— Tu crois pas qu’il avait des ennuis avec sa carburation, l’oncle Prosper ? Vivre avec un coq et lui laisser sa fortune, je te jure, faut se pincer le pancreas pour s’assurer qu’on reve pas !

En tout cas, soupire Alexandre-Benoit, il doit etre aussi gatouillard que son maitre, ce poulaga, pour se croire aux aurores !

Effectivement, Mongeneral continue de chanter le jour retrouve.

— Emmene-le chez Lissac, conseille-je, il doit avoir une alteration de ses facultes visuelles !

Revenus de notre surprise, nous explorons la maison. Pauvre bicoque en verite et qui tombe en digue-digue ! C’est des vrais intrepides, les bouseux, mes fils ! Des durs a cuire ! Et des durs a geler ! Leurs conditions de vie, c’est toujours l’age des cavernes. Notez que ca commence a basculer ! A leur tour ils decouvrent la bagnole, la teloche et le refrigerateur, ces plaies de la societe moderne. Ils se laissent envahir, contaminer. Ils se mettent a mollir ! Ils deviendront frileux, bientot ! Douillets, je predis ! La Securite sociale va precipiter leur chute dans le coton hydrophile ! Maintenant que le toubib et les remedes leur coutent rien, ils commencent d’en user, et demain ils en abuseront autant que les deliquescents, que les malfoutus, que les emmitoufles des villes ! Leurs beaux estom’s se boufferont aux mites ! Leurs foies s’affoleront. Ils connaitront la bile, je vous jure ! Et les mechantes affres de la vesicule sournoise ! Ils apprendront ce que c’est que le cholesterol, c’est ecrit ! La vilaine cohorte des maladies dont ils ne souffraient pas, faute de les connaitre, les atteindra. C’est imminent ! Ils les apprennent sur le petit ecran : les troubles de ceci, les allergies a cela ! Toutes les vacheries identifiees ou en devenir : les maux de rate, les virus, les fievres eruptives, les taux d’uree, les vitesses de sedimentation, les tests, les cutis, les analyses ! Ils commencent a se faire explorer le pipi, a se faire biopser les rognons, a se laisser vadrouiller dans le gros colon. On leur entre dans le rectum comme chez soi ! On leur inspecte la matrice a l’?il nu ! On leur bivouaque dans les ventricules ! On fait du camping dans leurs poumons, des visites organisees dans leurs testicules ! Bientot, ma parole, ils auront des migraines, nos fiers pegreleux de jadis, eux qui arpentaient les hivers avec une veste de velours et un cache-nez de laine, les mains violettes de froid ; s’ouvrant les furoncles avec leur Opinel, se guerissant les plaies avec de la fiente, la colique avec des tisanes et les maladies pulmonaires avec de la gnole. Ah, nos bons paysans, si courageux ! Materiel de guerre ideal dont la viande fut tellement utilisee ! Eux qui crevaient de vieillesse, juste pour dire, ou a la rigueur du tetanos a cause de ces bongus de bourrins qu’il faut bien fumasser ! Odorants pequenots, dont la crasse sentait la vie et non pas la mort comme la crasse des urbains ! Eux qui etaient un etonnant croisement issu de la terre et de l’animal. Arbres vivants aux sabots encore pleins de racines ! Salut, les terreux en peau d’elephant ! Salut, les analphabetes pleins de bon sens ! Salut, les bouffepatates si robustes ! Salut, les semeurs de froment aux mains fissurees comme des troncs de chenes-lieges ! Salut, et deja bonsoir, a vous qui futes si authentiquement vivants, si authentiquement francais quand vous etiez chleus ! Vous voila en route pour la decadence ! Pour la faillite de vos organes ! Vous allez devenir craintifs, vous qui braviez la nature ! Permettez ce coup de bada de votre San-A. Lui aussi arrive de la brousse, avec une generation de retard. Continuez votre course au progres ! Vive les trayeuses electriques, les monte-foin automatiques, les inseminateurs artificiels ! Et mes condoleances a vos vaches qui s’envoient en l’air avec des seringues deja pasteurisees !

— S’il nous laisserait que cette cage a rhumes, y aurait pas de quoi se faire coter nos actions en bourse, ronchonne le Beru.

Au premier, la plupart des carreaux des fenetres ont ete remplaces par des cartons. Les meubles sont rares et bancaux (je ne fais une exception que pour chacal) ; les murs pleurent d’humidite. Les lits ont des paillasses en feuilles de mais sechees. On a entrepose des graines et des pommes de terre a germer dans les chambres. Pour se zoner, faut prendre a gue, sur des rondins de bois.

Il avait vu juste, Beru : la literie a ete chancetiquee. La gonzesse en hermine a fouille partout… A-t-elle trouve ce qu’elle cherchait ?

