Je pourrais me cacher.

Je n’ai aucune raison de me cacher. Dieu ne m’a pas fait venir de si loin pour me montrer ce que j’ai vu et me laisser perir ensuite des mains de ces pauvres enfants.

16 h 15. Les Soixante-dix sont rentres. Ils ont regagne leurs huttes sans meme m’accorder un regard.

Assis sur le seuil de ma cabane, je ne peux pas m’empecher de sourire, de rire aux eclats et de prier. Tout a l’heure, je suis alle au bord de la falaise dire la messe et communier. Les Bikuras ne se sont pas interesses a moi.

Quand pourrai-je partir d’ici ? Le contremaitre Orlandi et Tuk ont dit que la foret des flammes demeurait en pleine activite pendant trois mois, cent vingt jours locaux, puis qu’il y avait un repit relatif de deux mois. Tuk et moi sommes arrives le quatre-vingt-septieme jour…

Je ne peux pas attendre encore cent jours pour rapporter la nouvelle au monde, a l’univers tout entier. Si seulement un glisseur pouvait braver la foret des flammes et me tirer de la ! Si seulement j’avais acces a l’un des infosats qui desservent les plantations !

Tout est possible. D’autres miracles se produiront, maintenant.

23 h 50. Les Soixante-dix sont descendus dans la Faille. Le ch?ur du vent monte de partout.

Si seulement je pouvais etre en bas avec eux !

Je vais faire ce qui s’en rapproche le plus. Je vais m’agenouiller ici, au bord de la falaise, et prier tandis que le vent des abimes chante ce qui ne peut etre, je le sais maintenant, qu’un hymne a la presence bien reelle de mon Dieu.

Cent sixieme jour :

J’ai ouvert les yeux dans un matin parfait. Le ciel avait une couleur turquoise intense, le soleil y etait serti comme une petite pierre sanguine. Je suis sorti sur le seuil de ma hutte tandis que la brume s’eclaircissait, que les creatures arboricoles donnaient leur premier concert de piaillements et que l’atmosphere se rechauffait peu a peu. Puis je suis rentre regarder une nouvelle fois mon film et mes disques.

Je m’apercois que, dans la confusion d’hier, je n’ai pas encore decrit ce que j’ai vu en bas. Je vais essayer de le faire maintenant. J’ai sous les yeux les disques, le film et les notes de mon persoc, mais je continue de remplir ce journal par crainte que tout le reste ne soit detruit un jour.

Il etait environ 7 h 30 quand je me suis laisse descendre, hier matin, contre le flanc de la falaise. A voir les Bikuras, il paraissait facile de s’aider des lianes, qui sont en nombre suffisant pour former des sortes d’echelles presque partout. Mais lorsque j’ai commence a me balancer au-dessus du vide, j’ai senti mon c?ur battre a se rompre. Il devait bien y avoir trois mille metres de denivellation jusqu’en bas. Agrippe a deux lianes a la fois pour plus de securite, je me suis laisse glisser lentement, en evitant de regarder en direction de l’abime.

Il m’a fallu pres d’une heure pour couvrir les cent cinquante metres que les Bikuras, a n’en pas douter, descendent en dix minutes. Finalement, j’ai atteint la courbe d’un gros rocher en surplomb. Quelques lianes pendaient encore dans le vide, mais la plupart suivaient par en dessous le contour de la roche en direction de la falaise, a une trentaine de metres vers l’interieur. Quelques-unes de ces lianes semblaient meme avoir ete grossierement tressees pour former des sortes de passerelles sur lesquelles les Bikuras devaient etre capables d’avancer sans s’aider des mains. Pour ma part, je les suivis en rampant, en m’aidant des lianes qui pendaient, et en murmurant des prieres que je n’avais pas recitees depuis mon enfance. Je gardais les yeux fixes droit devant moi, comme si cela pouvait me faire oublier qu’il n’y avait qu’un vide pratiquement infini sous les rudes cordes qui se balancaient en crissant sous mon poids.

Une corniche assez large longeait la falaise a cet endroit. J’attendis de m’etre avance de trois metres vers la paroi avant de me laisser glisser, agrippe a une liane, sur la plate-forme situee a deux metres au-dessous de moi.

La corniche avait environ cinq metres de large et se terminait un peu plus loin, au nord-est, a l’endroit ou la masse du surplomb prenait naissance. Je suivis la direction opposee sur une trentaine de pas et m’arretai subitement, frappe de stupeur. C’etait un veritable sentier qu’il y avait la, grave dans la roche ! Sa surface polie s’etait creusee de plusieurs centimetres. Plus loin, la ou la corniche s’incurvait en descendant, des marches avaient ete taillees, mais elles aussi etaient usees par les pas au point de former un creux visible en leur milieu.

