bouteille. Les deux premiers coups ne l’atteignirent pas, les balles frapperent le tuyau; au troisieme, la bouteille vola en eclats. J’esperais que le jeune bandit se contenterait de ce succes, mais il acheva de decharger les autres coups de son revolver sur le tuyau: une des balles me siffla aux oreilles.

«Levez le pont! cria enfin une voix, a mon grand soulagement.

– Un moment!»

Et Rupert et de Gautel se mirent a courir. Le pont leve, tout retomba dans le silence. L’horloge sonna une heure un quart. Je me redressai et etirai mes pauvres membres lasses.

Quelques minutes a peine s’etaient ecoulees lorsque j’entendis un leger bruit sur ma droite. Je regardai, et j’apercus la haute silhouette noire d’un homme debout dans le passage qui conduit au pont.

A l’elegance de la tournure, a la pose gracieuse, je devinai que c’etait encore Rupert. Il tenait a la main son epee nue. Il resta immobile pendant une ou deux minutes.

Des idees folles me passaient par la tete. Quel etait le mauvais coup que preparait le jeune vaurien? Je l’entendis qui riait tout bas; puis il se retourna face au mur et, faisant un pas vers moi, commenca a descendre le long du mur. Il y avait donc des marches de ce cote? Evidemment. Elles devaient etre pratiquees dans la muraille et se suivre a une distance d’environ quatre-vingt-dix centimetres.

Lorsque Rupert posa le pied sur la derniere, il prit son epee entre ses dents, se retourna, et, sans bruit, se laissa couler dans l’eau. S’il n’y eut eu que ma vie en jeu, j’aurais nage a sa rencontre. Quelle joie j’aurais eue a vider notre querelle par cette belle nuit, sans crainte d’etre interrompus! Mais le roi! Je me maitrisai, sans pouvoir toutefois imposer silence a mon c?ur, qui battait furieusement dans ma poitrine. Je suivais Rupert des yeux avec une curiosite intense.

Sans se presser, il traversa le fosse a la nage, aborda de l’autre cote, ou d’autres marches lui permirent de gravir le talus a pic. Lorsqu’il se trouva debout sur la passerelle, de l’autre cote du pont-levis qui etait alors leve, je le vis fouiller dans sa poche, en tirer quelque chose, puis il ouvrit une porte. Je n’entendis pas la porte se refermer derriere lui. Il avait disparu.

Abandonnant alors mon echelle, dont je n’avais plus besoin, je nageai vers le pont et franchis quelques-unes des marches creusees dans le mur. Arrive a une certaine hauteur, je m’arretai, tenant mon epee a la main, ecoutant de toutes mes oreilles.

La chambre du duc n’etait pas eclairee, on n’apercevait pas la moindre lueur a travers les volets clos; mais, de l’autre cote du pont, au contraire, une fenetre brillait. Pas un bruit, un silence de mort, rompu seulement par la grosse voix de l’horloge de la tour, qui sonnait une heure et demie.

Je n’etais donc pas seul a conspirer, cette nuit-la, au chateau.

XVIII Dernier assaut

La situation dans laquelle je me trouvais ne semblait pas particulierement favorable aux reflexions. Toutefois, pendant quelques secondes, je reflechis profondement.

Un point semblait acquis. Quel que fut l’objet de l’expedition de Rupert de Hentzau, une chose etait certaine: c’est qu’il se trouvait occupe dans la partie du chateau opposee a celle qu’habitait le roi. Vive Dieu! si cela ne dependait que de moi, il ne remettrait pas les pieds ici.

Et d’un. Il ne m’en restait donc plus que trois sur les bras. Deux etaient de garde aupres du roi. Le troisieme, de Gautel, dormait sans doute. Ah! si j’avais eu les clefs. J’aurais risque le tout pour le tout, attaque Detchard et Bersonin avant que leurs amis pussent leur porter secours! Sans les clefs, que pouvais-je faire, si ce n’est attendre que l’arrivee de mes amis attirat un de ceux qui les detenaient?

J’attendis… Mais mon anxiete fut courte. Il ne s’ecoula pas, je crois, plus de cinq ou six minutes avant que commencat le second acte du drame.

Tout etait silencieux dans la partie neuve du chateau. La chambre du duc etait toujours impenetrable derriere ses volets fermes. La fenetre de la chambre de Mme de Mauban, seule, restait eclairee. Tout a coup, j’entendis un leger bruit, le bruit d’une clef qu’on tourne avec precaution dans une serrure. Quelle etait la main qui tournait cette clef? Quelle etait la porte que l’on cherchait a ouvrir? Celle peut-etre qui aboutissait au pont-levis de l’autre cote du fosse?

J’eus la vision de Rupert, une clef dans une main, son epee dans l’autre, et son mechant sourire retroussant sa levre sur ses dents de jeune loup. Ou menait cette porte, et auquel de ses passe-temps favoris le jeune fauve allait-il se livrer cette nuit?

Je n’eus pas a rester longtemps dans l’incertitude. Presque aussitot, avant l’heure ou mes amis devaient arriver au chateau, avant l’heure ou Jean devait leur ouvrir la porte, il s’eleva un grand tumulte dans la piece eclairee. Quelqu’un venait sans doute de renverser la lampe, car la lumiere avait disparu tout a coup, et l’obscurite etait complete. Alors, dans la nuit et le silence, j’entendis un appel desespere: «Au secours, Michel! Au secours!» suivi par un cri dechirant.

Tous mes nerfs etaient tendus. Je me tenais sur la marche superieure, me cramponnant au seuil de la porte de la main droite et tenant mon epee dans la gauche. Tout a coup je m’apercus que le passage etait plus large que le pont. Il y avait du cote oppose un coin d’ombre ou un homme pouvait se tenir. Je le traversai aussi vite que l’eclair et me cachai la. Je me trouvai ainsi dans une position merveilleuse; je commandais le passage, et personne ne pouvait se rendre du chateau au vieux donjon sans avoir affaire a moi.

Un nouveau cri, puis une porte qu’on ouvre avec fracas, et qui retombe avec bruit, une serrure secouee furieusement.

«Ouvrez! ouvrez! Au nom de Dieu, que se passe-t-il?»

C’etait la voix du duc Noir.

Pour toute reponse, j’entendis ces mots, les mots que j’avais moi-meme dictes:

«Au secours, Michel, Hentzau!»

Le duc lanca un formidable juron, et se jeta contre la porte. Au meme moment, j’entendis s’ouvrir une fenetre au-dessus de ma tete. Une voix inquiete demandait: «Qu’y a-t-il?» Puis ce furent des pas precipites. Je saisis mon epee. Si de Gautel venait de mon cote, les Six avaient chance de perdre encore un des leurs.

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