Rupert de Hentzau. Je lui devais bien cela, en souvenir du coup qu’il m’avait porte sur la terrasse de Tarlenheim avec une audace qui faisait presque oublier la perfidie de l’attaque.

J’etais la depuis dix minutes lorsque je vis la fenetre du duc s’eclairer. Les volets n’etaient pas fermes et l’interieur de la chambre me devint en partie visible, comme je me dressai sur la pointe des pieds. Place ou j’etais, mon regard embrassait un metre et plus de l’autre cote de la fenetre et le rayon de lumiere, neanmoins, ne pouvait m’atteindre. Tout a coup la fenetre s’ouvrit et quelqu’un regarda dehors. Je reconnus la gracieuse silhouette d’Antoinette de Mauban et, bien que le visage restat dans l’ombre, je vis se detacher sur le fond eclaire la ligne fine de la tete. Que n’aurais-je donne pour lui crier doucement: «Souvenez-vous!» Mais je n’osai pas.

Je fis bien, car, presque au meme moment, je vis un homme s’approcher d’elle. C’etait Rupert. Il dut dire a Antoinette le dessein qu’il avait forme de l’enlever, de s’enfuir avec elle; car je vis la jeune femme montrer du doigt le fosse et je l’entendis qui disait distinctement:

«J’aimerais mieux me jeter par la fenetre.»

Rupert se rapprocha et regarda dans la nuit.

«L’eau doit etre bien froide! Allons, Antoinette, vous n’etes pas serieuse.»

Je n’entendis pas la reponse d’Antoinette; Rupert tambourinait du bout de ses doigts sur l’appui de la fenetre avec un geste d’impatience. Il reprit presque aussitot d’un ton d’enfant gate:

«Que le ciel confonde le duc Noir! Que diable lui trouvez-vous de si seduisant?

– Si je lui repetais ce que vous dites de lui?» commenca-t-elle.

Si j’avais eu mon revolver sur moi, j’aurais ete violemment tente de bruler la tete du jeune bandit. Mais, cette tentation m’etant epargnee, j’inscrivis mentalement cette deception au compte que j’avais a regler avec lui.

«Vous pouvez le lui repeter, reprit-il, quoique, a vrai dire, je croie qu’il s’en soucie assez peu. Il est tres epris de la princesse, il ne pense qu’a elle et ne parle que de couper la gorge du comedien.»

A peine achevait-il ces mots que j’entendis le bruit d’une porte qu’on ouvrait et une voix rude qui disait:

«Que faites-vous ici, monsieur?»

Rupert, le dos tourne a la fenetre, salua fort bas, et repondit de sa voix eclatante:

«Je faisais agreer a madame vos excuses, Monseigneur, de l’avoir laissee seule.»

Le nouveau venu ne pouvait etre que le duc Noir; je vis que c’etait lui d’ailleurs, lorsqu’il s’avanca vers la fenetre et saisit le jeune Rupert par le bras.

«Le fosse est assez grand pour deux: s’il me plaisait de vous y envoyer tenir compagnie au roi? fit-il avec un geste significatif.

– Est-ce une menace? demanda Rupert.

– Les menaces sont des avertissements que je prends rarement la peine de donner aux gens.

– Bah! reprit Rupert, vous ne vous etes pas fait faute de menacer Rodolphe Rassendyll, et cependant il vit encore!

– Est-ce ma faute si mes serviteurs ne savent pas s’y prendre, s’ils gatent la besogne?

– Votre Seigneurie, elle, ne s’expose pas a gater la besogne!» ricana Rupert.

C’etait dire au duc aussi clairement qu’il est possible qu’il etait un lache et qu’il fuyait le danger.

Le duc Noir, toujours maitre de lui, fremit sous l’injure.

Je regrettais de ne pouvoir mieux voir les physionomies des deux interlocuteurs.

Le duc repondit d’une voix calme et assuree:

«C’est bon, c’est bon. Nous n’avons pas le temps de nous quereller, Rupert. Detchard et Bersonin sont a leur poste?

– Oui, Monseigneur.

– C’est bien, je n’ai plus besoin de vous.

– Je ne suis nullement fatigue, Monseigneur, reprit Rupert.

– Il n’importe. Je vous prie de nous laisser, reprit Michel avec quelque impatience. Dans dix minutes on levera le pont-levis et je ne pense pas que vous ayez envie de regagner votre lit a la nage.»

La silhouette de Rupert disparut. J’entendis la porte s’ouvrir et se fermer. Michel et Antoinette restaient seuls. A mon grand chagrin, le duc poussa la fenetre et la ferma. Debout devant Antoinette, il lui parla quelques minutes. Elle secoua la tete. Sur quoi, il s’eloigna avec un geste d’impatience, tandis qu’elle quittait la fenetre. J’entendis de nouveau claquer la porte et le duc Noir ferma les volets.

«De Gautel! Depechons-nous, voyons.»

La voix venait du pont.

«A moins que vous n’ayez envie de prendre un bain, pressez-vous, venez.»

C’etait la voix de Rupert.

Une seconde plus tard, de Gautel et lui s’engageaient sur le pont. Rupert avait passe son bras sous celui de son compagnon; arrive au milieu, il l’arreta et se pencha par-dessus le parapet. Je me mis a l’abri derriere l’echelle de Jacob et regardai maitre Rupert, qui se livrait a un sport d’un nouveau genre. Prenant des mains de Gautel une bouteille que celui-ci tenait, il la porta a ses levres.

«Elle etait presque vide!» fit-il d’un ton mecontent en la lancant dans le fosse.

La bouteille tomba environ a un metre du tuyau. Prenant alors son revolver. Rupert commenca a viser la

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