me trouverais pas en si mauvaise passe, et le duc Noir ne serait pas en enfer cette nuit!»

Elle ne prit pas garde a ces paroles; faisant un effort supreme, elle domina son trouble et, calme, raide, deliberement, visa de nouveau.

C’eut ete folie de braver ce danger. Il n’avait que deux choses a faire: ou s’elancer vers elle, ou reculer sur moi. Je le tenais au bout de mon pistolet.

Il ne fit ni l’un ni l’autre; avant qu’elle eut ajuste son coup, il s’inclinait de la facon la plus gracieuse, disant:

«Je ne puis tuer ce que j’ai adore.»

Et, avant qu’elle ou moi eussions pu l’empecher, il enjambait le parapet et sautait dans le fosse.

Au meme moment, j’entendis un bruit de pas presses, puis une voix, celle de Sapt, qui criait:

«Dieu! c’est le duc! Il est mort!»

Le roi n’avait plus besoin de moi! Alors, jetant mon revolver, je m’elancai a mon tour sur le pont. Il y eut un murmure d’etonnement:

«Le roi!»

Comme Rupert de Hentzau, l’epee a la main, j’escaladai le parapet, ne songeant plus qu’a vider ma querelle avec lui. Je voyais sa tete bouclee qui emergeait au-dessus de l’eau a une quinzaine de metres en avant.

Il nageait, rapidement, aisement, tandis que j’avancais lentement, fatigue que j’etais, et avec mon bras blesse. Il me gagnait de vitesse. Pendant un certain temps, je nageai en silence. Mais, comme nous arrivions a l’angle du vieux donjon, je criai:

«Rupert, arretez, arretez donc!»

Il se retourna, tout en continuant a nager:

Il etait maintenant contre la digue, cherchant, comme je pouvais le voir, un endroit ou reprendre pied. Je remarquai qu’il n’y en avait aucun, mais ma corde etait la, toujours pendante a l’endroit ou je l’avais laissee. Il y arriverait avant que je pusse y atteindre moi-meme. Peut-etre la manquerait-il, peut-etre la trouverait-il; et, en ce cas, il aurait sur moi une belle avance. Je fis appel a tout ce qui me restait de force et me hatai. Enfin je le depassai; quant a lui, occupe d’un endroit ou accoster, il nageait de moins en moins vite.

Ah! il avait trouve la corde! Un cri de triomphe m’echappa. Il se soutenait apres elle et commencait a se hisser. J’etais assez pres de lui pour l’entendre murmurer: «Qui diable a mis ca la!» J’arrivai juste au-dessus de la corde et lui, suspendu a mi-chemin, me vit. Mais je ne pouvais l’atteindre.

«Hola? qui est la?» cria-t-il.

Et sa voix trahissait l’etonnement, presque la crainte.

Je crois qu’un moment il me prit pour le roi; et, de fait, j’etais si pale que cela rendait la supposition vraisemblable. Une minute plus tard, il criait:

«Parole d’honneur! mais c’est le comedien. Comment te trouves-tu la, mon garcon?»

Tout en parlant, il prenait pied sur la berge.

Je me suspendis a la corde, mais je m’arretai: il etait sur la berge, son epee en main, et il eut pu me trancher la tete ou m’embrocher le c?ur si j’etais descendu jusqu’a lui. Je laissai aller la corde.

«Ca ne fait rien, dis-je, mais, puisque j’y suis, j’y reste.»

Il sourit:

«Le diable soit des femmes!» commenca-t-il, quand tout a coup la cloche du chateau se mit a sonner furieusement, et un grand cri s’eleva de l’etang.

Rupert sourit de nouveau et agita sa main vers moi.

«J’aimerais a faire un petit bout de causette avec vous, continua-t-il, mais le moment serait mal choisi.»

Et je le vis disparaitre.

En un instant, sans souci du danger, je me laissai glisser. Je le vis a trente metres de la courant comme un daim vers l’abri de la foret.

C’etait la premiere fois que je voyais Rupert choisir le parti de la prudence. Je m’elancai a sa poursuite, lui criant d’arreter. Il ne voulait rien entendre. Jeune et vigoureux, il eut bientot pris de l’avance. Je ne me decourageai pas toutefois, et je courais, je courais…

Les ombres epaisses de la foret de Zenda nous envelopperent bientot.

Il pouvait etre trois heures du matin environ, et l’aube commencait. J’apercevais Rupert a une centaine de metres en avant. J’etais haletant, epuise. Je le vis encore une fois se retourner pour me faire de la main le meme geste ironique, puis il disparut.

Il se moquait de moi, s’etant apercu qu’il avait sur moi de l’avance. Je fus oblige de m’arreter pour reprendre ma respiration. Un moment apres, Rupert tourna vivement vers la droite, et je le perdis de vue.

Epuise, desespere, je me laissai tomber, mais pour me relever presque aussitot, car un cri, un cri de femme eploree venait de reveiller les echos de la foret. Je rassemblai mes dernieres forces, et courus a l’endroit ou j’avais vu mon ennemi pour la derniere fois. Je l’apercus; mais, helas! il etait trop loin pour que je pusse l’atteindre. Il avait arrete une jeune paysanne qui passait a cheval, la fille de quelque petit fermier sans doute ou de quelque paysan, se rendant au marche, son panier au bras. Sans se laisser intimider par ses cris, maitre Rupert l’enleva de sa selle. L’enfant, epouvantee, se debattait; tres doucement il la posa a terre; et, en riant, il lui glissa de l’argent dans la main. Puis il sauta en selle, de cote comme une femme, et m’attendit. Je m’arretai aussi a quelques pas.

Bientot il s’avanca, gardant toutefois sa distance, leva la main, et dit:

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