d’une epoque ou t’etais pas ne. Possible que depuis t’aies fait tomber la moyenne et que les Goix retrogradassent. Si j’estime selon ta frite, c’est meme presque probable !

L’autre cille un brin, le temps d’enregistrer.

— Vous faites le malin, riposte-t-il, mais si on tomberait le pantalon, j’en sais un qui n’aurait pas l’air fin !

C’est pas le mechant homme, Beru. Mais la patience n’a jamais ete son violon d’Ingres. Surtout lorsque l’honneur des Berurier est pris a partie[3].

— Ecoute, Goix fils, apostrophe le Doue. Je reviens pas a Saint-Locdu pour me laisser mettre en doute.

Deballe un peu ta came, et je te dirai si t’as le ruban bleu !

— C’est trop facile ! fletrit l’heritier des traditions goixiennes. Commencez donc par y faire voir, vous, gros gueulard !

— Jockey, abdique Beru en otant son pardingue, on va jouer cartes sur table, bonhomme[4].

Lors, un gentil vieillard s’approche. Il a l’?il borde de rouge, mais qui reste severe. Un beret plus ou moins basque ; un gros cache-nez tricote, en laine grasse ; un complet fletri dont les revers font la feuille de tulipe. C’est, m’apprend-on, M. Martinet, l’ancien instituteur de Saint-Locdu. Il a pris sa retraite ici apres y avoir combattu l’inculture pendant une trentaine d’annees. Mais sa voix a conserve les inflexions chantantes de son Var natal.

— Alexandre-Benoit ! morigene le retraite, tu ne vas pas te deculotter en public le jour de l’enterrement de ton oncle, tout de meme !

Le Mastar, qui se deboutonnait deja la bretelle, reste un moment indecis, soupesant le reproche. Mais ses yeux tombent sur Goix et il reagit.

— Excusez-moi si je vous demande pardon, m’sieur Martinet, mais justement, c’est la memoire de mon pauvre oncle que je defends !

L’ultime patte de ses bretelles declare forfait. Un bouton de sa braguette roule sur le plancher.

— Pret ? demande le Gros !

Goix a deja le grimpant en position de chute libre. Le vetement ne tient plus que par les seules mains de son possesseur. Un geste a faire, et le largage s’operera.

— Pret ! repond-il.

Mais Berurier a un sens instinctif de la mise en scene.

— Je demande a l’honorable societe de bien vouloir fermer sa gueule et ouvrir ses lampions, declare le Mondain. Auparavant, s’il y en avait des certains qui voudraient prendre des paris, je leur laisse le temps d’aligner leurs mises. C’est moins aleatoire que le tierce et ca peut devenir d’un meilleur rapport.

Cette invite prouve bien qu’il n’est plus d’ici, Beru. C’est devenu un produit — ou un sous-produit — de la grand-ville. Un contamine a part entiere ! Il se fait des berlues, le Cheri, s’il s’imagine que les Saint-Locduciens vont risquer trois feves sur ses bas morcifs !

Un silence hostile le lui fait comprendre. C’est le retour aux sources a vive allure !

— Allons-y, bebi, dit-il a son challenger.

Les deux comperes devoilent alors la statue equestre de leur amie Coquette. Je songe au malheur qu’il ferait, Beru, s’il se trouvait sur la scene de l’Olympia au lieu de se produire dans le cafe-mercerie-boulangerie de Saint-Locdu !

On casserait les strapontins chez Coca-Triste ! l’orchestre jouerait La Marseillaise ! Voyez-vous, les gars, on ne devrait jamais sortir sans son Kodak ! Un qui flasherait le Gros, en ce moment, il aurait la couverture de Paris-Mate ! Le cliche du siecle. Le gros, son bada sur la tronche, penche comme une gargouille qui regarde entrer les fideles ! Le futal tire-bouchonne sur les nougats, avec le monte-charge eminence baisse. Il essaie de s’apercevoir l’intime par-dessus sa brioche protectrice. Il a la tripe qui amortit les chocs, mais qui surplombe le panorama. Il se la maintient a deux mains ; il la hausse, la comprime, l’ecrase, l’etale, la dissipe de son mieux. Il veut qu’on puisse juger en connaissance de cause ! Parallelement, et tout en conservant un ?il satisfait rive a sa balise, il louche sur l’entresol de Goix fils. Alors il s’epanouit, Beru. Il pouffe, il piaffe, il pontifie ! Il se lache la bedaine pour se claquer les cuisses.

