– Il faut que ce soit l’effet de la couronne royale, car je vous aime depuis le jour du couronnement.

– Vous ne m’aimiez pas, alors, auparavant?» fis-je vivement.

Elle riait d’un rire tres doux.

«Est-ce que vous seriez content si je repondais non?

– Ce «non» serait-il sincere?

– Oui», fit-elle, si bas, si bas que j’eus peine a l’entendre; puis elle reprit presque immediatement:

«Soyez prudent, Rodolphe; soyez prudent, mon bien-aime. Il va etre furieux.

– Qui? Michel? Quand Michel serait le pire…

– Y a-t-il rien de pire?»

Une seule chance me restait encore pour sortir de cette impasse. Je fis un supreme effort, et, dominant mon emotion, j’abandonnai ses mains et me reculai de quelques pas. Aujourd’hui encore je me rappelle les gemissements de la brise dans les ormes du parc a cet instant.

«Et si je n’etais pas le roi, commencai-je. Si j’etais un simple gentilhomme?»

Avant que j’eusse termine, sa main etait dans la mienne.

«Si vous etiez un forcat dans la prison de Strelsau, vous seriez encore mon roi», dit-elle.

A voix basse, je murmurai: «Dieu me le pardonne!» et, tenant sa main dans la mienne, je repetai:

«Si je n’etais pas le roi…»

– Oh! oh! protesta-t-elle. Je ne merite pas cela; je ne merite pas que vous doutiez de mes sentiments.»

Elle recula legerement.

Pendant plusieurs minutes nous restames ainsi face a face; et, tandis que je pressais ses mains, j’appelai a mon aide tout ce que la conscience et l’honneur me laissaient encore de forces pour lutter contre la fatalite des circonstances.

«Flavie, dis-je d’une voix etranglee et rauque qui ne semblait pas m’appartenir; Flavie, je ne suis pas…»

Comme je prononcais ces mots, comme elle levait les yeux vers moi, un pas lourd fit craquer le gravier du jardin.

Flavie poussa un cri. Ma phrase commencee expira sur mes levres. Sapt parut a l’une des portes-fenetres. Il s’inclina profondement, me regardant d’un air severe.

«Votre Majeste daignera m’excuser, dit-il, mais Son Eminence le cardinal attend deja depuis un quart d’heure et desire prendre conge d’elle.»

Nos regards se croiserent; et je lus dans ses yeux un reproche et un conseil.

Depuis combien de temps ecoutait-il? Je l’ignore; ce que je sais, c’est qu’il etait entre au bon moment.

«Il ne faut pas faire attendre Son Eminence», dis-je.

Mais Flavie, dans la tendresse de qui ne se projetait aucune ombre, les yeux brillants et les joues roses, tendit la main a Sapt avec un sourire radieux.

Elle ne parla pas; qu’aurait-elle pu dire qui eut ajoute a l’eloquence de son regard?

Un sourire triste plissa la levre du vieux soldat, et c’est avec une vraie emotion dans la voix que, lui baisant la main, il dit:

«Dans la joie comme dans la peine, dans la bonne fortune comme dans la mauvaise, que Dieu garde Votre Altesse Royale!»

Puis il ajouta, se redressant et se mettant au port d’arme:

«Mais, avant tout: Vive le roi! Dieu protege le roi!»

Flavie prit ma main et la baisa en murmurant:

«Amen… Dieu bon, amen!»

Nous rentrames dans la salle de bal, ou nous nous trouvames separes par nos devoirs respectifs. Chacun, apres m’avoir fait ses adieux, allait prendre conge de la princesse. Sapt circulait dans la foule d’un air affaire, et partout ou il avait passe ce n’etaient que sourires et murmures. Je ne doutais pas que, fidele a son plan, il fut occupe a repandre la bonne nouvelle. Maintenir la couronne et vaincre le duc Noir, telle etait sa resolution bien precise. Flavie, moi-meme, et, helas! le veritable roi enferme a Zenda, etions les pieces de son echiquier; et les pieces d’un echiquier n’ont rien a voir avec la passion.

Il ne se contenta pas d’ailleurs de faire circuler ce bruit dans le palais: il alla le porter dehors. J’en eus bientot la preuve, car, lorsque, reconduisant Flavie jusqu’a sa voiture, nous descendimes les degres de marbre, nous fumes accueillis par des acclamations enthousiastes.

Que pouvais-je faire? Si j’avais parle alors, personne ne m’aurait cru. On aurait certainement pense que le roi devenait fou.

Entraine par Sapt et aussi, il faut bien le dire, par moi-meme, je m’etais avance si loin que je ne pouvais plus reculer.

La route etait barree derriere moi, et ma passion me poussait toujours en avant.

Ce soir-la, a la face de Strelsau, je fus acclame non seulement comme le roi, mais comme le fiance de la princesse Flavie.

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