— Sol Weintraub et Fedmahn Kassad font partie des sept pelerins, continua Gladstone.

Le consul plissa de nouveau le front. Il regarda les chiffres qui defilaient en nuages autour de l’image holo. Il ne restait plus que quinze secondes de megatransmission.

— Nous avons absolument besoin de votre aide, conclut Meina Gladstone. Il est essentiel que les secrets du gritche et des Tombeaux du Temps soient perces. Ce pelerinage est peut-etre notre derniere chance. En tout etat de cause, si les Extros s’emparent d’Hyperion, leur agent devra etre elimine, et les Tombeaux du Temps devront etre fermes a tout prix. L’avenir de l’Hegemonie en depend.

La transmission prit fin, a l’exception des impulsions indiquant les codes du rendez-vous spatial.

— Reponse ? demanda l’ordinateur de bord.

Malgre les formidables quantites d’energie en jeu, le vaisseau spatial etait capable de lancer une breve salve codee au milieu de l’incessant megababillage qui reliait entre elles les differentes parties de la galaxie humaine.

— Non, repondit-il.

Il sortit sur le balcon pour se pencher au-dessus de la rambarde. La nuit etait deja tombee, et les nuages bas occultaient les etoiles. L’obscurite aurait ete complete sans les eclairs intermittents au nord et la faible phosphorescence qui montait des marecages. Le consul eut soudain conscience d’etre, en cette seconde meme, la seule creature sentiente sur une planete sans nom. Ecoutant les bruits antediluviens de la nuit qui montaient des marecages, il s’efforca de penser uniquement au matin, au VEM Vikken qu’il piloterait a la premiere lueur de l’aube, a la journee qu’il passerait au soleil, a la chasse au gros gibier dans les forets de fougeres du sud, puis a son retour au vaisseau, le soir venu, pour se delecter d’un bon steak et d’une biere bien fraiche.

Il pensa aussi au plaisir aigu de la chasse et au reconfort non moins aigu de la solitude, une solitude qu’il avait bien gagnee par les souffrances et les cauchemars qu’il avait deja endures sur Hyperion.

Hyperion…

Le consul retourna a l’interieur, fit rentrer le balcon et referma toutes les ouvertures du vaisseau juste au moment ou les premieres gouttes de pluie commencaient a tomber. Il grimpa l’escalier en spirale jusqu’a sa cabine, dans le nez du vaisseau. La salle a paroi circulaire etait plongee dans l’obscurite, a l’exception des explosions silencieuses des eclairs qui faisaient briller les gouttelettes d’eau ruisselant sur la coupole transparente. Il se deshabilla et s’etendit sur le matelas ferme, allumant l’ampli et branchant le systeme de sonorisation qui restituait les bruits de l’exterieur. La fureur de la tempete se mela aux accents violents de la Chevauchee des Walkyries de Richard Wagner. L’ouragan fit trembler le vaisseau. Les coups de tonnerre remplirent la cabine tandis que la coupole s’illuminait d’eclairs blancs qui laissaient de cuisantes remanences sur les retines du consul.

Wagner n’est bon que pour les moments de tempete, se dit-il.

Il ferma les yeux, mais les eclairs etaient encore visibles a travers ses paupieres. Il se souvint de l’eclat des cristaux de glace qui soufflaient a travers les ruines chaotiques des collines basses a proximite des Tombeaux du Temps, et aussi de la lueur metallique encore plus glacee et irreelle qui emanait de l’arbre fantasmagorique du gritche, herisse de formidables piquants d’acier. Il ne pourrait jamais oublier les hurlements qui montaient dans la nuit ni le regard du monstre a mille facettes de rubis sanglants.

Hyperion…

Le consul commanda silencieusement a l’ordinateur de faire taire tous ces bruits, puis se protegea les yeux du revers de la main. Dans le silence qui s’etablit brusquement, il demeura etendu sur sa couche, en se disant qu’il serait fou de retourner la-bas, de retourner sur ce monde lointain et enigmatique ou il avait exerce ses fonctions consulaires onze annees durant et ou la mysterieuse Eglise gritchteque avait un jour permis a une douzaine de barges de pelerins d’outre-monde de se rendre sur les terres desolees et balayees par le vent qui entouraient les Tombeaux du Temps au nord des montagnes. Aucun pelerin n’en etait jamais revenu. Et cela s’etait passe a une epoque normale, ou le gritche etait prisonnier des marees du temps et d’autres forces que personne ne comprenait. Les champs anentropiques ne depassaient pas une limite de quelques douzaines de metres autour des Tombeaux du Temps, et aucune menace d’invasion extro ne pesait sur l’Hegemonie.

