— Attendez… Pourquoi me persecutez-vous ? Le coupable, vous savez qui c'est ? Un jeune homme qui a signe son crime en abandonnant sa casquette sur place. C'est encore mieux que des aveux, non ? Est-ce que vous l'avez arrete, au moins ?
C'est a mon tour de ne pas etre trop a l'aise dans mes baskets.
— Disons que… oui… il… il est actuellement a la police.
Difficile de lui expliquer qu'il y est en tant que flic et non comme inculpe. Je declare urgent de changer de sujet.
— Parle-moi d'un Chinois qui participait a votre petite fete.
Sa bouille exprime l'incomprehension d'un sourd-muet ecoutant le kamasoutra en braille.
— Un Chinois ? Attendez ! Il y avait plus de deux mille personnes a la soiree, alors forcement d'apres les statistiques une sur quatre devait etre d'origine asiatique.
— Je ne parle pas de statistique, mais d'un mec coiffe d'un bonnet peruvien, ca ne te dit rien ?
La, le play-boy de la cereale percute.
— Oui ! Un Sud-americain… type Inca, avec les cheveux huileux et une longue cicatrice sur la joue gauche. Je vois de qui vous parlez.
— Quel age ?
— Une bonne trentaine.
— Tu le connaissais ?
— Premiere fois que je le voyais.
— Il parait qu'il s'est dispute avec ta cousine.
— Tout le monde se querellait avec elle.
— Tout le monde, je m'en tape, c'est ce gus qui m'interesse.
— Ne vous fachez pas, j'essaie de me souvenir. Non ! Je ne l'ai pas vu se disputer avec Melanie. Pour moi c'etait un participant comme les autres… A moins que…
Je n'ose proferer une parole, par crainte de troubler la mecanique qui se deroule sous sa coiffe.
— Pablo ! lance-t-il soudain ? Ou Paco ! c'est surement lui.
— Lui qui ?
— Un Peruvien. Un ami dont Melanie m'avait parle.
— Tu vois, quand tu veux.
Notre attention est attiree par son dabe qui vient d'emerger a son tour, subitement frais et dispos comme si rien ne s'etait passe.
— Ca va mieux, Jacquemart ? lui demande-je.
— Impeccable. Tiens, je vois que mon fils a recupere. Ca s'arrose !
Il attrape sa boutanche de Cognac et distribue de larges rasades.
— Ce que je voulais te dire, San-A, c'est que ma belle-s?ur Mathilde a surement fait tuer Melanie. Ainsi, elle gere toute la fortune de mon frere !
— Papa ! comment peux-tu proferer des horreurs pareilles ? s'insurge Nicolas.
Le mome se detourne, ec?ure. Je recupere son attention d'un claquement de doigts.
— Le Peruvien, il parait qu'il a telephone de chez ta cousine, le soir du crime.
— C'est possible… elude le jeune type, l'air aussi franc qu'un candidat a la presidentielle lorsqu'il promet de supprimer les impots, la pollution, l'insecurite, la guerre et la maladie sitot qu'il sera elu.
— Reflechis ! Tu as meme assiste a ce coup de fil. C'est Martial qui le dit, et un garcon comme Martial, ca n'invente pas.
Le visage de Nicolas est soudainement eclaire par la revelation. Il se met a ressembler a une enluminure representant Saint Thomas frappe par la foi.
— Exact. Il telephonait depuis le poste de la cuisine. Je lui ai dit de ne pas se gener. Il m'a fait comprendre que son portable etait decharge. J'ai laisse faire, d'autant que ce moricaud n'avait pas l'air commode.
— Tu as entendu ce qu'il disait ?
— Trois mots…
— En quelle langue ? Espagnol, je presume.
Nicolas esquisse une grimace.
— Non ! En italien, plutot. Il a fini par « ciao » !
—
— Oui, seulement il a prononce deux fois le mot « terminato ». J'ai fait de l'espagnol et en espagnol, on dit…
— …
Nicolas ne prend pas le temps de reflechir.
— En debut de soiree. Il n'y avait encore presque personne. Il devait etre dix heures trente ou onze heures du soir, pas plus. Apres, je n'ai plus revu le Peruvien de toute la nuit.
Qu'est-ce que t'en penses, Hortense, on avance ?
— Vous avez un fax, ici ?
— Bien sur, repond Jacquemart-Andre en me designant l'engin pose sur un bureau a cylindre. Et ca s'arrose ! ajoute-t-il en brandissant sa boutanche.
Trois minutes plus tard, France-Telecom m'adresse la liste detaillee des appels effectues depuis le Pinson-Tournan la nuit du meurtre. Nicolas et son pere m'aident a eliminer un certain nombre de numeros bien connus d'eux. Ne reste bientot qu'un numero anonyme passe a 22 h 41. Je sens que je brule, Ursule : ce numero commence par 00 39. Or 39, c'est l'indicatif de l'Italie.
Lorsque j'arrive a mon bureau, Antoine m'accueille comme l'avenue de Messine. Je te parie le pucelage de ta petite niece contre ton dernier ticket de Bingo dument oblitere qu'il n'a pas dehotte de la Maison Parapluie depuis notre algarade de la veille. Il a les yeux cernes comme un jeune beur par des C.R.S. le jour ou il apporte une bouteille de gaz a sa vieille moman.
— Alors ?
La question, pour concise qu'elle soit, resume a merveille sa pensee.
— Tu me confirmes ne pas avoir tue Melanie ?
— Toujours, votre Honneur.
— Ca tombe bien, parce que je suis sur la piste d'un type qui se serait dispute avec la victime en debut de soiree. Un Peruvien, avec une cicatrice sur la joue gauche, ca te rappelle quelque chose ?
Tu vas voir que mon lardon n'a pas du jus de chaussette a la place des neurones.
— Je n'ai remarque aucun mec balafre, papa. Mais je me souviens d'un gugusse qui portait un bonnet andin.
— Un demi-cretin ?
— Je dirais meme un trois-quarts.
La description est fidele, il s'agit de Martial, le fils du contremaitre. Antoine confirme le temoignage de Nicolas. Apres son coup de fil de 22 h 41, le Peruvien (Paco ou Pablo) ne s'est plus manifeste, n'a plus ete apercu et son couvre-chef se baladait sur la tronche amoindrie du roi de la cognee. Question : le Sud-Americain est-il reparti et dans ce cas pourquoi etait-il venu dans ce coin paume de la Beauce sans meme participer a la rave- party ? Ou bien est-il reste planque en attendant le moment propice pour assassiner la fille ?
Ce ne serait pas bete d'aller directement le lui demander, non ? Je refile le numero de tubophone italien a Antoine et en moins de dix secondes l'ordinateur nous crache l'adresse du correspondant. Il s'agit d'un cafe- restaurant :
Renseignements pris, Beru est en conge de maladie suite a une grippe intestinale, Jeremie Blanc en vacances avec toute sa smala en Senegal profond. Quant a Mathias, il se morfond au chevet de sa bergere qui parture de son x-ieme rouquemoute, celui qui serait de moi selon les dires de la dame, bien que le capuchon de ma queue n'ait pas frole ses petites levres depuis bientot quatre ans. Les femmes sont pretentieuses, n'est-il pas ?
Je decide donc de partir tout seul pour la Ville eternelle, plongeant mon Toinet dans un abime de