gratte a pleins ongles pour faire tomber les miettes de pain qui s’y sont refugiees, et poursuit en otant son benard :

— Des qu’elle etait au parfum d’une partie d’orifice, elle adressait le rapport circonstancie aux cocus, recta ! C’etait la terreur du village. Les hommes osaient plus se farcir de nanas en dehors du plumard conjugal, rien qu’a l’idee d’Hortense. Un vrai bromure, cette carne ! Tout le pays subissait sa loi ! Pendant dix piges, la natalite a degringole en chute libre. Les julots se mettaient a la boisson. Y en a bien qu’ont essaye de reagir ; tiens, l’instituteur que t’as vu ce soir. Il brossait la couturiere. Quant sa memee a recu sa bafouille rapporteuse, il est alle a la gendarmerie porter plainte. Les pandores ont fait une enquete. Ils le savaient partinemment que le message signe anonyme venait d’Hortense. Mais, pour le prouver, c’etait tintin ! La mere a Laurentine avait une main gauche fantastique pour camoufler son ecriture. Elle continuait a caracoler dans la delation, Hortense. Ca la grisait d’apprendre aux autres qu’ils etaient cornards. Et puis, un jour, j’ai mis le hola a ses activites ! affirme le Terrible.

— Toi ! soupire-je en me flanquant dans le plumard a suspension pneumatique.

Un sommeil terrible ! La realite se deguise en fumee blanche : j’ai le conclave positif !

— Oui, clame le Virulent, moi-meme personnellement, San-A. Le jour que je m’ai paye la bouchere et qu’Hortense a adresse son message habituel au mari, tu sais ce que j’ai fait ?

Il pouffe en s’abattant pres de moi dans le lit, heureusement tres vaste. Les ressorts poussent un cri de surprise. Le Gros se trouve une position commode et poursuit :

— Avec de la barbe de mais, je m’ai fait une paire de bacchantes, puis je m’ai barbouille la frime au bouchon brule. Ensuite je suis t’alle guetter Hortense par le chemin des Recamier. Chaque soir, elle allait chercher son lait chez un fermier. Il faisait noye. Quand elle est radinee, je lui ai saute sur le poil. J’avais repere le trou a purin d’une metairie, a deux pas. J’ai traine la vioque jusque-la.

Je fais partie du Cucul-Clan, Hortense, j’y ai mugi en travestissant ma voix. Section des lettres homonymes ! La prochaine que t’ecriras, tu seras arrosee d’essence et on foutra le feu a ta saloperie de carcasse ! En attendant, voila un avertissement.

Et zoum ! Dans le bouillon !

Beru, qui s’endort, ajoute d’un ton pateux :

— Jamais plus elle a recrit une bafouille, cette seringue !

Nous allons roupiller pour de bon, mais la porte s’ouvre. Laurentine est la, verdatre, enflammee, terrible, dans une longue chemise de nuit en toile de lin.

— Miserable ! hennit-elle, miserable, ainsi c’etait toi !

— Tiens ! soupire Beru, Mam’zelle Peau-d’hareng ecoute aux lourdes ! Y changeront jamais dans cette bon dieu de famille !

Mongeneral remet ca. Cette fois, y a pas gourance de sa part : il fait bel et bien jour.

On a installe le precieux volatile dans la cuisine de Laurentine. Aussi, il est a la fete, ce coq quatorze- juilletard.

La bouille sinistree, le naze rouge et vert, la vieille fille acheve de preparer le cafe. Elle ne repond pas au salut du Gros. La haine qui divise les Berurier et les Berlinguet vient de prendre un nouvel essor.

— Alors, Beau Cierge, on fait sa tete de lard ? observe mon ami. T’as de la ranc?ur pour ce que je causais a propos de la blague que je fis a ta daronne ?

— Une blague ! Jeter maman dans une fosse a purin, il appelle ca une blague, me temoin-prend-elle.

— Baste ! ricane Son Ampleur, c’est le seul bain qu’elle a jamais pris de sa vie ! Tu trouves plus honorable d’envoyer des bafouilles de denonciation a tout le village, comme un homme-sandwich virgule ses prospectus ?

Elle pince les levres. Mongeneral nous tonitrue un truc dans sa langue.

— Oh, dis, le chaperon rouge, moule-nous avec ta conference de presse ! l’interpelle Beru. Tu devrais lui cloquer son taf de mais, au riche heritier ! Un poulet qu’est a la tete de cent briques, ca se choye, ma vieille !

Il se penche sur la caisse.

