Elle portait une robe blanche, et ses cheveux, simplement tordus, formaient comme un gros huit au sommet de sa tete. Elle m’envoya un baiser du bout des doigts, et cria:
«Fais monter le roi, Helga. Je lui servirai une tasse de cafe.»
La comtesse, avec un regard joyeux, passa devant moi et m’introduisit dans le boudoir de Flavie.
Une fois seuls, nous nous saluames, puis la princesse me montra deux lettres: dans la premiere, le duc Noir lui demandait, le plus respectueusement du monde, de lui faire l’honneur de venir passer une journee a Zenda, comme elle le faisait d’ordinaire, une fois chaque annee, dans la belle saison, alors que les jardins du palais sont a l’apogee de leur gloire.
Je jetai la lettre loin de moi, avec un geste de degout qui fit rire Flavie.
Mais, redevenant serieuse, presque immediatement, elle me montra l’autre lettre.
«Je ne sais de qui est celle-ci, me dit-elle. Lisez-la.»
Je n’eus pas une seconde d’hesitation, bien que la lettre ne fut pas signee; mais c’etait la meme ecriture que celle qui m’avait averti du piege qu’on m’avait tendu dans le pavillon: c’etait l’ecriture d’Antoinette de Mauban.
«Je n’ai aucune raison de vous aimer, disait la lettre: mais que Dieu vous garde de tomber au pouvoir du duc! N’acceptez aucune invitation venant de lui! N’allez nulle part sans une forte escorte: un regiment ne serait pas de trop pour votre surete. Montrez ce mot, si vous pouvez, a celui qui regne a Strelsau.»
«Pourquoi ne dit-elle pas tout simplement au roi? demanda Flavie, en se penchant sur mon epaule, si bien que le bout de ses cheveux legers me caressait la joue. Est-ce une mystification?
– Au nom de votre vie, au nom de tout ce que vous avez de plus sacre, obeissez sans hesiter. Je vais, des aujourd’hui, donner l’ordre que le palais soit garde par un regiment. Et jurez-moi de ne sortir que sous bonne escorte.
– Est-ce un ordre, Sire? demanda-t-elle, semblant prete a la revolte.
– Oui, c’est un ordre, madame, un ordre auquel vous obeirez si vous m’aimez.
– Vous savez qui a ecrit ce billet?
– Je le devine. Il a ete ecrit par une personne sure, par une femme qui, je le crains, est fort malheureuse. Flavie, il faut que vous soyez malade, que vous trouviez une raison pour ne pas aller a Zenda. Excusez-vous aussi sechement et aussi froidement que vous le voudrez.
– Ainsi, vous vous sentez assez fort pour braver Michel? dit-elle avec un sourire plein d’orgueil.
– Je serai a la hauteur de toutes les circonstances, tant que je vous saurai en surete», dis-je.
Bientot il fallut la quitter. Je m’arrachai a regret, et, sans consulter Sapt, je me rendis chez le marechal Strakencz. J’avais eu occasion de voir plusieurs fois le vieux marechal: il me plaisait, je le sentais fidele et loyal.
Sapt temoignait moins d’enthousiasme, mais j’avais deja remarque que Sapt n’etait content que lorsqu’il pouvait tout faire a lui tout seul; il se montrait fort jaloux de son autorite.
Pour le moment, j’avais sur les bras plus de besogne que nous n’en pouvions faire, Sapt, Fritz et moi. Je ne pouvais aller a Zenda sans eux, et, d’autre part, il me fallait trouver un homme sur a qui confier ce que j’avais de plus precieux au monde! A cette condition seule, je pourrais me donner tout entier a la tache, que je m’etais imposee, de delivrer le roi.
Le marechal me recut avec empressement et respect. Je le mis jusqu’a un certain point dans la confidence de mon projet, et lui confiai le soin de veiller sur la princesse, insistant d’une facon significative sur la necessite de ne laisser approcher d’elle aucun emissaire de son cousin, a moins que le marechal ne fut la en personne, escorte d’une douzaine de ses hommes.
«Vous avez sans doute raison, Sire: ces precautions ne sont pas inutiles, dit-il, en secouant avec tristesse sa tete grise.
– Marechal, je quitte Strelsau pour quelques jours. Chaque soir, je vous enverrai un courrier. Si trois jours se passent sans que ce courrier vous arrive, vous ferez afficher un ordre du jour que je vous laisserai, destituant le duc Michel du gouvernement de Strelsau, et vous nommant a sa place. Vous declarerez l’etat de siege. Cela fait, vous enverrez un messager a Michel, charge par vous de reclamer une audience du roi. Vous me suivez bien?
– Oui, Sire.
– Si, au bout de vingt-quatre heures, Michel ne produit pas le roi (je posai ma main sur son genou, d’un geste significatif), c’est que le roi sera mort. Alors vous proclamerez son successeur. Vous savez qui est heritier du trone de Ruritanie.
– La princesse Flavie!
– Jurez-moi, marechal, sur votre conscience, sur votre honneur, sur Dieu meme que vous combattrez pour elle jusqu’a la mort, que vous tuerez ce traitre, et que vous la placerez sur ce trone que j’occupe aujourd’hui.
– Sur ma conscience, sur mon honneur, je le jure! Que le Dieu tout-puissant protege Votre Majeste! Car je devine qu’elle va accomplir une mission pleine de dangers.
– Dieu veuille, dis-je, en me levant, que je ne sois pas force d’exposer des vies plus precieuses que la mienne.»
Et je lui tendis la main.
«Marechal, repris-je, il se peut que dans l’avenir, que sait-on? vous entendiez raconter d’etranges choses sur l’homme qui vous parle. Quelle est votre opinion a vous? Comment trouvez-vous qu’il se soit comporte comme roi de Ruritanie?»
Le vieillard, retenant ma main, me parla en toute franchise.
«J’ai connu plusieurs generations d’Elphberg, dit-il, et j’ai pu comparer. Quoi qu’il arrive, vous vous serez