publique.
Malheureusement, cette necessite de garder le secret entrainait des atermoiements, et ces atermoiements pouvaient etre fatals au roi: il pouvait mourir dans sa prison ou etre transporte ailleurs. Mais que faire? Pendant quelque temps, je fus force d’observer une sorte de treve. Ma seule consolation alors fut l’approbation passionnee que Flavie donna a mon ordonnance contre le duel; comme je lui exprimais ma joie d’avoir ete ainsi, sans le savoir, au-devant de ses desirs, elle me supplia, si je tenais a lui plaire, d’etre plus severe encore, et de defendre le duel purement et simplement.
«Attendez que nous soyons maries», fis-je en souriant.
Un des resultats les plus etranges de cette treve et du secret qui en etait cause, c’est que la ville de Zenda devint dans le jour – car je ne me serais pas fie beaucoup a sa protection la nuit – une sorte de zone neutre ou les deux partis pouvaient aller et venir a leur guise. En sorte que, un jour, je fis une rencontre fort amusante d’un cote, mais assez embarrassante de l’autre. Comme nous passions a cheval, Flavie, Sapt et moi, nous croisames un personnage a l’air solennel, qui conduisait une voiture a deux chevaux. En nous voyant, il stoppa, descendit et s’approcha en faisant force saluts. Je reconnus le grand maitre de la police de Strelsau.
«Nous mettons tous nos soins, dit-il, a faire respecter l’ordonnance de Votre Majeste relative au duel.»
Si c’etait la le but de sa visite a Zenda, j’etais decide a calmer son zele.
«Est-ce la ce qui vous amene a Zenda, prefet? demandai-je.
– Non, Sire; je suis ici pour obliger l’ambassadeur d’Angleterre.
– Que diable l’ambassadeur d’Angleterre vient-il faire dans cette galere? m’ecriai-je d’un ton leger.
– Un compatriote a lui, Sire, un jeune homme d’un certain rang a disparu. On le cherche. Voila deux mois que ses amis sont sans nouvelles, et l’on a de bonnes raisons de croire que c’est a Zenda qu’on l’a vu en dernier lieu.»
Flavie etait distraite. Moi je n’osais regarder Sapt.
«Quelles sont ces bonnes raisons? insistai-je.
– Un ami a lui, un ami de Paris, un M. Featherly, declare qu’il a du venir ici, et les employes du chemin de fer se rappellent, en effet, avoir vu son nom sur son bagage.
– Quel nom?
– Rassendyll, Sire.»
Ce nom, evidemment, ne lui disait rien. Jetant un coup d’?il vers la princesse, et baissant la voix, il continua:
«On croit qu’il a suivi une dame. Votre Majeste a entendu parler d’une certaine Mme de Mauban?
– Comment donc! Mais certainement.»
Et mes yeux se porterent involontairement vers le chateau.
«Elle est arrivee en Ruritanie a peu pres en meme temps que ce Rassendyll.»
Je surpris le regard du prefet, tout charge de questions, fixe sur moi.
«Sapt, fis-je, j’ai un mot a dire au prefet. Voulez-vous prendre les devants avec la princesse?»
Puis j’ajoutai, me tournant vers le digne fonctionnaire:
«Voyons, monsieur, que voulez-vous dire?»
Il se rapprocha devant moi, tandis que je me penchais sur ma selle.
«Peut-etre etait-il epris de la dame, murmura-t-il… Toujours est-il que voila plus de deux mois qu’il a disparu.»
Cette fois l’?il du prefet se dirigea vers le chateau.
«La dame est la, en effet, repondis-je en affectant le plus grand calme; mais je ne pense pas que M. Rassendyll, c’est bien le nom, n’est-ce pas? y soit.
– Le duc, reprit le prefet d’une voix de plus en plus basse, n’aime pas les rivaux, Sire.
– C’est vrai, c’est vrai! fis-je en toute securite; mais savez-vous que ce que vous insinuez la est tres grave, mon cher prefet?»
Il etendit les mains, d’un geste humble, comme s’il s’excusait. Je me penchai a son oreille.
«C’est une affaire tres delicate. Rentrez a Strelsau.
– Mais, pourtant, Sire, si je crois avoir trouve ici le mot de l’enigme?…
– Rentrez a Strelsau, repetai-je. Dites a l’ambassadeur que vous etes sur une piste, mais qu’il faut qu’il vous laisse toute liberte pendant une semaine ou deux. Cela vous donnera du temps. Je veux prendre moi-meme la chose en main.
– C’est que l’ambassadeur est tres pressant, Sire.
– Il faut lui faire prendre patience. Que diable! Savez-vous que, si vos soupcons se confirment, c’est une affaire qui peut avoir les dernieres consequences et qui demande la plus grande circonspection? Pas de bruit, par de scandale. C’est entendu, n’est-ce pas? Vous rentrerez a Strelsau des ce soir.»
Il m’en donna sa parole, et je piquai des deux pour rejoindre mes compagnons, l’esprit un peu plus tranquille. Il fallait absolument que les enquetes me concernant fussent interrompues pendant une semaine ou deux; or cet habile prefet s’etait, de facon surprenante, approche de la verite. Son sentiment pouvait m’etre utile quelque jour; mais, si jamais ses recherches eussent abouti en ce moment, cela eut pu etre fatal au roi. Au fond du c?ur, je maudis George Featherly de n’avoir pas su tenir sa langue.