Elle refuse, sombrement drapee dans sa sobriete de momie !

— Alors, si tu picoles pas, mets les adjas, fillette ! conclut le Gravos. Chez Valentin, c’est pas le Pere- Lachaise, les mausolees en marbre on les laisse dans la cour !

Au lieu de repondre, Laurentine prend une chaise et s’assied pres de la porte, sombre et vigilante sentinelle. Elle se met a contempler la societe avec un rare mepris.

— Qu’est-ce qu’elle fout la, cette empaillee de noir ? questionne Berurier.

Le notaire s’arrache un poil du nez. Il en a toute une bath collection qui lui vegete sur l’extremite et qui doivent repousser sitot qu’il les depote.

— C’est a propos de l’heritage, dit-il. Comme vous habitez loin d’ici, Laurentine a pense qu’on pourrait l’ouvrir ce jourd’hui meme pour vous eviter de revenir !

— Tu parles d’une petite attentionnee ! gouaille le Beru. Miss Missel a hate d’enfouiller sa part, v’la la verite, monsieur Maitre !

Puis, interesse malgre tout :

— C’est vrai, il nous laisse de l’oseille, le vieux grigou ?

Collignier redevient professionnel.

— Nous verrons cela dans mon etude.

Je touche mon ami d’un coude discret.

— Pourquoi attend-elle dans le troquet, ta ravissante cousine, Gros ?

Il vide son verre, puise a pleine louche dans le saladier, et declare a haute et tres intelligible voix :

— Parce que c’est une peau de bique qui s’imagine que tout le monde lui ressemble. Tel que tu vois ce vieux poireau sec, il a peur que je fromage un coup avec le notaire pour l’arnaquer.

L’attitude minutieuse et attentive de Mlle Grain-de-Courge confirme les ameres paroles de Sa Majeste.

— A propos de quoi vous etes-vous brouilles, insiste-je, car j’ai la curiosite des miseres humaines poussee jusqu’au sublime.

Beru eructe sobrement dans le creux de sa main.

— Ca remonte a nos vieux, revele-t-il. Son dabe, a cette gazelle endeuillee, il etait encore plus requin qu’elle. Il avait le vice de deplacer, de nuit, les bornes de ses champs. Mon pere s’en etait apercu, tu penses. Le jour, il remettait les limites officielles en place. Pendant des annees, ils ont fait ce micmac. C’etait devenu leur culture physique, le maniement des grosses pierres champetres.

Et puis, une nuit que papa Berurier s’en revenait d’un banquet, le voila qui prend Felix sur le fait ! Il s’appelait Felix, l’auteur du petit sujet que tu vois la. Son sang ne fait d’autant plus qu’un tour qu’il avait un peu lichtegorne, mon ancetre. Quand il se lancait dans la partie de cul sec, fallait se rincer la gorge a l’esprit de sel si on aurait voulu y tenir tete ! Un vrai petit pipeline dans son genre, mon dabe ! Le voila qui saute sur le paletot a Felix et qui lui file une rouste memorable. L’autre en avait le naze qui jouait au probleme des deux robinets. A la fin, mon pere, quand il lui a eu bien souhaite la bonne annee, il y a montre la borne, a son parent. « Ho, Felix, il lui a dit, puisque tu l’aimes tellement, ce caillou qui nous appartient de moitie, je te donne ma part. Alors tu vas l’emporter a la maison pour l’admirer tout a ton aise ! »

Berurier part d’un rire immense, genereux, abondant, hemorragique. Un rire qui est celui de sa terre retrouvee.

— A coups de pompe dans les noix, il a oblige le Felix a ramener la pierre chez lui. Un gravier qui pesait dans les quinze kilos ! Notre brouille, c’est depuis lors.

A plusieurs reprises, la Laurentine, impatientee, vient relancer Collignier.

— Monsieur Maitre, il se fait tard, on pourrait peut-etre ?…

— Je suis a vous dans deux minutes, mademoiselle, assure le tabellion.

Mais il ne bronche pas de sa chaise. Quand la nuit tombe, c’est meme lui qui suggere qu’on pourrait peut- etre saucissonner. Y a bientot une tabagie feroce chez Valentin. Un remugle de vinasse, nuance de fumier et de sueur, flotte dans l’air a la ronde. On a moule le vin chaud pour le petit picrate frais sorti de la cave. Du moment que les estom’s sont rechauffes a present et qu’on s’est remis la jauge a calories de niveau !

