Des gants blancs, des bottes blanches montant haut ! Bref, la derniere, l’ultime personne qu’on peut s’attendre a trouver a une heure du matin dans une ferme delabree au fond d’une province petrifiee par l’hiver.

Le Gravos s’est arrete. Lui aussi a vu. Lui aussi bave sur son menton… Mais le reve n’est pas acheve. Voici qu’une voiture jaillit de sous le hangar. Une grosse guinde americaine, tous feux eteints. Elle stoppe au niveau de la blanche apparition. La fille blonde prend place a l’interieur. Le temps qu’elle entrouvre la porte, la lumiere du plafonnier s’est declenchee, nous permettant de revoir la fabuleuse personne et d’en decouvrir une autre, du meme tonneau, installee au volant. L’auto fonce, passe a moins de dix centimetres de nous. Nous avons tout juste pu esquiver son rush, sinon on se retrouvait avec un cataplasme de Cadillac sur le poitrail, Beru et Bibi.

Pas meche de bigler la plaque couverte de neige. L’auto tangue dans le chemin creux. Les ronces gemissent sur la carrosserie.

Mon premier reflexe a ete d’aller jusqu’a ma voiture pour courser ces demoiselles. Mais je me retiens. Le temps d’atteindre mon vehicule, les deux filles blondes auront disparu. Sans compter que ma tire est froide, engivree comme un sorbet et qu’il faut un bon quart d’heure avant de la rendre disponible.

— Non, mais t’as vu ! bredouille l’usufruitier. Dis, t’as vu ou bien est-ce que j’ai trop force sur le vin chaud ?

Je ne reponds pas. J’ai deja ressenti bien des surprises au cours de ma brillante carriere, mais des semblables, non, jamais ! Cette fille, madame ! Je ne l’ai apercue qu’une fraction de seconde, mais elle avait tout ce qu’il fallait pour s’installer dans ma retine et y passer ses vacances.

Quel chassis ! Quelle allure ! Quelle elegance ! Quelle beaute ! Oh ! ces tifs d’or, madame ! Oh ! ces jambes bottees, monsieur ! Une couverture de Lui, et les pages en couleur d’Elle ! Ce que c’est idiot qu’elle n’ait pas songe a me laisser son numero de telephone avant de partir.

Je m’arrache a l’extase pour pousser une pointe de reconnaissance jusqu’a la maison du vieux Prosper.

La cousine Laurentine est agenouillee sur le mauvais carrelage. Elle a la figure dans ses deux mains. Elle pleure.

— Que s’est-il passe ? Je lui demande.

Ses mains retombent. Elle a le nez comme une tomate. Ca jute rouge par tous les bords.

— Une femme, begaie-t-elle. Une femme en blanc. Elle descendait l’escalier. En m’apercevant, elle s’est precipitee sur moi et m’a lance un coup de poing en plein visage. Elle devait tenir quelque chose de dur car j’ai cru que mon nez eclatait.

Je ne voudrais pas lui oter des illusions qui, somme toute, ne lui coutent pas cher, mais il a bel et bien explose, son enjoliveur a huile gomenolee.

Miss Manteau-d’hermine devait avoir un coup de poing amerlock a l’interieur de ses jolis gants.

Le maigre tarin de cousine Laurentine a pris du volume. Il a de l’ampleur, maintenant. Une fiere allure ! Le pif de Robert Dalban, a cote, c’est le mignon pif de Blanche-Neige !

4

LE MYSTERE S’EPAISSIT !

Ecoutez, moi je suis pas contre le mystere. Je trouve qu’il pimente la vie. L’inconnu, c’est ce qui fascine le plus. L’homme a besoin de points d’interrogation, ne serait-ce que pour s’en faire des portemanteaux.

Je considere alternativement Beru et sa cousine. Y a de quoi se cramponner a la rambarde, avouez ! Deux filles en manteau de fourrure blanc, au milieu de la nuit hivernale de Fouilly-les-Oies, c’est pas banal ! Que venaient-elles fiche dans cette vieille baraque bourree de courants d’air ? Des elegantes, style mannequins, pourvues d’une Cadillac dernier modele ! Faites-moi une avance de phosphore, les gars, que je pige un peu…

— Je dis pas que je soye pas un peu schlass, balbutie le Gros, mais je crois bien avoir vu ce que j’ai vu, non ?

Il considere le nez tumefie et raisineux de la pauvre Laurentine.