Le consul songea au gritche, maintenant libre d’errer a sa guise sur Hyperion, aux millions d’indigenes et aux milliers de ressortissants de l’Hegemonie qui se trouvaient exposes, sans defense ; aux atteintes d’une creature dont l’existence meme defiait toutes les lois physiques connues, et qui ne communiquait qu’a travers la mort.

Il frissonna malgre la chaleur qui regnait a l’interieur de la cabine.

Hyperion…

La tempete et la nuit passerent. Un nouveau front de perturbation preceda l’aube de quelques minutes. Les gymnospermes geantes de plus de deux metres se courberent devant les elements en furie. Juste avant la premiere lueur de l’aube, le vaisseau d’ebene du consul s’eleva sur un panache de plasma bleu et perca les nuees epaisses, grimpant vers sa nouvelle destination spatiale.

1

Le consul s’eveilla avec la migraine, la gorge seche et la sensation d’avoir oublie mille reves caracterisant la sortie des periodes de fugue cryotechnique. Il battit des paupieres, se redressa sur la couchette basse et arracha d’une main encore engourdie les derniers carres adhesifs qui maintenaient sur sa peau les moniteurs de fonctions vitales. Il y avait avec lui, dans la cabine ovoide sans fenetre, deux clones d’equipage, de tres courte taille, ainsi qu’un Templier. L’un des clones lui offrit le traditionnel verre de jus d’orange, auquel il s’empressa de gouter avidement.

— L’arbre est actuellement a cinq heures deux minutes-lumiere d’Hyperion, lui dit le Templier.

Le consul s’apercut alors que c’etait Het Masteen, le commandant du vaisseau-arbre des Templiers, egalement appele la Voix de l’Arbre Authentique, qui s’adressait ainsi a lui. Il songea confusement que c’etait un bien grand honneur que lui faisait le commandant en venant le reveiller en personne, mais il etait encore trop engourdi par l’etat de fugue pour apprecier cet honneur a sa juste valeur.

— Les autres sont deja reveilles depuis quelques heures, lui dit Het Masteen en faisant un geste imperieux aux clones pour qu’ils se retirent. Ils se trouvent tous dans la salle a manger principale.

— Mmmm… fit le consul avant de boire le reste de son jus.

Il se racla la gorge et fit un nouvel essai.

— Je vous remercie beaucoup, Het Masteen, reussit-il a dire.

Il regarda autour de lui. La cabine ovoide possedait une moquette vert gazon et une paroi translucide aux nervures de bois de vort d’un seul tenant. Ils devaient se trouver dans l’une des petites nacelles a environnement controle du vaisseau. Fermant les yeux, le consul essaya de rassembler ses souvenirs du rendez-vous spatial, juste avant le saut quantique de l’Yggdrasill.

Il se rappela la premiere fois qu’il avait vu le vaisseau-arbre d’un kilometre de long en train de se rapprocher du lieu de rendez-vous. La forme de l’Yggdrasill etait rendue floue par les multiples champs de confinement, generes par des ergs ou par des machines, qui entouraient le vaisseau d’une sorte de cocon de brume a travers lequel la coque de feuilles brillait cependant de mille lumieres qui percaient a travers les parois minces des coursives, les nacelles a environnement controle, les passerelles de commandement, les echelles et les berceaux de verdure ou de man?uvre. A la base du vaisseau-arbre, des spheres abritant les machines ou la cargaison s’agglutinaient comme des gales geantes tandis que les trainees des systemes de propulsion, mauves et bleutees, prolongeaient le tronc comme un reseau de racines effilochees longues de dix kilometres.

— On nous attend, murmura Het Masteen en hochant le menton en direction des coussins bas ou les bagages du consul attendaient, prets a s’ouvrir a son commandement.

Le Templier s’absorba dans la contemplation des nervures de bois de vort tandis que le consul revetait sa tenue de semi-apparat pantalon noir sans pli, chaussures vernies, chemise de soie blanche bouffante aux manches et a la taille, cordeliere a curseur en topaze, vareuse noire mi-longue, epaulettes a taillades ecarlates de l’Hegemonie et tricorne dore. Une partie de la paroi incurvee lui servant de miroir, il contempla avec complaisance

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