– Vous me croyez donc une grande confiance en vous?

– Bah! Je suis tres serieux pour l’instant. Sapt et Fritz seront tues, le duc Noir aussi.

– Comment?

– Oui, le duc Noir sera tue comme un chien qu’il est; le prisonnier, puisque c’est ainsi que vous l’appelez, s’en ira en enfer par l’echelle de Jacob, vous la connaissez, n’est-ce pas? Il ne restera que deux hommes vivants: moi, Rupert Hentzau, et vous, le roi de Ruritanie!»

Il s’arreta; puis, d’une voix qui tremblait un peu, tant son ardeur etait grande, il ajouta rapidement:

«Voyons, la partie n’est-elle pas tentante? Un trone et la princesse! Pour moi, disons une bague au doigt et la reconnaissance de Votre Majeste.

– Certainement, m’exclamai-je, aussi longtemps que vous serez sur terre, il y aura un cachot pour vous.

– Eh bien! songez-y, dit-il. Et, vous savez, cela vaudrait bien qu’on passat sur un scrupule ou deux…»

Et, me faisant un profond salut, il piqua des deux et, eut bientot rattrape le cortege funebre qui s’eloignait.

Pendant que je rejoignais mes deux compagnons, je reflechissais a l’etrange caractere de cet homme. J’ai connu bien des scelerats, mais des scelerats de cette trempe sont rares heureusement. Si son sosie existe quelque part, Dieu veuille qu’il soit pendu haut et court!

«Ce Rupert Hentzau est un bien beau garcon», dit Flavie.

Elle ne pouvait l’avoir penetre, l’ayant vu la pour la premiere fois, et pourtant son observation me donna de l’humeur, et aussi la pensee qu’elle eut pu supporter sans deplaisir les regards de cet homme.

«Il avait l’air d’avoir du chagrin de la mort de son ami, reprit-elle.

– Il en aura plus encore quand ce sera son tour», remarqua Sapt.

Je ne me deridais pas. Je continuais a bouder, ce qui etait fort deraisonnable, je n’en disconviens pas. Je restai sombre tout le reste de la promenade.

Comme nous rentrions a Tarlenheim, le jour commencait a tomber; Sapt, par precaution, avait pris l’arriere- garde.

Un domestique vint au-devant de moi et me remit une lettre sans suscription.

«Vous etes sur que c’est pour moi? demandai-je.

– Oui, Sire; l’homme qui l’a apportee a bien recommande qu’on la remit a Votre Majeste.»

Je l’ouvris:

«Jean vous portera ceci de ma part. Souvenez-vous que je vous ai donne un bon conseil. Au nom de Dieu, si vous etes un vrai gentilhomme, tirez-moi de ce repaire de meurtriers!

«A. de M.»

Je tendis le billet a Sapt, mais tout ce que cet appel dechirant tira de cette ame de vieux dur-a-cuire fut cette reflexion, pleine de bon sens du reste:

«Qui l’a obligee d’y aller?»

Cependant, et peut-etre parce que je ne me sentais pas moi-meme sans reproche, je me permis, en depit du rigorisme de Sapt, de plaindre de tout mon c?ur la pauvre Antoinette de Mauban.

XVI Notre plan de bataille

Comme je m’etais montre a cheval dans les rues de Zenda, que j’y avais cause ouvertement avec Rupert Hentzau, il etait difficile de soutenir plus longtemps mon role de malade. Les consequences de ce nouvel etat de choses ne tarderent pas a se faire sentir; l’attitude de la garnison de Zenda changea; on ne voyait que fort peu d’hommes dehors, et, chaque fois que quelques-uns des miens s’aventuraient du cote du chateau, ils remarquaient que l’on y exercait la plus minutieuse surveillance. Si touche que je fusse de l’appel de Mme de Mauban, j’etais aussi impuissant a lui venir en aide que je l’avais ete a delivrer le roi. Michel me bravait: bien qu’on l’eut rencontre plusieurs fois aux environs, avec plus de mepris des apparences qu’il n’en avait temoigne jusque-la, il ne prenait meme pas la peine de faire ses excuses de n’etre pas venu presenter ses hommages au roi.

Le temps passait: nous ne nous decidions a rien et, pourtant, chaque heure qui s’ecoulait rendait la situation plus dangereuse; non seulement j’avais a compter avec le nouveau danger que pouvaient me susciter les recherches auxquelles donnait lieu ma disparition, mais Strelsau s’agitait, murmurait, trouvant mauvais que je restasse aussi longtemps loin de ma bonne ville. Le mecontentement de mon peuple se trouvait quelque peu contenu par ce fait que Flavie etait avec moi; c’est en grande partie pour cela que je l’avais autorisee a rester, bien qu’il me fut penible de la sentir au milieu du danger, et que cette douce intimite journaliere fut, pour mon pauvre c?ur, une epreuve bien cruelle.

Et, comme si la situation n’etait pas encore assez tendue, je ne pus me delivrer de mes fideles conseillers Strakencz et le chancelier (venus tout expres de Strelsau pour me faire de serieuses representations) qu’en leur promettant de fixer le jour de nos fiancailles, ceremonie qui, en Ruritanie, equivaut presque, tant l’engagement est solennel, au mariage lui-meme. Je fus donc, Flavie etant assise a mes cotes, oblige de fixer la date – quinze jours de la – et le lieu – la cathedrale de Strelsau. Cette decision, proclamee tres haut, repandue partout, causa la plus grande joie dans le royaume.

Je crois, ma parole d’honneur, qu’il n’y eut que deux hommes qu’elle contraria: le duc Michel et moi, et qu’il n’y en eut qu’un qui l’ignora, celui dont je portais le nom, le roi de Ruritanie.

J’eus l’occasion de savoir a quelques jours de la comment la nouvelle avait ete accueillie au chateau, car Jean, que sa premiere visite avait mis en appetit, avait trouve le moyen de nous en faire une seconde. Il etait precisement de service aupres du duc quand on etait venu lui annoncer la chose.

Le duc Noir, plus sombre que jamais, avait eclate en jurons, en reproches. Sa colere ne connut plus de bornes

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