– Parce que trois des fameux Six y sont. J’ai fait faire une petite enquete; ils y sont tous les trois: Lauengram, Krafstein et le jeune Rupert Hentzau – trois coquins – les plus grands coquins, ma foi, de toute la Ruritanie!
– Eh bien?
– Eh bien! Fritz est a bout de patience, et veut que vous marchiez contre le chateau avec cavalerie, infanterie, artillerie.
– Pourquoi faire? demandai-je. Pour draguer les fosses?
– Cela ne nous menerait a rien, reprit Sapt d’un air sombre; nous n’y trouverons pas meme le corps du roi!
– Vous etes sur que le roi est au chateau?
– C’est plus que probable. En dehors de ce fait probant, la presence des trois acolytes, le pont-levis est toujours leve, et personne ne penetre sans un ordre formel, signe par Hentzau ou par le duc Noir en personne. Il faut contenir l’impatience de Fritz, l’attacher, si c’est necessaire.
– J’irai a Zenda, fis-je.
– Vous etes fou!
– Un de ces jours.
– Il est plus que probable que, ce jour-la, vous y resterez.
– Nous verrons bien, mon bon ami, fis-je negligemment.
– Votre Majeste parait de mauvaise humeur», remarqua Sapt.
Il me regarda un instant, puis alluma sa pipe.
J’etais, il est vrai, d’une humeur de dogue.
«Ou que j’aille, continuai-je d’un ton bourru, je suis toujours escorte d’une demi-douzaine d’espions.
– Je le sais, parbleu! C’est moi qui les mets a vos trousses, repondit-il avec calme.
– Pourquoi?
– Mais, reprit Sapt, en lancant dans l’air des spirales de fumee bleue, parce que cela ferait les affaires du duc Noir si vous veniez a disparaitre. Vous en moins, le jeu que nous avons interrompu recommencerait; au moins cela lui laisserait une chance.
– Je suis capable de prendre soin de moi.
– De Gautel, Bersonin et Detchard sont a Strelsau, et aucun d’eux, mon ami, n’hesiterait une seconde a vous couper la gorge; ils ne feraient pas plus de facons que je n’en ferais s’il s’agissait du duc Noir, et peut-etre n’y mettraient-ils pas autant de formes que je suis dispose a en mettre. De qui est cette lettre?»
Je l’ouvris, et lus tout haut:
«Si le roi desire savoir ce qu’il lui importe beaucoup de savoir, qu’il fasse ce que cette lettre lui dira. Au bout de la grande avenue, il y a une maison cachee au milieu de jardins. La maison a un portique orne d’une nymphe. Un mur entoure les jardins. Dans ce mur, il y a une grille. A minuit, cette nuit, si le roi entre
«C’est vrai, fit observer Sapt, quand j’eus fini… Mais il est tres capable de dicter une lettre de ce genre.»
Mon impression etait conforme a celle de Sapt. J’allais jeter la lettre au panier quand j’apercus quelques lignes ecrites en travers, sur l’autre page, et qui m’avaient d’abord echappe.
«Ce n’est pas tout, dis-je.
«Si vous hesitez, disaient ces lignes, consultez le colonel Sapt…
– Ah! bah! fit celui-ci fort etonne. Me croit-elle plus fou que vous?»
Je lui fis signe de se taire.
«Demandez-lui quelle est la femme qui ferait tout au monde pour empecher le duc d’epouser sa cousine, et par consequent pour l’empecher de devenir roi. Demandez-lui si son nom ne commence pas par un A.»
Je bondis hors de mon fauteuil.
Sapt posa sa pipe.
«Antoinette de Mauban! m’ecriai-je.
– Comment savez-vous cela?» demanda Sapt. Je lui contai ce que je savais de la dame, et comment je le savais. Il acquiesca de la tete.
«Il est parfaitement vrai qu’elle a eu une explication orageuse avec Michel, dit-il pensif.
– Si elle voulait, elle pourrait nous servir, repris-je.
– Je crois pourtant que c’est Michel qui a dicte cette lettre.
– Moi aussi; mais je compte m’en assurer, et j’irai, Sapt.
– Non, c’est moi qui irai, dit-il.
– Oui, vous pouvez aller jusqu’a la grille.