Avec le sauciflard, c’est le roule de cochon, et puis les frometebocks du pays. Un delice ! Je me dis qu’ici la vie coule autrement qu’ailleurs. Chaque seconde pese son poids de temps. Elle apporte quelque chose. Les heures ne coulent pas sur nous, c’est nous qui glissons sur elles, cygnes noirs (oh ! completement noirs !) sur l’onde heureuse d’un lac ! On ne cause plus de Prosper maintenant. On l’a rendu a la terre qui l’avait concu. Il est parti pour la grande metamorphose, le tonton de Beru. Il va operer sa reconversion. Ses composants chimiques sont appeles a d’autres taches moins ingrates que celle consistant a faire un homme ! Pissenlit, il devient ! Humus ! Glaise ! Le grand repos mouvemente. Il est jete dans le formidable petrin des siecles. Et nous bientot… Tous ! Bon Dieu, ou est-ce qu’on les met, les macchabes ? Dites, c’est vrai qu’ils clabotent tous sans exception, les hommes ? Y a des moments, je doute. Je les vois dans les rues, dans les brasseries, au spectacle… Nombreux, bruyants, mobiles. Et je me mets a les imaginer clamses. Je me dis que c’est pas possible qu’ils y aillent tous, dans le grand trou borde de chrysanthemes ! Que ca creerait de la bousculade ! Que les Pompes seraient debordees ! Qu’y aurait pas suffisamment de boites a osselets pour tout le monde ni de corbillards en assez grande quantite ! Que les fossoyeurs devraient piocher au bull, faire de grandes tranchees comme pour les hecatombes guerrieres ! Ce qui surprend, voyez-vous, c’est combien ils meurent sagement, les hommes ! En ordre, chacun son tour, dans un coin du monde different ! A croire qu’un mecton leur distribue en douce des tickets d’appel ! Ca decarre en douce. M. Miche aujourd’hui, Mme Bizencoin demain ! Un jour on se retourne, on regarde, on s’apercoit que le cheptel a ete change, qu’on s’eternise dans un monde renove ! On se dit que ca va etre son tour ! Et puis ca l’est, betement ! Du sans surprise ! Vos eponges se collent, votre battant a des rates ! Termine ! A d’autres… Le torrent ! Allez vous faire foutre, tous ! Les condamnes d’avance, les ratures d’office, les assassines au jour le jour ! Oui, je les considere, souvent, tres souvent. Tenez, sur les stades, quand ils se maillochent pour un ballon ! Allez France ! La furia francaise ! Furia de mes choses, oui ! La course au trou, voila la verite ! Le ballon ? Un reve ! C’est pas du cuir, c’est une bulle ! Une illusion ! Qu’est-ce que je dis : le brouillon d’un projet d’illusion de bulle ! Et les boxeurs ! « Vas-y, Marcel, tue-le qu’ils glapissent, les autres squelettes en sursis ! Moi, je pense aux gnons derisoires ! Des combinaisons chimiques qui s’envoient des chiquenaudes ! La verite vraie ? Y a que l’amour ! Alors la, oui, je la boucle, j’ose plus baver, je mets les pouces. L’amour, ca me deconcerte. C’est si vachement supreme, si en dehors du reste ! L’amour, je cause pas de la partie de jambonneaux ! Je parle de la vraie amour. De celle qui te fait regarder le plaftard de ta chambre, quand tu es seul et que tu penses a l’autre ! De celle qui te fait chialer au milieu de la rue, parce que tu viens de sentir toute l’intensite d’une absence ! Cette amour-la, ca echappe a la physique, a la chimie, a toutes les sciences, a toutes les morales ! C’est ca, l’homme, le vrai : un brin d’amour ! Juste un soupir, rien qu’une larme tombee dans la gadoue de l’univers.

Apres la tortore, c’est les chansons. Les plus vioques entonnent Sambre et Meuse, les un peu moins vioques y vont de La Madelon. Les autres se cantonnent dans le Tino Rossi de la grande epoque. Voix de velours, regards qui bredouillent ! Vinasse partout ! On est en pleine seance de stupe ! Le pinard est roi !

Elle tombe de sommeil, la Laurentine. Elle rancit sur sa chaise. Les poivrots lui balancent des vannes bien salees qu’elle feint de ne pas piger. Elle dodeline. Une stoique dans son genre. Elle prefererait etre violee plutot que d’abandonner le notaire entre les mains de Beru. Elle soupconne le monde entier d’etre capable de l’arnaquer. Pour tromper le temps, elle se paie une tournanche de chapelet, dans la foulee. Ca lui entretient la patience, c’est sa pulverisation-vidange-graissage. Berurier a retrouve l’ambiance de sa jeunesse, la terre de ses aieux ! Il est bien, il s’epanouit, il s’arrondit.

C’est sur les choses de minuit que la debandade s’effectue. Les prostatiques sortent pour lancequiner. Le froid intense leur file un coup de goumi sur la noix et ils decident de rentrer a la ferme ou que leurs memes les attendent, les pieds sur la bouillotte. L’atmosphere tombe. Les trop saouls causent plus. Les autres ont les ficelles vocales qui se distendent. Bref, on se casse.

Le notaire est blinde comme la ligne Maginot. Il fait une embardee en se levant et c’est la devote Laurentine qui le cramponne par une aile.

— Eh ben, m’sieur Maitre ! l’interpelle familierement le Gros, t’as ton centre de gravite qui a coule une bielle, on dirait ?

Le tabellion s’excuse, faut qu’il fasse pleurer le gosse ! Le drame de ces soirees, ce sont les vessies surmenees. Faudrait avoir un wagon-citerne pour les cas d’exception. Ca peche au departement stockage, comprenez-vous ? C’est bien joli d’emmagasiner, mais after, hein ? Nous ne sommes au fond qu’une triste

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