— Tu confonds virilite et maladie venitienne, mon pote ! Ce que t’as, c’est pas masculin, c’est incurable. Une orchidee double, ca s’appelle ! Tu devrais prendre une brouette pour te faciliter les deplacements !

— Quoi ! quoi ! bredouille Goix qui commence a se poser des questions sur son cas.

— Va voir le medecin, eh, pomme a l’huile ! Il te le confirmera que tes piteur-sisteres sont gonflees au butane. L’homme de gros moignon, tu repasseras ! Demande a l’honorable assistance, si tu crois que je te berlue ! Un laxompem commak, tu devrais te faire confectionner une corbeille d’osier pour te l’emmener promener. T’as gambade dans le contamine, pour avoir les amygdales grosses comme des poids d’horloge ! Ce qui importe, c’est la tringle a frissons, gamin ! De ce cote-la, je voudrais pas te torpiller le mental, mais tu donnes plutot dans l’escargot de gargote ! Ton Popaul, camarade, c’est une virgule sur une affiche ! Si tu pavoises pour une bricole pareille, c’est que t’as la vanite qui se deregle ! Ton cabochon, j’oserais meme pas le montrer a une s?ur de charite si qu’on me menerait a l’hosto, j’aurais trop peur de lui bousiller le sacerdoce ! Ah mince alors ! s’epoumone le vainqueur, ce ouistiti vient vous chinoiser sur la vigueur des Berurier, un jour d’enterrement ! Et qu’est-ce qu’il vous deballe triomphalement ? Un porte-cles reclame ! Cache ton musee des horreurs, Goix fils ! Et visionne un peu a l’etalage ce que c’est que de l’authentique ! On m’appelle Jumbo dans l’intimite !

La-dessus, la porte du bistrot s’ouvre. La seche cousine Laurentine se tient dans l’encadrement, au cote d’un solide gaillard a lunettes qui porte des pantalons de golf et qui a une pipe entre les dents.

En decouvrant le spectacle, la cousine bat l’air de ses bras comme tout a l’heure au cimetiere et s’evanouit sur le plancher. L’homme qui l’accompagne regarde Beru et demande :

— M. Berurier, sans doute ?

3

L’HERITAGE DE BERU

L’homme aux culottes de golf, c’est Me Collignier, le notaire !

Pas du tout le genre tabellion. Le mec energique, bien plante sur ses jambes, sanguin, rieur, toujours pret a vider un verre ou a se mettre a table.

Il enjambe la cousine et s’approche du Mastar.

— Me Collignier, dit-il en tendant a Beru une main aux ongles carres.

Il est pas le moins du monde offusque de la tenue du Gros. Il connait ses paroissiens, depuis plusieurs generations que les Collignier ont ouvert une etude a Saint-Locdu, et il ne s’etonne plus de rien. Dans le patelin, on l’appelle monsieur Maitre ! Et quand il a un mouflet de plus, y a des vieux qui lui apportent un kilo de sucre, en hommage.

Beru se rajuste.

— Vous prendrez bien un saladier de vin chaud avec nous ? demande-t-il en se plumant son dernier bouton de braguette.

— Pourquoi pas ! fait le notaire.

Beru met le bouton dans sa poche et se colmate la breche avec une epingle. Pendant ce temps, miss Laurentine revient a elle, sur le plancher au milieu de l’indifference generale. Non-assistance a personne en danger, c’est un article du code absolument ignore des Saint-Locduciens. Tout le monde est naze. La cousine se remet debout en soufflant de rage. Elle a la couleur du froid exterieur. Elle est bleme et glacee. Elle vient a notre table en affutant ses yeux.

— C’est scandaleux ! fait-elle a son cousin abhorre. Une chose aussi degoutante, un jour d’enterrement !

L’eclatante victoire du Gros a rendu ce dernier conciliant.

— Fais pas la fine bouche, Titine, sermonne mon compagnon. Des comme ca, t’en as jamais vu et t’en reverras jamais.

Viens plutot boire un coup, ca te donnera des couleurs !

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