lorsque Rupert, intervenant, paria et jura que j’irais jusqu’au bout, que je ferais ce que j’avais dit. Puis, se tournant vers Mme de Mauban, il la complimenta de se trouver ainsi debarrassee d’une rivale.
«La main du duc, nous dit Jean, chercha son epee, mais sans que cela parut faire la moindre impression sur Rupert, qui continua a plaisanter le duc de ce qu’il avait donne a la Ruritanie le meilleur roi qu’elle eut vu depuis des annees.
«Et voyez, ajouta-t-il, en s’inclinant avec une humilite feinte devant son maitre exaspere, ne dirait-on pas que le diable s’en mele? Il envoie a la princesse un mari bien plus sortable que celui que le ciel lui avait destine, parole d’honneur!» Sur quoi, Michel lui ordonna rudement de se taire et de les laisser. Rupert ne le fit qu’apres avoir pris conge de la dame, et lui avoir baise la main, tandis que Michel le regardait en ecumant de rage.»
Voila une partie du recit de Jean, la partie legere, si l’on peut dire; il y en avait une autre, plus serieuse.
Si la situation etait tendue a Tarlenheim, elle l’etait bien davantage a Zenda. Le roi, plus malade que jamais, se levait a peine, nous dit Jean, horriblement change.
L’inquietude etait telle au chateau qu’on avait envoye chercher un medecin a Strelsau. Le docteur, introduit dans le cachot royal, en etait ressorti pale et tremblant, suppliant le duc de le laisser partir, et de ne pas le meler a cette affaire. Le duc s’y etait refuse, bien entendu, et retenait le docteur prisonnier, se contentant de lui affirmer qu’il n’avait rien a craindre s’il s’arrangeait pour que le roi vecut autant que cela serait utile au duc et mourut a propos. C’etait la condition
Sur l’avis du docteur, on avait permis a Mme de Mauban de voir le roi et de lui donner les soins que reclamait son etat, de ces soins dont une femme seule est capable.
La vie royale ne tenait qu’a un fil, et moi j’etais toujours la, en train, bien portant, libre!
Toutefois, il regnait a Zenda un grand decouragement et, sauf lorsqu’ils se querellaient, ce a quoi ils etaient fort enclins, ils se parlaient a peine. Mais, au plus profond de cette deprimante inaction, Rupert menait sa besogne satanique, le sourire aux yeux et la chanson aux levres, et riait aux grands eclats, disait Jean, parce que le duc envoyait toujours Detchard veiller sur le roi quand Mme de Mauban descendait a la cellule – precaution qui, en effet, ne manquait pas de sagesse de la part de mon cher frere.
Jean, son recit termine, empocha sa recompense et nous supplia de lui permettre de rester a Tarlenheim: il redoutait d’aller se remettre dans la gueule du lion. Mais j’avais besoin de lui a Zenda et, sans qu’il fut necessaire de recourir a la force, je reussis, en rendant mes arguments plus irresistibles encore, a le decider a retourner au chateau et a se charger de dire a Mme de Mauban que je travaillais pour elle et que je la priais, si c’etait possible, de rassurer le roi et de lui redonner courage.
Car, si l’incertitude est mauvaise pour les malades, le desespoir est pire encore – et il se pouvait fort bien que le roi fut mourant de desespoir – je n’avais pu, en effet, rien apprendre de precis sur la maladie qui le minait.
«De quoi se compose la garde du roi, maintenant? demandai-je, me souvenant que deux des Six etaient morts, ainsi que Max Holf.
– Detchard et Bersonin sont de garde la nuit, Rupert Hentzau et de Gautel le jour, Sire, repondit Jean.
– Ils ne sont que deux?
– Oui, Sire, deux aupres du roi, mais les autres ne sont jamais loin. Ils couchent dans une chambre au-dessus et accourraient au premier appel, au moindre coup de sifflet.
– Une chambre au-dessus? Je ne savais pas cela. Existe-t-il une communication entre cette chambre et la salle de garde?
– Non, Sire. Il faut descendre une douzaine de marches et sortir par la porte qui ouvre contre le pont-levis pour entrer dans la piece qui precede le cachot du roi.
– Et cette porte est fermee a clef?
– Les quatre seigneurs ont chacun une clef, Sire.» Je me rapprochai de mon interlocuteur.
«Ont-ils aussi la clef de la fenetre grillee? demandai-je en baissant la voix.
– Je crois, Sire, qu’il n’y en a que deux; une pour Detchard, une pour Rupert.
– Ou loge le duc?
– Dans le chateau, au premier etage. Ses appartements sont a droite, quand on se dirige vers le pont- levis.
– Et Mme de Mauban?
– Son appartement fait pendant a celui du duc, a gauche. Mais on ferme sa porte le soir, des qu’elle est rentree.
– Pour l’empecher de sortir?
– Probablement, Sire.
– Le soir, on leve le pont-levis, on en remet aussi les clefs au duc, de sorte que personne ne peut penetrer sans avoir recours a lui.
– Et ou couchez-vous, vous?
– Dans le vestibule du chateau avec cinq domestiques.
– Armes?
– Armes de lances, Sire, mais nous n’avons pas d’armes a feu. Le duc ne se fierait pas a eux s’ils etaient munis d’armes a feu.»
Je me decidai a agir et a agir en personne. J’avais echoue une premiere fois par l’echelle de Jacob; a quoi bon recommencer? Il valait mieux tenter d’attaquer sur un autre point.
«Je t’ai promis vingt mille couronnes, repris-je. Tu en auras cinquante mille, si tu fais ce que je vais te dire, demain, dans la nuit. Mais, d’abord, ces domestiques dont tu parles, savent-ils qui est le prisonnier?