— On va porter plainte ! glapit Laurentine. Puisque vous etes policiers, tiens donc ! Occupez-vous-en !

Je lui explique tant mal que bien que ca ne releve pas de mes attributions.

— Alors allons a la gendarmerie de Mezy-Aubenieur ! grince miss Guette-au-trou.

On lui a fait sauter le pif, mais ca ne lui etait pas venu a l’idee de porter plainte. C’est seulement en voyant les lits eventres qu’elle tombe en crise. Elle craint la fugue de la chaussette aux louis d’or, Laurentine ! Son sang, elle veut bien le verser, mais pas la joncaille de l’heritage ! Elle se refera des globules rouges, mais pas des napoleons. On lui a devaste les entrailles en eventrant les humbles paillasses !

J’ouvre les tiroirs, a la recherche de je ne sais quoi. Mais on les a explores deja. Une enveloppe git a terre. Elle est vide et porte l’adresse de Prosper Berurier redigee a la machine. Elle a ete postee de Paris, bureau de la rue d’Anjou, deux mois plus tot. Je l’enfouille. Ca fait glapir la deblairee de plus belle.

— Qu’est-ce vous venez de mettre dans votre poche ! De quel droit ! Qui vous permet ?

Sa suspicion fouette le sang berureen.

— Dis donc, Laurentine, il rabroue. D’accord, tu n’as plus de pif, mais y te reste encore deux oreilles, avise-toi seulement d’outrager San-A. et tu vas voir tes manettes, ou est-ce qu’elles vont aller dinguer !

Il se fourrage l’intime et me demande :

— Qu’est-ce qu’on branle a propos de ce vol ?

— Personne ne prouve qu’on a vole quelque chose, objecte-je.

Neanmoins je gamberge un chouia, puis je decide.

— Il serait interessant de questionner la bonne femme qui faisait le menage.

— Tu crois ?

— Et puis le toubib egalement.

— Pourquoi le toubib ? s’etonne l’Enflure.

Mon silence le trouble. Il me sourcille a haute tension. On entend Mongeneral qui cocoricote La Marseillaise des poulets, en bas, dans la cuistance. Un vrai petit clairon, le coq a Prosper. Ca lui fait de l’effet, d’etre tricolore, a ce gallinace.

— T’as des idees sur la mort de mon tonton ? apprehende le Proeminent.

— Des idees, comme ca, tu me connais, Beru, j’ai le chou qui bouillonne vite ! Ou peut-on roupiller dans ton bled ?

— Ben, ici, non ? suggere le Gros.

— T’es louf, il fait moins deux dans votre masure !

Alors, la voix grincante de la mome Laurentine :

— Venez chez moi.

On la regarde. La tempete sous un crane ! Elle a du vachement hesiter avant de balancer cette propose. Mais elle a peur de nous abandonner a nous-memes. Elle redoute d’obscures arnaques, la vieille toupie ! Elle se dit que tout poulagas que nous soyons, on n’est peut-etre pas tellement franco du collier, alors elle veut nous garder en surveillance ! Elle vigile a tout crin, y a des interets superieurs qui sont en jeu, mes fils !

Berurier ne parait pas autrement seduit par la proposition. Il hoche sa noble tete d’intellectuel deguise en connard et finit par laisser tomber :

— Vu la brouille de nos deux familles, Laurentine, je crois pas pouvoir accepter ton invitation.

Ici, se place une vehemente intervention sanantoniesque.

— Oh, dis, bebe-lune ! explose-je, le sol est gele, c’est pas le moment de deterrer la hache de guerre !

Elle a une petite cahute confortable, miss Laurentine. Avec toutes les commodites : veces avec chasse, l’eau chaude et l’eglise de l’autre cote de la rue ! Ca sent le propre et l’encaustique, chez elle. Un poele de faience repand une chaleur douillette et des relents de cacao flottent dans toute la maison.

Elle possede une chambre « a donner : celle de sa vieille moman, clamsee l’annee precedente. La brave dame regne encore sur le logis, depuis un grand cadre d’ebene. Elle a la bouche en guidon de course, un regard de guenon vicieuse et sur la tete un fichu de dentelle noire. En entrant dans la piaule, le premier soin du Gros est de tourner la photo face au mur.

— Je pourrais jamais en ecraser si je sentirais le regard de cette vieille vache pose sur moi pendant mon sommeil, m’avertit-il. Y avait pas plus sournoise que l’Hortense. Un brouille-menage, cette vioque ! Sa specialite c’etait la lettre homonyme ! Sitot qu’un zig dans le bled grimpait la femme d’un autre, elle etait affranchie du coup, madame Zyeute-au-trou ! Son burlingue de renseignements fonctionnait mieux que nos services de contre- espionnage, espere un peu…

Tout en causant, il se defringue. Son bide constelle de cicatrices apparait, rond, dodu, poilu, copieux. Il le

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