Le VEM etait un vieux Vikken de tourisme a la coupole transparente, sans plaque de demarrage ni serrure palmaire sur le tableau de bord. Nous rattrapames le terminateur[1] avant d’avoir traverse la France et contemplames au-dessous de nous dans la nuit ce que Johnny appelait l’ocean Atlantique. Exception faite des lumieres d’une cite flottante occasionnelle ou d’une plate- forme de forage, la seule illumination provenait des etoiles et de la clarte sous-marine des colonies etablies dans les profondeurs de l’ocean.

— Pourquoi avons-nous pris leur engin ? me demanda Johnny.

— Je veux savoir a partir d’ou ils se sont distransportes.

— Il a parle du Temple gritchteque de Lusus.

— Je sais. Nous allons bientot en avoir le c?ur net.

Le visage de Johnny etait a peine visible tandis qu’il se penchait pour regarder la mer vingt mille kilometres plus bas.

— Tu crois qu’ils vont tous mourir ? me demanda-t-il.

— L’un d’eux etait deja mort. Celui qui a le poumon perfore s’en tirera peut-etre s’il est soigne a temps. Deux autres s’en sortiront. Pour celui qui est passe a travers la fenetre, je ne sais pas. C’est important pour toi ?

— Oui. Toute cette violence… Quelle barbarie !

— Bien qu’une rixe en pleine rue soit chose haissable, les energies qui s’y deploient sont interessantes, lui rappelai-je. Ce n’etaient pas des cybrides, cette fois-ci, n’est-ce pas ?

— Je ne pense pas.

— Il y a donc aux moins deux groupes qui veulent ta peau. Les IA, et l’eveque du Temple gritchteque. Quant aux mobiles, nous n’en savons toujours rien.

— Je crois que j’ai une petite idee, a present.

Je fis pivoter mon siege-couchette capitonne. Les constellations au-dessus de nous – je ne reconnaissais ni celles des holos de l’Ancienne Terre ni celles des mondes du Retz qui m’etaient familiers – diffusaient juste assez de clarte pour que je puisse apercevoir les yeux de Johnny.

— Explique, lui dis-je.

— C’est quand tu as parle d’Hyperion que tu m’as mis sur la voie. Le fait que je ne possede aucune information sur ce monde. C’est cela qui est important.

— C’est comme l’enigme du chien qui aboyait dans la nuit.

— Hein ?

— Rien, rien. Continue.

Il se pencha vers moi.

— La seule explication pour toutes ces donnees manquantes, c’est que certains elements du TechnoCentre les ont deliberement censurees.

— Ton cybride…

Cela me faisait tout drole, a present, de m’adresser a Johnny de cette maniere.

— Tu as passe la plus grande partie de ton temps a l’interieur du Retz, n’est-ce pas ? lui demandai-je.

— C’est exact.

— Et tu n’etais jamais tombe sur le nom d’Hyperion ? Il est pourtant regulierement a la une des medias, particulierement quand le culte gritchteque est d’actualite.

— Il est possible que cela se soit produit, et que j’aie ete assassine justement pour ca.

Je me renfoncai en arriere dans mon siege tout en continuant de regarder les etoiles.

— Nous poserons la question a l’eveque, lui dis-je.

Il m’expliqua que les constellations dans le ciel etaient un analogue de New York au XXIe siecle. Il ignorait pour quel programme de resurrection la cite avait ete reconstituee. Je coupai le pilotage automatique du VEM et descendis plus pres du sol.

Les hautes tours de l’epoque phallique de l’architecture urbaine s’elevaient au milieu des marecages et des lagunes du littoral nord-americain. Plusieurs de ces tours etaient illuminees. Johnny me montra une structure decrepite mais aux formes encore curieusement elegantes, en disant :

— L’Empire State Building.

— D’accord, murmurai-je. Quel que soit son nom, c’est la que le VEM a envie de se poser.

— Ce n’est pas dangereux ?

Je lui souris de toutes mes dents.

— Il n’y a rien, dans la vie, qui ne soit pas dangereux.

