petits pays des alentours.

«Peut-etre, laisse-je entendre obscurement, sortira-il quelque chose de cette expedition.

– Que voulez-vous dire? demanda-t-elle.

– Eh bien! repondis-je negligemment, il me semble qu’il y a la matiere a un ouvrage interessant et qu’avec un travail intensif…

– Oh! voulez-vous dire que vous ecrirez un livre? s’ecria-t-elle en frappant des mains. Ce serait splendide, ne trouvez-vous pas, Robert?

– Aujourd’hui, c’est la meilleure introduction a la vie politique», observa mon frere qui avait justement debute de cette facon quelques annees auparavant: Burlesdon. Theories anciennes et evenements modernes et Dernieres considerations, par un etudiant politicien, sont deux ouvrages d’une valeur reconnue.

«Je crois que vous avez raison, mon cher Bob, dis-je.

– Promettez-moi que vous ecrirez ce livre, insista Rose.

– Oh! non, je ne puis le promettre, mais, si je trouve assez d’elements, certes, je le ferai.

– C’est deja bien beau, interrompit Robert.

– Ah! ajouta Rose avec une moue, les materiaux ne font rien a l’affaire.»

Mais a ce moment elle ne put rien obtenir d’autre de moi qu’une promesse moderee. Pour dire le vrai, j’aurais parie une jolie somme que le recit de mon voyage de cet ete ne souillerait pas la moindre feuille de papier et n’userait pas une seule plume. Et cela prouve combien peu nous pouvons savoir ce que nous reserve l’avenir, puisque me voici, remplissant ma promesse et, si jamais j’ai pense a ecrire, ecrivant un livre, lequel d’ailleurs ne pourra servir que mediocrement d’introduction a une vie politique et n’a pas de rapport avec le Tyrol pour un sou.

Au reste – que lady Burlesdon me pardonne – je n’ai aucunement l’intention de soumettre a l’?il critique de ma belle-s?ur ce recit. C’est une demarche a laquelle, pour bien des raisons, je prefere renoncer.

II Ou il est question de cheveux roux

Mon oncle William disait toujours qu’un homme qui voyage ne pouvait faire moins, lorsqu’il passait par Paris, que de s’y arreter vingt-quatre heures. Mon oncle s’enorgueillissait d’une serieuse experience du monde, et je suivis son conseil en restant a Paris un jour et une nuit. J’allai chercher George Featherly a l’ambassade et nous dinames au cabaret, apres quoi nous nous rendimes a l’Opera. Puis, ayant soupe fort gentiment, nous passames chez Bertram Bertrand, poete de quelque reputation et correspondant a Paris du Critic. Son appartement etait assez confortable et nous y rencontrames quelques joyeux compagnons bavardant et fumant. Je fus frappe cependant par l’air sombre et comme absent de Bertram; quand ses hotes se furent eclipses et que nous nous trouvames seuls, je l’entrepris sur son absorbante preoccupation. Il fit quelques feintes pendant un moment, mais, a la fin, se jetant sur un sofa, il s’ecria:

«Eh bien! je me rends. Je suis epris, eperdument epris!

– Oh! dis-je par maniere de consolation, ce sera pour vous une occasion d’ecrire un merveilleux poeme!»

Il ebouriffa sa chevelure d’un revers de main, et se mit a fumer avec furie. George Featherly, debout le dos a la cheminee, souriait cruellement.

«Si c’est l’ancienne histoire, dit-il, vous pouvez etrangler cela net, Bert; elle quitte Paris demain.

– Je le sais bien, observa Bertram avec brusquerie.

– Il est vrai que cela ne ferait pas une grande difference si elle restait, poursuivit George, inexorable. Elle vole plus haut que les gribouilleurs de papier, mon vieux!

– Qu’elle aille au diable! dit Bertram.

– Votre conversation serait beaucoup plus interessante pour moi, me hasardai-je a observer, si je savais de qui vous voulez parler.

– Antoinette Mauban, dit George. – De Mauban, grogna Bertram.

– Ah! oh! fis-je, sans insister sur la question du de, vous ne voulez pas dire, Bert…

– Oh! qu’on me laisse tranquille.

– Et ou part-elle?» demandai-je, car la dame en question jouissait d’une certaine renommee.

George jouait avec une poignee de monnaie; il sourit malicieusement au pauvre Bertram et repondit plaisamment:

«Personne ne le sait. Au fait, Bert, j’ai rencontre chez elle un homme considerable l’autre soir… il y a environ un mois. Le connaissez-vous?… le duc de Strelsau.

– Si je le connais!… grommela Bertram.

– Un gentilhomme tout a fait accompli, a ce que je crois.»

Il n’etait pas difficile de comprendre que les allusions de George relatives au duc n’avaient d’autre but que d’aggraver la contrariete de Bertram, d’ou il conclut que le duc avait distingue par ses attentions Mme de Mauban. C’etait une veuve riche, fort belle, et, d’apres les bruits qui couraient sur elle, tres ambitieuse. Il etait tout a fait possible que, comme l’insinuait George, elle volait aussi haut que ce personnage qui etait tout ce que l’on pouvait etre, sauf qu’il ne jouissait pas d’un rang strictement royal. Car le duc etait le fils du feu roi de Ruritanie, mais issu d’un second mariage morganatique, par consequent demi-frere du nouveau roi. Il avait ete le favori de son pere et de facheux commentaires avaient accueilli son elevation au titre de duc sous le nom d’une ville qui n’etait autre que la capitale elle-meme. Sa mere etait simplement une femme d’une bonne mais modeste naissance.

«Il n’est pas a Paris, n’est-ce pas? demandai-je.

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