— Je me demande son age, a ce bestiau ! T’as vu ces fourchettes a escargots qu’il a aux pattes ? Ca vit combien, un poulardin, dix, douze ans, pas plus ?

— J’en ai vu de quinze ans, ne peut s’empecher de lamenter Laurentine qui fait siennes pour un instant les preoccupations de son abominable cousin.

— Suppose qu’il ait que trois piges, ca nous promet des grosses impatiences, calcule Alexandre-Benoit. D’ici que ca soye encore lui qu’herite de nous, y a pas loin !

On se cogne un caoua bien reconfortant et nous affrontons a nouveau les froidures de Saint-Locdu.

La Melie, c’est une grande gaillarde voutee par les gros turbins. Des bras de singe, des epaules de portefaix, et dans toute sa personne, quelque chose de malheureux et de resigne. D’ailleurs, les gens malheureux sont inevitablement resignes. Elle a de grands cheveux roux-gris, filasse, qui n’ont pas ete laves depuis la fois ou elle avait oublie son parapluie. Son sourire ressemble a un tiroir mal ferme et elle a les yeux gentils d’une bete de somme. En voyant entrer ce trio dans sa bicoque plus demantelee que celle de Prosper, elle semble intimidee, mais pas surprise.

Laurentine lui vote un hochement de tete et Beru deballe son pedigree, maniere de remettre dans la memoire de la bonne femme le resume de ses chapitres precedents.

— Je voudrais vous causer de notre pauvre onc’, termine-t-il, en retrouvant d’instinct l’accent de son terroir.

Elle se croit obligee de chialer un petit coup, la Melie, par politesse. Prosper, il devait la payer au tarif des indigents et, en plus, se faire mettre a jour le compresseur quand un retinton lui venait ! Mais il faisait partie des habitudes de la pauvre femme, et une habitude foutue, chez ces gens-la, ca les desequilibre. Faut qu’ils se cramponnent aux coins de table pour pas chuter.

— Y a longtemps qu’il avait ce poulet, dites, Melie ? demande Laurentine, toute preoccupee du sujet.

— Cinq ou six ans, revele la femme de menage. Il l’aimait bien, son coq.

— Ca, on le sait ! grogne Beru.

Il se tourne vers sa cousine.

— On va etre bonnards pour poireauter une dizaine d’annees, tu vas voir le coup.

Je les laisse supputer la longevite du gallinace et j’entreprends la Melie.

— Il etait malade, ces derniers temps, l’oncle Prosper ?

— A chaux et a sable ! recite-t-elle pour avoir lu la formule dans un vieux numero du Pelerin.

— C’est vous qui l’avez trouve mort ?

Elle met sa main immense et rouge devant ses yeux pour chasser la vision, mais en conservant cependant les doigts ecartes pour continuer a me voir.

— Parlez-moi z’en pas, mon pauvre monsieur ! C’etait l’autre matin. Juste quand t’est-ce que j’arrive. Au pied de son escalier…

Elle revoit — et raconte tant bien que mal — le corps de Prosper en banniere, le dargeot a l’air, tout blanc, tout maigrichon et ses poils aux guiboles, ses varices, ses bras z’en croix, son bonnet de nuit plein de sang, son bougeoir de cuivre ecrase, la bougie… Tout !

Il etait clamse depuis plusieurs heures deja. Le raisin avait gele. Quand on l’a souleve du plancher, ca a fait un bruit terrible, comme lorsqu’on decolle du sparadrap. Une poignee de ses cheveux blancs est restee plantee dans le sol, pareille a quelque louche chiendent sorti du parquet.

Sombre detail : pres du cadavre, Mongeneral cocoriquait a outrance. Il saluait le jour neuf, indifferent a la mort de l’homme qui lui leguait sa fortune ! Un chant de nouveau riche !

J’interromps la Melie. Elle propose du cafe. En cambrousse, c’est dans les usages, quelle que soit l’heure, le caoua. Heureusement qu’ils ont la nervouze en veilleuse, sinon, avec tout ce qu’ils eclusent comme jus, ils auraient tous la danse de Saint-Guy, les terreux ! Faut accepter sous peine de les vexer. On dit banco. La Melie met l’eau[5].

Pendant que sa casserole, au derriere noiratre, se fait chauffer le baigneur, je continue d’enqueter.

— Il recevait beaucoup de visites, l’oncle Prosper, madame Melie ?

Elle s’exorbite de bas en haut et de gauche a droite.

— Lui ! Personne ! Il vivait en hermine !

La confusion me fait evoquer la fille blonde de la nuit.

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