Freddy se coula sur la banquette pour emprunter le meme chemin, car il ne pouvait descendre par l’autre cote puisque le fourgon surplombait le chenal.

A l’interieur du fourgon, le chauffeur et le garde criaient comme des perdus en cognant contre les parois.

— On va leur administrer un tranquillisant, ricana Freddy.

Il regarda autour de lui. La nuit etait presque tombee et ils se trouvaient isoles dans une vaste zone d’ombre herissee de blocs de ciment dont l’armature pointait comme des os.

— On y va ! fit-il a son compagnon.

Baum acquiesca. Ils se placerent a l’arriere du gros vehicule et se mirent a pousser. De l’autre cote des portes, les deux hommes enfermes s’evertuaient. Leurs coups de pied se repercutaient dans les bras de Freddy. C’etait une impression desagreable et il avait hate d’en finir. Malgre leurs efforts, le fourgon ne bougea pas d’un centimetre. Freddy retourna a la cabine. Il vit que la voiture etait restee en prise et debloqua en jurant le levier de vitesses.

— Tu es une vraie truffe ! dit-il a Baum.

Ils se remirent a pousser. Cette fois, le fourgon se deplaca mollement, sans opposer de resistance. La roue avant droite se trouva au-dessus du vide et la voiture oscilla. A l’interieur, les hommes avaient pris conscience de ce desequilibre et ils se turent.

— Maintenant un bon coup de reins ! decida Baum. Ein, zwei, drei !

Le fourgon bascula. Il y eut un « plouff » enorme assorti d’un bruit de claque. L’auto noire ne coula pas tout de suite. Elle resta un instant sur le flanc, pareille a un cetace echoue. L’eau entrait en bouillonnant par tous ses orifices. A l’interieur, les gardes s’etaient remis a hurler, mais cette fois, leurs cris ne contenaient plus de colere. C’etaient des cris de terreur. Ils venaient de comprendre et une sorte d’hysterie s’emparait d’eux.

Inquiet, Baum examina les environs. Freddy le rassura d’un hochement de tete.

— Non, lui dit-il, a cinquante metres ca ne s’entend plus. Et puis il n’y en a pas pour longtemps.

Le fourgon s’enfonca et disparut dans l’eau sombre.

— C’est vachement profond ce truc-la, admira Freddy. C’est vrai qu’on ne remise pas des sous-marins dans une cuvette, hein ! Il se pencha au-dessus du chenal pour regarder et poussa un juron. Une lumiere bizarre brillait au fond de l’eau.

— Espece de c… ! aboya-t-il en secouant Baum par le bras, t’as oublie d’eteindre les phares, regarde !

Baum se pencha a son tour. Il trouva l’effet joli et sourit.

— Ca ne va pas briller tres longtemps, assura-t-il.

Ils tendirent l’oreille et crurent percevoir encore des cris. Cela semblait parvenir d’un autre monde.

— Le couloir du fourgon ne doit pas etre tout a fait plein, expliqua-t-il a son camarade, comme ca, nos petits copains auront le temps de faire leur priere.

Il s’etira et respira profondement l’air humide. Le chantier sentait le bois pourri. 

7

— Tu veux une cigarette, Frank ? demanda Lisa.

Il accepta d’un hochement de tete et allongea ses pieds sur le bureau.

— Ou font-ils basculer la voiture ? questionna-t-il.

— T’inquiete pas, s’empressa Paulo, ca se passe dans un endroit etudie pour. Ca fait huit jours qu’on l’avait repere. D’ici qu’on la repeche, de l’eau aura coule sous le pont !

Il rit. Mais sa joie etait factice et ne trouva pas d’echo. Lisa alluma une cigarette et la glissa entre les levres de Frank. Gessler lisait l’amour de la jeune femme pour l’evade dans ses moindres gestes.

— Ils s’y sont pris comment ? poursuivit Frank. Dans mon carrosse, je ne me suis rendu compte de rien.

Ce fut Gessler qui donna les explications. Il avait besoin de sortir de sa louche torpeur. Il devait reagir, lutter…

— Le fourgon cellulaire devait emprunter l’Elbtunnel. Un ascenseur descend les vehicules.

— En effet, j’ai senti.

— Deux faux motards sont entres en meme temps que le fourgon dans l’ascenseur.

— Dont Freddy, precisa Paulo avec orgueil, comme si l’exploit de son ami l’aureolait d’un prestige delicat.

— Pendant la remontee, continua Gessler, ils ont neutralise le chauffeur et le garde qui l’escortait.

— Ni vu ni connu, exulta Paulo. Si ca se trouve, il s’ecoulera plusieurs heures avant que l’alarme soit donnee.

Frank appreciait la simplicite et l’efficacite du plan. C’etait du beau travail.

— Et la suite du programme ? demanda-t-il.

Il s’etait adresse a Gessler.

— A sept heures et demie, un cargo va remonter le fleuve a destination du Danemark ; vous embarquerez tous.

Lisa ouvrit la valise.

— Il y a la un uniforme a ta taille et de faux papiers.

Frank regarda les hardes d’un ?il pensif.

— Et s’il y avait du petard dans le secteur au moment de l’embarquement ? demanda-t-il.

— Prevu aussi ! assura fierement Paulo.

— Oui, dit Lisa ; nous nous entasserions dans une immense caisse qui nous attend sur le quai d’embarquement de cet entrepot.

Paulo montra Walter d’un hochement de tete.

— Lui et son copain, ils nous chargeront tous les quatre a bord du barlu avec une grue ; c’est plaisant, non ?

Jusque-la, Frank n’avait accorde que peu d’attention a Walter.

— Qui sont ces types ? questionna-t-il.

— Des specialistes. Et crois-moi, ils en connaissent un brin sur la question. Avec eux on ne bavarde pas : on agit ; d’ailleurs tu as pu t’en rendre compte.

— Et ou les avez-vous deniches, ces specialistes ? insista Frank.

— C’est M. Gessler qui nous les a procures, expliqua Lisa.

Frank adressa une petite courbette a son avocat.

— Eh bien, maitre, plaisanta le garcon, vous avez de curieuses relations.

— C’est mon metier qui le veut, riposta Gessler. J’ai defendu un roi de la pegre dernierement. C’est a lui que j’ai adresse Lisa.

Frank tressaillit en entendant Gessler employer le prenom de Lisa. Il les regarda alternativement en sifflotant entre ses dents, puis lacha tout de go :

— Merci, maitre.

Il ajouta avec un sourire tout en dents :

— Vous cachez bien votre jeu !

— C’est son metier de donner le change, fit Paulo.

— Vous paraissiez plus severe encore que mes geoliers, affirma Frank sans lacher Gessler des yeux. J’etais loin de me douter que vous me feriez evader.

— J’etais loin de m’en douter aussi, riposta durement l’avocat.

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