— Et miss Dargeot-benit a fait mieux que voir, a ce qu’on dirait ! ajoute-t-il. Dis, Laurentine, ton Saint- Christophe, il roupillait ou quoi ?

Bon jusqu’a l’abnegation, il offre a sa coheritiere un mouchoir qu’un chiffonnier negligerait s’il se trouvait dans une poubelle.

— Amortis-toi la blessure, conseille-t-il. Si les microbes se foutent apres ton aubergine, tu risques de ramasser ton blair dans la poussiere. Qu’est-ce tu penses de cette seance, San-A. ?

J’ai un geste evasif (les plus difficiles a reussir).

Le Gravos, surexcite comme une pile atomique quand ses neutrons font les voyous, enchaine :

— Un peu culottees, ces frangines, de venir cambrioler une maison en pleine noye !

Je pige pas et ca me fait mal dans la boite a idees.

— De la route, sous la neige, on ne la voit meme pas, la ferme, Gros ! Et puis, ces bergeres, c’etaient pas des romanos. Elles se loquent chez Courreges de bas en haut, chez Courreges et chez Ciganer ! Tu les vois faire des fric-frac a travers les tas de fumier ? Il fait moins quinze dehors et on est a deux cents bornes de Pantruche !

— Tout ce que tu me causeras, proteste le Mastar, les faits sont la, non ? J’ai idee que ce sont des petites specialistes du bas de laine. Elles retapissent un deces, et pendant que la famille pleure son mort, ces friponnes viennent soulever le matelas. Les nabus aiment pas les banques. Leur joncaille, ils la dorlotent dans des plumards, c’est connu !

Peut-etre a-t-il raison ! Sans doute a-t-il raison ! Il ne peut qu’avoir raison, sinon quelle autre explication trouver a ce mystere ?

— Comme quoi, conclut le Gros, on a rudement bien fait de s’annoncer maintenant ! On les a derangees en plein charbon, ces demoiselles. Ah ! les morues, si je les piquais, je te leur filerais une de ces fessees qu’ensuite leur mignon dargif aurait l’eclat du neuf !

— J’aimerais assister a la correction, soupire-je en evoquant la blonde chevelure de la fille en blanc.

Laurentine, c’est du bois de pequenot. C’est geignard mais solide. Malgre son tarin entame, elle fait bonne figure.

— Il faut tout verifier, elle recommande d’une voix devenue nasale.

Comme elle acheve ces mots, on entend un bruit bizarre dans la cuisine. Un grattement… On regarde et on avise une grande caisse grillagee sur un cote.

— La niche du medor, sans doute, hypothese Berurier.

Sur le grillage, un papier est epingle. D’une ecriture penchee mais riche en pleins et delies, on a ecrit : « Mongeneral adore le mais. Le dimanche, lui faire prendre une cuillere de vin sucre. Merci ! »

Beru s’incline au-dessus de la caisse.

— Eh ben ! dis donc, toutou, murmure-t-il, tu vas devenir un vrai petit goret si t’aimes les farineux ! Et du pinard sucre ! Il t’avait vachement a la chouette, l’oncle Prosper !

Il se tait, se retourne et je constate que ses yeux sont prets a lui degouliner sur les joues.

— Ah ben, ca alors, begaie-t-il, vous avez vu ?

Il s’ecarte pour nous laisser regarder a l’interieur de la caisse.

Nous nous exclamons en c?ur, Laurentine et moi. Mongeneral n’est pas un chien, mais un coq ! Un beau coq blanc, dont la queue est agrementee de superbes plumes presque bleues, et dont la crete rouge vif lui pend sur le cote comme un beret basque. Un coq bleu blanc rouge en somme ! Il tourne la tete lateralement afin de braquer sur nous un ?il de verre, bien rond, bien jaune, et dont la paupiere fletrie ne cille pas Il dormait gentiment dans sa caisse pleine de paille, Mongeneral. Tricolore et beat ; et puis voila qu’on le reveille en sursaut avec nos giries d’humains. Un fataliste, ce poulet ! Il pourrait nous marquer son mecontentement, nous invectiver. Mais non, il se contente de nous bigler d’un seul lampion avec l’air de se demander pourquoi on fait des bouilles comme sur les reclames pour le laxatif Fafagogue. Il se souleve, s’etire une aile, se gratte la crete d’une patte et lance un cocorico qui ridiculiserait l’indicatif des Actualites Pathe.

— Un poulet ! souffle Laurentine.

Son gros cousin reagit.

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