– J’irai au pavillon.
– Que je sois pendu si je vous laisse ce soir», dis-je. Je me levai et me campai, le dos a la cheminee.
«Sapt, j’ai confiance en cette femme et j’irai, Sapt.
– Je n’ai confiance en aucune femme, reprit Sapt, et vous n’irez pas.
– Ou j’irai ce soir au pavillon, ou je repars pour l’Angleterre.»
Sapt commencait a savoir jusqu’ou il pouvait tendre la corde, et quand il fallait ceder.
«Nous jouons a contre-mesure, repris-je, et nous perdons notre temps. Chaque jour qui passe augmente les risques: risque, pour le roi, d’etre assassine; risque, pour moi, d’etre decouvert. C’est trop dangereux! Sapt, il faut risquer le tout pour le tout.
– Comme vous voudrez!» fit-il, avec un soupir.
Bref, le soir meme, a onze heures et demie, Sapt et moi, nous montions a cheval.
Fritz, laisse de garde au palais, ne fut pas instruit de notre destination.
La nuit etait tres sombre. Je n’avais pas d’epee; mais je m’etais muni d’un revolver, d’un long couteau et d’une lanterne sourde.
Nous arrivames devant la grille. Je mis pied a terre.
Sapt me tendit la main.
«J’attendrai ici, dit-il. Si j’entends un coup de feu, je…
– Ne bougez pas; c’est la derniere chance du roi. Il ne faut pas qu’il vous arrive malheur aussi.
– Vous avez raison; bonne chance!»
Je poussai la petite porte; elle ceda, et je me trouvai au milieu de taillis incultes. Je vis un sentier herbu; je le pris sur la droite, selon les instructions que j’avais recues, et je le suivis en marchant avec precaution… Ma lanterne etait fermee et je tenais mon revolver a la main. Tout etait silencieux.
Tout a coup, je vis surgir devant moi, dans la nuit, une grande ombre noire. C’etait le pavillon. Je gravis les quelques marches et me trouvai en face d’une petite porte de bois vermoulu qui pendait sur ses gonds. Je la poussai, et entrai.
Une femme se precipita au-devant de moi, et s’empara de ma main.
«Fermez la porte», souffla-t-elle.
J’obeis, et braquai sur elle le rayon de ma lanterne. Elle etait en grande toilette decolletee, ce qui faisait valoir sa taille superbe; le visage etait tres beau. Nous nous trouvions dans une petite piece nue, meublee seulement de quelques chaises et d’une petite table de fer comme celles sur lesquelles on sert le cafe dans un jardin, ou que l’on voit a la porte des restaurants.
«Pas un mot! dit-elle, le temps nous presse. Ecoutez-moi. Je vous connais, monsieur Rassendyll. C’est moi qui vous ai ecrit cette lettre, sur l’ordre du duc.
– C’est bien ce que j’avais pense.
– Dans vingt minutes, trois hommes seront ici pour vous tuer.
– Trois! Les trois?
– Oui, il ne faut pas les attendre. Si vous tardez, c’en est fait de vous.
– A moins que je ne me debarrasse de mes ennemis.
– Ecoutez, ecoutez! Une fois mort, on portera votre corps dans quelque quartier mal fame de la ville. C’est la qu’on le trouvera. Michel alors fera arreter tous vos amis, le colonel Sapt et le capitaine von Tarlenheim en premier, proclamera l’etat de siege a Strelsau et enverra un message a Zenda, ou les trois autres acolytes sont charges d’assassiner le roi. Le duc se fait reconnaitre roi, ou, s’il ne se sent pas assez fort, il fait reconnaitre la princesse.
«De toute facon, il l’epouse et devient roi de fait et bientot de nom. Comprenez-vous?
– C’est un joli complot. Mais pourquoi vous, madame…?
– Que j’agisse par charite ou par jalousie, qu’importe, mon Dieu? Me faudra-t-il voir ce mariage? Maintenant, partez et rappelez-vous ceci – c’etait surtout cela que j’avais a vous dire – c’est que toujours et partout, le jour comme la nuit, vous etes en danger. Trois hommes determines, incapables de pitie, vous guettent, montent la garde autour de vous. Trois autres hommes guettent les premiers. Les sbires de Michel ne vous perdent jamais de vue. Si une fois ils vous trouvaient seul, c’en serait fait de vous! Maintenant, partez. Non, attendez; la porte doit etre deja gardee a cette heure. Descendez doucement: au-dela du pavillon, a cent metres environ contre le mur, vous trouverez une echelle. Escaladez le mur et fuyez.
– Et vous? demandai-je.
– J’ai une partie difficile a jouer. Si Michel decouvre ce que j’ai fait, nous ne nous reverrons pas. Sinon, il se peut que je… Mais, il n’importe. Partez sur l’heure.
– Que lui direz-vous?
– Que vous n’etes pas venu, que vous avez devine le piege.
Je pris sa main et la baisai.
«Madame, vous avez rendu un grand service au roi, cette nuit. Dans quelle partie du chateau le tient-on enferme?»
Elle repondit si bas que je dus tendre l’oreille. J’ecoutais avidement.