Il y eut une periode de silence. Lisa passa derriere Frank et noua ses deux bras autour de son cou.

— Je n’ai pas voulu qu’on te previenne afin de t’eviter une desillusion pour le cas ou ca aurait rate.

— Tu comprends, expliqua Paulo, il fallait attendre l’occasion. Ce transfert, tu parles d’une providence !

Gessler boutonna son vetement :

— Je souhaite que cette providence se manifeste au moins jusqu’a Copenhague, dit-il. Je vais vous laisser ; il vaut mieux que je ne m’attarde pas trop ici. Surtout soyez prets a sept heures et demie. Le cargo ne pourrait pas attendre, car les services des douanes ferment a ce moment-la.

Il prit ses gants de cuir noir dans sa poche, en enfila un tout en considerant le couple et ajouta :

— Bien entendu, le commandant du bateau est au courant. Bonne chance !

— He ! ca ne se dit pas ! protesta Paulo.

— Excusez-moi.

Frank se leva.

— Vous n’avez pas peur que les flics vous cherchent des histoires ?

— C’est un risque a courir, dit Gessler.

Ils se devisagerent comme deux personnes qui ne se connaissent pas et qui doivent conclure un accord.

— Merci pour tout, maitre, murmura Frank en tendant ses mains enchainees.

Gessler serra rapidement les mains de Frank et se tourna vers la jeune femme. Il vit qu’elle pleurait et il ressentit une curieuse brulure au fond de sa gorge.

— Monsieur Gessler, balbutia-t-elle.

Mais elle ne put en dire davantage. Il lui adressa un petit geste vague pour lui faire comprendre qu’il etait inutile de parler.

— Comment appelez-vous, en France, ces plantes aux feuilles decoupees qui sont si decoratives ? demanda-t-il.

— Des philodendrons, murmura Lisa.

Gessler hocha la tete.

— Nous en avons un magnifique a la maison. Il nous donne quatre belles feuilles par an et il envahit tout l’appartement.

Sa phrase ressemblait a un message en code. Elle contenait un sens secret qui echappait a Paulo et a Frank. L’avocat cueillit la main inerte de Lisa et la porta a ses levres. Puis il la lacha et sortit sans se retourner. Tous trois le regarderent disparaitre.

— Il aurait pu me dire au revoir a moi aussi, fit Paulo, j’existe !

Puis, d’une voix hargneuse, il questionna en se tournant vers Lisa :

— Qu’est-ce qu’il debloque avec ses philodendrons ?

Elle ne repondit pas. Frank tira sur sa cigarette et expulsa une grosse bouffee bleutee.

— Excusez-moi de ma franchise, reprit Paulo, mais j’aime pas beaucoup ce mec-la. C’est dur d’avoir de l’antipathie pour les gens qui vous font du bien, vous ne trouvez pas ?

Il ne recut aucune reponse. Il se rabattit sur Warner et chercha quelque chose a lui dire, mais il ne parlait pas un mot d’allemand.

L’Allemand lui sourit gentiment.

— Si t’etais pas si c… tu causerais francais ! lui dit Paulo.

Le sourire de Warner s’agrandit. 

* * * 

— Frank, mon amour !

Il releva la tete. Jadis, elle lui disait des mots tendres, certes, mais sans employer jamais le mot amour. Un jour il lui en avait fait la remarque et elle avait eu du mal a s’expliquer. Pour elle, amour etait un mot veneneux qui l’effrayait.

— Je finissais par croire que nous ne nous reverrions jamais, Frank. Tu me trouves changee ?

Il la regarda lourdement, avec une pointe d’insolence qui effraya Lisa.

— C’est curieux comme on imagine les gens quand on reste cinq ans sans les voir, finit-il par murmurer.

Paulo se sentit de trop.

— Je me demande ce que foutent les autres avec leur fourgon, fit-il en se dirigeant vers l’entrepot. On descend voir ? proposa-t-il a Warner. Et comme l’autre ne bougeait pas, il demanda :

— Dites, Lisa, comment dit-on : viens mon pote, en allemand ?

Lisa dit a Warner d’accompagner Paulo et les deux hommes sortirent. Lorsqu’elle fut seule avec Frank, au lieu d’eprouver du soulagement elle ressentit au contraire une confuse angoisse.

— Comment m’imaginais-tu ? demanda la jeune femme.

— Comme tu es, precisement, affirma Frank, et c’est cela qui me surprend. Tu corresponds trop a l’image que je m’etais faite de toi.

De ses mains entravees il lui caressa doucement le visage.

— Je me disais, commenca-t-il.

Mais il se tut et ses yeux se deroberent.

— Tu te disais quoi, Frank ?

Il secoua la tete.

— Non, laisse, j’ai perdu l’habitude de parler.

Elle parcourut le visage de son amant du bout des levres, decouvrant de nouvelles et imperceptibles rides. Il avait du terriblement souffrir entre les murs de sa cellule.

— Qu’est-ce qui t’a le plus manque pendant ces cinq annees ? questionna Lisa avec un rien de coquetterie.

La question le fit reflechir. Il sourit, en coin et prit son petit air canaille pour murmurer :

— Je te le dis ?

Elle savait que ce serait decevant ; resignee malgre tout, elle soupira :

— Mais oui : dis !

— Les arbres, fit gravement Frank. Les arbres, Lisa !

Elle se demanda s’il etait sincere ou s’il trichait. Il avait toujours eu des coups de lyrisme deconcertants. Par moments, cet etre violent et froidement passionne sombrait dans une poesie factice et semblait vouloir s’y embaumer. Il ressortait de ces etranges depressions plus dur et plus amer.

Cette fois-ci, il etait sincere.

— Les arbres ? repeta Lisa.

Elle avait du mal a evoquer un arbre. Le mot s’etait vide de toute signification.

— J’ai mis cinq ans a apprendre ce que c’est qu’un arbre, declara Frank. Maintenant je sais…

Il s’approcha de la verriere pour regarder au-dehors. Dans le soir mouille, crible de lumieres malades, il ne decouvrait aucune vegetation.

— On n’en voit toujours pas, remarqua le garcon. Du fer, du beton, partout ! Les hommes tuent le monde.

Elle s’approcha de lui par-derriere et lui ceintura la taille. La joue appuyee contre le dos de Frank, Lisa chuchota d’une voix brisee.

— Oh ! Frank ! Dis-moi que c’est toi ! Que c’est bien toi !

— C’est moi, dit Frank.

Au moment du proces, enchaina-t-elle, je ne comprenais pas encore l’allemand. J’etais seule dans la salle. Quand on a rapporte le verdict je n’ai pas su tout de suite. C’est Gessler qui m’a appris un peu plus tard. Ces quelques minutes d’incertitude, Frank… Elles ont ete plus longues que toute ma vie. Lorsque j’ai su que tu etais condamne a la detention perpetuelle…

Elle reprit sa respiration difficilement.

— C’est curieux, mais j’ai ressenti une espece de soulagement.

Il rit.

— C’etait pourtant le maximum, puisque la peine de mort est abolie ici.

Il ajouta hargneusement :

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