le pont est a l’autre bout de la ville !

Il vit qu’elle se tordait les doigts. Il fut vaguement choque.

— Vous l’aimez tant que cela ?

Le regard qu’elle lui jeta etait celui de quelqu’un qu’on vient de reveiller en sursaut. Elle hesita et eut un furtif acquiescement.

— Vous ne lui avez absolument parle de rien, n’est-ce pas ? demanda Lisa.

— Mais non : de rien.

— Pas meme un sous-entendu ?

— Je lui ai seulement dit, lors de ma derniere visite, que vous continuiez a vous occuper de lui.

— Et comment a-t-il reagi ? demanda vivement la jeune femme.

— Ca fait cinq ans que je lui repete la meme chose, il ne reagit plus !

Elle eut du mal a retrouver son souffle. Ce que lui disait Gessler la navrait.

— Parce qu’il ne vous croit pas ?

L’avocat secoua la tete.

— Est-ce que je peux savoir ce qu’il croit et ce qu’il ne croit pas ? Est-ce que je peux savoir ce qu’il pense ? Lisa, vous rappelez-vous sa tete au moment du proces ? Il regardait le plafond, comme si tout cela ne le concernait pas ; comme s’il s’ennuyait, et quand je lui ai traduit la sentence : detention a vie…

Il se tut, evoquant trop intensement cet instant pour pouvoir l’exprimer.

— Il s’est penche sur vous et vous a parle, poursuivit Lisa.

— Savez-vous ce qu’il m’a dit ?

Elle secoua la tete d’un air interrogateur.

Gessler fixa ses ongles bien tailles, puis tourna la tete vers sa compagne.

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