Grincheux, le petit homme s’avanca, posa le poste de radio sur le bureau et rendit a Gessler ses cles de voiture. Gessler avait retire ses mains, Paulo montra le poste.
— Il a une bonne sonorite, dit-il, on sent que c’est made in Germany !
Gessler coupa le contact et l’appareil redevint silencieux.
— Il est inutile de le faire marcher maintenant, trancha l’avocat.
— Vous croyez qu’ils sont dans le tunnel, maintenant ? demanda Lisa.
Gessler regarda sa montre.
— C’est possible.
— C’est dans le premier ou dans le second ascenseur que ca doit se passer ? demanda-t-elle.
— Dans le second, c’est-a-dire dans celui de la remontee. Il etait preferable de leur laisser traverser le fleuve, sinon, en cas d’anicroche, ils se seraient fait bloquer dans le tunnel.
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— Vos types sont vraiment a la hauteur ? questionna Paulo apres un furtif regard a sa montre.
Les machoires de Gessler se crisperent.
— Bien que ce ne soient pas « mes types », fit-il, j’en suis convaincu.
Paulo pressa ses deux poings l’un contre l’autre.
— Ce que je voudrais y etre ! soupira le petit homme.
— Ce n’etait guere possible, assura l’avocat avec un sourire meprisant : vous ne parlez pas l’allemand, et puis, comme vous le faisiez remarquer tout a l’heure, vous supportez mal l’uniforme.
Paulo fronca son gros nez constelle de vilains petits crateres.
— Bon, je descends rejoindre Walter a l’entrepot pour l’aider a receptionner ces messieurs.
Il prit l’escalier interieur et fut surpris par l’odeur fade de l’immense local. Une odeur de cuir et de denrees perissables.
Lisa etait assise au bureau et contemplait un calendrier imprime en caracteres gothiques. La gravure representait une grosse fille blonde, plantureuse, et Lisa se dit que Mme Gessler devait ressembler a cela, jadis.
— Supposons que le fourgon cellulaire n’ait pas pris par le tunnel ? murmura-t-elle.
— Allons donc, sourit Gessler, le pont est a l’autre bout de la ville !
Il vit qu’elle se tordait les doigts. Il fut vaguement choque.
— Vous l’aimez tant que cela ?
Le regard qu’elle lui jeta etait celui de quelqu’un qu’on vient de reveiller en sursaut. Elle hesita et eut un furtif acquiescement.
— Vous ne lui avez absolument parle de rien, n’est-ce pas ? demanda Lisa.
— Mais non : de rien.
— Pas meme un sous-entendu ?
— Je lui ai seulement dit, lors de ma derniere visite, que vous continuiez a vous occuper de lui.
— Et comment a-t-il reagi ? demanda vivement la jeune femme.
— Ca fait cinq ans que je lui repete la meme chose, il ne reagit plus !
Elle eut du mal a retrouver son souffle. Ce que lui disait Gessler la navrait.
— Parce qu’il ne vous croit pas ?
L’avocat secoua la tete.
— Est-ce que je peux savoir ce qu’il croit et ce qu’il ne croit pas ? Est-ce que je peux savoir ce qu’il pense ? Lisa, vous rappelez-vous sa tete au moment du proces ? Il regardait le plafond, comme si tout cela ne le concernait pas ; comme s’il s’ennuyait, et quand je lui ai traduit la sentence : detention a vie…
Il se tut, evoquant trop intensement cet instant pour pouvoir l’exprimer.
— Il s’est penche sur vous et vous a parle, poursuivit Lisa.
— Savez-vous ce qu’il m’a dit ?
Elle secoua la tete d’un air interrogateur.
Gessler fixa ses ongles bien tailles, puis tourna la tete vers sa compagne.