l’image d’un homme d’age plus que mur en semi-uniforme, a la peau tannee par le soleil, mais etrangement pale au-dessous des yeux tristes. Plissant le front, il se detourna subitement.

Het Masteen fit un geste quelque peu impatient, et le consul suivit la haute silhouette, drapee de la tete aux pieds, a travers le diaphragme de la nacelle, puis sur un pont incline qui s’enroulait a perte de vue dans les hauteurs de l’ecorce massive du vaisseau-arbre. Le consul s’arreta, se colla contre la paroi du pont decouvert opposee au vide, et fit un pas en arriere. Il y avait au moins six cents metres de vide au-dessous de lui, la sensation de bas etant produite par la gravite d’un sixieme de g standard que creaient les singularites emprisonnees a la base de l’arbre. Et il n’y avait pas le moindre garde-fou.

Ils reprirent leur ascension silencieuse, et quitterent le tronc principal trente metres et une demi-spirale plus haut pour traverser un pont suspendu d’aspect fragile qui les mena jusqu’a une coursive de cinq metres de large. Ils suivirent cette coursive vers l’exterieur jusqu’a ce qu’ils arrivent a un endroit ou le foisonnement du feuillage retenait tout l’eclat du soleil d’Hyperion.

— Est-ce que mon vaisseau a ete sorti de cale ? demanda le consul.

— Le plein est fait, et il vous attend dans la sphere n°11, lui repondit Het Masteen tandis qu’ils passaient dans l’ombre du tronc et que les etoiles devenaient visibles a travers les trouees du feuillage. Les autres pelerins sont d’accord pour descendre avec vous si les responsables de la Force vous y autorisent.

Le consul se frotta les yeux. Il aurait prefere avoir un peu plus de temps pour se remettre du choc cryotechnique.

— Vous etes deja entre en contact avec eux ? demanda-t-il.

— Bien sur ! Ils nous ont fait des sommations des l’instant ou nous sommes sortis du saut quantique. Un vaisseau de guerre de l’Hegemonie nous « escorte » en ce moment.

Le Templier fit un geste vague en direction d’une partie de l’espace au-dessus d’eux. Le consul plissa les yeux pour essayer d’apercevoir quelque chose, mais les branches superieures sortirent a ce moment-la de l’ombre du tronc, et chaque feuille de l’arbre s’embrasa des couleurs du couchant. Meme dans les endroits encore plonges dans l’ombre, des oiseaux lampyres etaient perches comme des lanternes japonaises au-dessus des coursives eclairees, des lianes luminescentes et des ponts suspendus phosphorescents, tandis que les lucioles de l’Ancienne Terre et les somptueuses diaphanes d’Alliance-Maui luisaient par intermittence, comme pour se frayer un chemin code a travers les labyrinthes du feuillage, en se confondant suffisamment avec les constellations pour tromper l’?il du voyageur le plus habitue aux espaces interstellaires.

Het Masteen s’avanca dans un panier elevateur suspendu a un cable en filaments de carbone renforces qui se perdait dans les trois cents metres de frondaisons au-dessus d’eux. Il remarqua que les coursives, nacelles et plates-formes etaient curieusement desertes a l’exception de quelques Templiers et des clones d’equipage qui les suivaient comme leur ombre. Le consul ne se souvenait pas d’avoir apercu d’autres passagers durant l’heure bien remplie qu’il avait passee entre le rendez-vous spatial et sa mise en fugue. Il avait attribue cela a l’imminence du saut quantique, pensant que les autres passagers etaient deja confortablement installes dans leurs caissons de fugue, mais le vaisseau voyageait a present bien en dessous des vitesses relativistes, et ses branches auraient du etre chargees de passagers le nez en l’air et la bouche ouverte. Il fit part de son etonnement au Templier.

— Nous n’avons que six passagers pour ce voyage, lui repondit Het Masteen tandis que le panier s’arretait au milieu d’un entrelacement de branches.

Le commandant du vaisseau-arbre le preceda alors sur les marches de bois d’un escalier poli par l’age, qu’il gravit agilement. Le consul cligna des paupieres, surpris. Normalement, un vaisseau-arbre templier transportait de deux mille a cinq mille passagers. C’etait, de loin, la maniere la plus agreable de voyager entre les etoiles. Les vaisseaux-arbres accumulaient rarement un deficit de temps de plus de quatre ou cinq mois, reduisant leurs traversees touristiques aux endroits ou les systemes stellaires n’etaient distants entre eux que de quelques annees-lumiere et faisant en sorte que leurs riches passagers passent aussi peu de temps que possible en etat de fugue. Un aller-retour pour Hyperion, representant six annees entieres de temps retzien, sans aucun passager payant a bord, devait etre une veritable catastrophe financiere pour les Templiers.

Le consul s’avisa alors, en se reprochant d’avoir ete si long a comprendre, que le vaisseau-arbre etait l’instrument ideal de l’evacuation qui se preparait. Les depenses occasionnees incomberaient, de toute evidence, a l’Hegemonie. Cependant, il ne pouvait s’empecher de se dire que le fait d’introduire un vaisseau aussi luxueux et aussi vulnerable que l’Yggdrasill – il n’en existait que cinq en tout comme lui – dans une zone de combat representait un risque terrible pour la Fraternite des Templiers.