Je laissai faire le pilote automatique, et nous descendimes nous poser sur une petite plate-forme a ciel ouvert juste au-dessous de la fleche du gratte-ciel. Nous sortimes sur la terrasse au sol craquele. Il faisait sombre malgre les etoiles et les lumieres qui brillaient au-dessous de nous. Un peu plus loin sur la terrasse, les contours bleutes d’une porte distrans nous attendaient a l’endroit ou devait se trouver jadis un ascenseur.

— Je passe la premiere, dis-je a Johnny, mais il m’avait deja precedee de l’autre cote de la porte. Je sortis l’etourdisseur que j’avais conserve et lui emboitai le pas.

Je n’avais jamais visite le Temple gritchteque de Lusus, mais il ne faisait aucun doute que c’etait la que nous nous trouvions maintenant. Johnny se tenait a quelques pas devant moi, et il n’y avait personne d’autre que nous. L’endroit etait froid et sombre comme une caverne, si toutefois il existait des cavernes de cette taille. Une sculpture polychrome a l’aspect effrayant, suspendue a des cables invisibles, tournait lentement sur elle-meme comme sous l’action d’une brise que nous ne sentions pas. Nous nous retournames en meme temps, Johnny et moi, vers la porte distrans, au moment ou celle-ci disparut.

— On dirait que nous leur avons facilite le travail, murmurai-je a l’oreille de Johnny.

Meme ce faible chuchotement sembla se repercuter sous les voutes de la grande salle aux reflets de lumiere rouge. Je n’avais pas escompte, a vrai dire, que Johnny se distransporterait dans ce Temple avec moi.

La lumiere sembla alors s’intensifier, sans pour autant eclairer les murs de la salle, mais revelant la presence de plusieurs personnes en demi-cercle. Je me souvins que certains pretres gritchteques etaient appeles exorcistes, d’autres assesseurs et je ne savais plus quoi encore. Mais il etait peu rassurant de les voir la, au moins deux douzaines d’entre eux, avec leurs robes aux motifs noirs ou rouges et leurs grands fronts qui luisaient sous la lumiere rubis venue d’en haut. Je n’eus aucun mal a reconnaitre l’eveque. Il etait ne sur le meme monde que moi, bien que plus trapu et plus corpulent que la moyenne des Lusiens. Et sa robe etait celle qui avait le plus de rouge.

Je n’essayai pas de dissimuler mon arme. S’ils faisaient mine de nous sauter dessus, j’avais une chance, bien que mince, de les abattre avant. Aucun d’eux ne semblait arme. Cependant, ils pouvaient aussi bien cacher un arsenal sous leurs robes.

Johnny s’avanca vers l’eveque. Je le suivis. Nous nous arretames a dix pas de l’homme. Il etait le seul assis. Son siege etait en bois et semblait pouvoir se plier a des dimensions tres reduites pour etre transporte aisement. On ne pouvait pas en dire autant de la masse de chair et de graisse qui tendait les plis de la robe rouge de son occupant.

Johnny fit un nouveau pas en avant.

— Pourquoi avez-vous essaye de kidnapper mon cybride ? demanda-t-il, s’adressant au grand pretre du culte gritchteque comme s’il etait seul avec lui.

L’eveque gloussa en secouant la tete.

— Ma chere… entite, il est vrai que nous desirions votre presence dans ce sanctuaire, mais aucune preuve ne vous permet d’affirmer que nous soyons meles a une quelconque tentative d’enlevement sur votre personne.

— Ce ne sont pas les preuves qui m’interessent. Je suis seulement curieux de savoir pourquoi vous souhaitez ma presence ici.

J’entendis un froissement derriere nous, et je pivotai vivement, l’etourdisseur pointe et pret a faire feu. Mais le cercle des pretres gritchteques n’avait pas bouge. La plupart d’entre eux, au demeurant, etaient hors de portee. J’aurais prefere avoir sur moi le pistolet de mon pere.

La voix de l’eveque s’eleva de nouveau, riche en sonorites graves. Elle semblait remplir tout le Temple.

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