– Tout est pret, reprit Fritz en riant: c’est moi qui me suis occupe des preparatifs.»

Sapt se tourna vers moi et me dit d’une voix breve:

«Il faut lui faire la cour ce soir, et vivement.

– Je ne crains que de la lui faire trop vivement. Que diable! Sapt, vous ne pensez pas que je trouve cela difficile?»

Fritz fredonna quelques mesures, puis il ajouta:

«Vous ne trouverez les voies que trop bien preparees. Ecoutez; il m’en coute de vous le dire, mais je le dois. La comtesse Helga m’a confie que la princesse s’attachait beaucoup au roi; depuis le jour du couronnement, ses sentiments ont subi un grand changement et il est parfaitement vrai qu’elle est profondement blessee de l’apparente negligence de Sa Majeste.

– Belle affaire! murmurai-je.

– Je pense, continua le vieux Sapt, que le mieux est que vous fassiez votre demande ce soir.

– Juste ciel!

– Ou tout au moins que vous avanciez sensiblement les choses. J’enverrai une note officieuse aux journaux.

– Sapt, vous ne le ferez pas, m’ecriai-je, pas plus que je ne ferai ce que vous me demandez. Je me refuse absolument a ce que l’on joue ainsi avec le c?ur de la princesse.»

Sapt me regarda; ses petits yeux gris me fouillaient l’ame, un sourire fin relevait sa moustache grise.

«Bien! bien. Il ne faut pas etre trop exigeant. Rassurez-la seulement un peu, si vous le pouvez. Et maintenant, occupons-nous de Michel.

– Le diable emporte Michel! Il sera temps demain de penser a lui. Venez, Fritz! Allons faire un tour de jardin.»

Sapt n’insista pas. Sous ses dehors brusques, il cachait un tact merveilleux et, ainsi que j’eus plus d’une fois l’occasion de le remarquer, une tres profonde connaissance de la nature humaine. S’il n’avait pas insiste davantage au sujet de la princesse, c’est qu’il pensait bien que sa beaute se chargerait de m’entrainer mieux que tous ses arguments et que, moins il me rappellerait le roi dans la circonstance, mieux cela vaudrait.

Quant au chagrin que cela pouvait causer a la princesse, il s’en souciait fort peu.

Et, apres tout, pouvait-on dire qu’il eut tort? Si le roi reconquerait son trone, la princesse irait a lui, tout naturellement, qu’elle sut ou non le changement opere dans la personne du roi.

Et si le roi ne nous etait pas rendu? Nous n’avions jamais discute entre nous cette hypothese. Je ne crois pas me tromper en disant que, dans ce cas, l’idee de Sapt etait de m’installer sur le trone de Ruritanie jusqu’a la fin de mes jours. Il y eut assis le diable plutot que d’y voir le duc Noir.

Le bal fut magnifique. Je l’ouvris en dansant un quadrille avec la princesse Flavie, puis nous valsames ensemble. La foule avait les yeux braques sur nous, et les commentaires allaient bon train.

Nous soupames l’un a cote de l’autre. Vers le milieu du souper, je me levai, et, debout, en presence de toute la cour, arrachant le cordon de la Rose Rouge que je portais, je le lui passai et lui mis la plaque de diamants autour du cou.

Apres ce bel exploit, je me rassis au milieu d’un tonnerre d’applaudissements.

Sapt rayonnait. Fritz avait l’air sombre. Le reste du repas s’acheva en silence. Ni Flavie ni moi ne pouvions prononcer une seule parole.

A la fin Fritz me toucha l’epaule; je me levai, j’offris le bras a la princesse, et, traversant le hall, je me rendis dans le petit salon prive ou l’on nous avait servi le cafe. Les fenetres de ce salon ouvraient sur les jardins. La nuit etait belle, fraiche, parfumee.

Les seigneurs et les dames d’honneur de service se retirerent; nous restames seuls.

Flavie s’assit. Je demeurai debout devant elle. Oh! le rude combat qui se livrait dans mon ame! En verite, je crois que, meme alors, si elle n’avait pas leve vers moi ses beaux yeux, je serais reste maitre de moi; mais, a ce moment, elle me considera d’un regard plein d’interrogation, de priere. Une vive rougeur colora soudain ses joues et elle respira longuement. Ah! si vous l’aviez vue a ce moment! J’oubliai tout, le roi enferme a Zenda, le faux roi de Strelsau. J’oubliai qu’elle etait princesse et que moi je jouais un role, que j’etais un imposteur. Je me precipitai a ses genoux et m’emparai de ses mains. Je ne disais rien. Qu’aurais-je pu dire?

Les bruits attenues de la nuit, comme une romance sans parole, etaient plus eloquents qu’eussent pu l’etre mes protestations, tandis que je baisais ses doigts.

Tout a coup, elle fit un geste comme pour me repousser, et s’ecria:

«Mais, est-ce bien vrai? Est-ce bien vrai? N’est-ce pas uniquement par devoir, parce que vous le devez a votre peuple?

– Il est vrai, repondis-je d’une voix sourde, etouffee par l’emotion, vrai comme la verite, que je vous aime, plus que ma vie, plus que la verite, plus que l’honneur!»

Elle ne comprit pas le sens de mes paroles. Elle se rapprocha, en murmurant a mon oreille:

«Si vous n’etiez pas le roi, je pourrais vous dire combien je vous aime… Comment se fait-il, Rodolphe, que je vous aime tant maintenant?

– Maintenant?

– Mais oui, c’est depuis peu de temps. Avant, je ne vous aimais pas ainsi.»

Un grand flot d’orgueil triomphant m’emplit le c?ur. C’etait bien moi, Rodolphe Rassendyll, qui l’avait conquise.

«Vous ne m’aimiez pas auparavant? demandai-je.

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