— Et voici les pelerins qui vous accompagneront, annonca Het Masteen.

Il s’avanca, suivi du consul, sur une large plate-forme ou un petit groupe attendait a une extremite d’une longue table en bois. Au-dessus d’eux, les etoiles scintillaient d’un eclat ardent, basculant occasionnellement lorsque le vaisseau-arbre subissait un mouvement de lacet ou de tangage, tandis que de part et d’autre du tronc une sphere de feuillage dense s’ecartait en s’incurvant comme l’ecorce verte de quelque fruit geant. Le consul avait identifie cette plate-forme comme la salle a manger privee du commandant avant meme que les cinq autres passagers ne se fussent leves pour laisser Het Masteen prendre place a une extremite de la table. Il ne restait qu’un seul fauteuil inoccupe a la gauche du commandant, et il s’y assit.

Lorsque le silence se fit, Het Masteen proceda a des presentations en regle. Le consul ne connaissait personnellement aucun des cinq autres, mais plusieurs noms lui etaient familiers, et il fit appel a sa longue experience de diplomate pour mettre soigneusement de cote dans sa memoire les identites et les impressions recues.

A sa gauche se trouvait le pere Lenar Hoyt, un pretre de la tres ancienne Eglise chretienne connue sous le nom d’Eglise catholique. L’espace d’un instant, le consul avait oublie la signification de la robe noire et du col romain, mais il s’etait souvenu ensuite de saint Francois de l’Hopital, sur la planete Hebron, lorsqu’il avait fait l’objet d’une therapeutique antialcoolique a la suite de sa desastreuse premiere mission diplomatique, pres de quatre decennies standard plus tot. A la mention du nom de Hoyt, le consul se souvint egalement d’un autre membre du clerge qui avait disparu de la surface d’Hyperion en plein milieu de son mandat diplomatique.

Lenar Hoyt etait un homme jeune, tout au moins compare au consul. Il ne devait pas avoir beaucoup plus de trente ans, mais on avait l’impression, en le voyant, que quelque chose etait arrive, dans un passe tres recent, qui l’avait prematurement vieilli. Il observa longuement son visage maigre, ses pommettes osseuses qui creusaient la peau de son visage au teint jaunatre, ses grands yeux profondement enfonces, ses levres fines agitees d’un perpetuel tressaillement nerveux vers le bas qui ne meritait meme pas le nom de sourire cynique, la ligne de naissance des cheveux sur son front, pas tant degarni que ravage par les radiations, et il eut l’impression d’avoir devant lui un homme malade depuis de nombreuses annees. Cependant, il fut surpris de constater aussi que, derriere ce masque de douleur cachee, subsistaient quelques echos du jeune homme qu’il avait ete naguere, un jeune homme au visage rond, au teint clair, aux levres pleines, beaucoup moins malsain et cynique que le pere Hoyt actuel.

Pres du pretre etait assis un personnage dont l’image avait ete familiere, quelques annees auparavant, a la plupart des citoyens de l’Hegemonie. Le consul se demandait si la duree d’interet collectif de l’opinion publique retzienne etait aussi courte en ce moment qu’elle l’avait ete de son temps. Encore plus courte, sans doute. Dans ce cas, le colonel Fedmahn Kassad, surnomme le Boucher de Bressia, ne devait plus etre ni celebre ni infame. Mais pour la generation du consul et pour tous ceux qui vivaient expatries a la lisiere plus lente des choses, Kassad n’etait pas quelqu’un que l’on pouvait oublier aisement.

Le colonel etait un homme de haute taille, presque assez grand pour regarder Het Masteen, avec ses deux metres, directement dans les yeux. Il portait l’uniforme noir de la Force, sans indication de grade ni de decoration. Son habit ressemblait etrangement, en fait, a celui du pere Hoyt, mais il n’y avait aucune ressemblance physique reelle entre les deux hommes. Alors que le pretre presentait un aspect maladif et use, Kassad, avec son teint basane, semblait au contraire en pleine forme, sec comme un manche de fouet, noueusement muscle aux epaules, au cou et aux avant-bras. Ses yeux etaient noirs, petits, et dotes d’un champ de vision qui paraissait aussi ample que celui de quelque camera video primitive. Son visage etait tout en angles, facettes, ombres et saillants. Non pas creuse comme celui du pere Hoyt, mais taille dans de la pierre glacee. Une mince ligne de barbe suivant le contour de sa machoire inferieure accentuait le caractere acere de son visage aussi surement que des traces de sang sur la lame d’un poignard.

Les mouvements lents, charges d’intensite, du colonel rappelaient au consul un jaguar de la Terre qu’il avait vu dans le zoo prive d’un vaisseau d’ensemencement sur Lusus, de nombreuses annees auparavant. La voix de Kassad etait douce et reservee, mais le consul ne pouvait manquer de remarquer que meme ses silences

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