Je m’assis quelques instants pour digerer cette simple evidence. Quatre cents ans de visites quotidiennes par le groupe des Soixante-dix ne suffisaient d’aucune maniere a expliquer l’erosion de cette roche massive. Quelqu’un ou quelque chose devait utiliser ce chemin bien avant que le vaisseau d’ensemencement ne tombe sur la planete. Ce passage servait a quelqu’un ou a quelque chose depuis des millenaires !

Je repris ma progression. On entendait le bruit lointain du vent qui soufflait a travers la Faille, mais je m’apercus, en tendant l’oreille, que je pouvais capter egalement le bruit leger du fleuve qui coulait au fond de l’abime.

Le sentier s’incurvait sur la gauche pour contourner une protuberance de la falaise, et finissait la. Je m’avancai sur une large dalle qui descendait en pente douce, et me trouvai alors devant un spectacle qui me fit faire machinalement le signe de la croix.

La corniche etant orientee nord-sud sur une centaine de metres, la vue qui s’offrait a l’ouest, a travers la trouee de la Faille, sur une bonne trentaine de kilometres, portait jusqu’au plateau, a ciel ouvert. Je compris tout de suite que le soleil couchant, chaque soir, devait illuminer cette avancee de la falaise, et je n’aurais pas ete surpris d’apprendre qu’a certaines periodes de l’annee, en particulier aux solstices de printemps et d’automne, le soleil d’Hyperion, observe de cette plate-forme, donnait l’impression de se coucher directement dans la Faille, les bords embrases de son orbe effleurant a peine les parois rocheuses teintees de pourpre.

Je me tournai vers l’est pour examiner la falaise. Le sentier de pierre polie conduisait directement a une double porte taillee dans la paroi rocheuse. Plus qu’une double porte, c’etait un portail monumental, orne de moulures et de linteaux de pierre finement sculptee. De part et d’autre des deux battants de ce portail s’elevaient de larges fenetres a vitraux qui devaient faire au moins vingt metres de haut. Je me rapprochai de la facade. Ceux qui avaient construit ce monument avaient taille la falaise de granit pour elargir le rebord en dessous du surplomb, et avaient creuse une galerie dans les profondeurs de la roche. Je passai la main sur les reliefs ornementaux profonds qui entouraient le portail. Tout avait ete erode et poli par le temps, meme dans cet endroit abrite de presque tous les elements par la roche en surplomb. Depuis combien de milliers d’annees ce… ce temple avait-il ete creuse dans la paroi sud de la Faille ?

Les vitraux n’etaient ni en verre ni en plastique, mais semblaient faits d’un materiau epais et translucide, aussi dur, au toucher, que le granit environnant. Et il ne s’agissait pas d’un assemblage de panneaux, mais d’une seule surface ou les couleurs se melaient, tourbillonnaient et se superposaient comme de l’huile a la surface de l’eau.

Je sortis ma lampe de mon paquetage, appuyai legerement sur l’un des battants et fus pris d’une soudaine hesitation lorsque le haut portail glissa sans bruit et sans resistance vers l’interieur.

Je penetrai dans le vestibule – il n’y a pas d’autre mot – traversai un espace silencieux d’une dizaine de metres et me retrouvai devant un nouveau mur fait du meme materiau translucide que les vitraux qui brillaient derriere moi, emplissant le vestibule d’une lumiere dense faite de dizaines de riches tons subtils. Je compris, une fois de plus, qu’a l’heure du couchant les rayons du soleil devaient baigner cet espace d’incroyables faisceaux de lumiere multicolore qui, sans aucun doute, traversaient le mur translucide qui etait devant moi pour illuminer ce qui se trouvait de l’autre cote.

Je decouvris, dans la surface de vitrail, une porte a l’encadrement de metal noir, et je la franchis a son tour.

Sur Pacem, nous avons, tant bien que mal, a l’aide de photos et de films holos, reproduit la basilique de Saint-Pierre a peu pres exactement telle qu’elle se dressait dans l’ancien Vatican. Longue de deux cents metres et large de cent trente-cinq, elle peut accueillir cinquante mille fideles lorsque Sa Saintete celebre la messe. Mais nous n’avons jamais eu plus de cinq mille pratiquants sur Pacem, meme lorsque le Concile des Eveques de Tous les Mondes se reunit, tous les quarante-trois ans. Dans l’abside centrale, ou se trouve notre copie du Trone de saint Pierre sculpte par Bernin, le grand dome s’eleve de plus de cent trente metres au-dessus du plancher de l’autel. C’est un espace impressionnant.

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