L’espace ou je me trouvais etait encore plus vaste.

Dans la lumiere filtree, je me servis de ma torche pour m’assurer que je me trouvais bien dans une seule salle enorme, un hall geant creuse a meme le roc. J’estimai que les murs de pierre polie devaient grimper si haut jusqu’a la coupole que celle-ci ne pouvait pas se trouver bien loin de la surface ou les Bikuras avaient edifie leurs huttes. Il n’y avait aucun ornement a l’interieur, aucun meuble, aucune concession a la forme ou a la fonction, excepte l’objet erige juste au centre de la grande salle qui resonnait comme une caverne.

Au milieu du grand hall s’elevait un autel, constitue d’un cube de pierre de cinq metres de cote dont l’origine devait remonter au percement de la falaise. Et au centre de cet autel se dressait une croix.

Elle mesurait quatre metres de haut sur trois de large, et elle etait sculptee dans le style complexe des vieux crucifix de l’Ancienne Terre. La croix faisait face au mur-vitrail comme si elle attendait le soleil et l’explosion de lumiere qui embraseraient les diamants incrustes, les saphirs, les cristaux de sang, les lapis, les larmes de reine, les onyx et autres pierres precieuses que je decouvrais a la lueur de ma torche en me rapprochant.

Je me mis a genoux pour prier. Eteignant la torche, je dus attendre plusieurs minutes que mes yeux s’accoutument a l’obscurite afin de discerner la croix dans la penombre fumeuse. C’etait la, sans nul doute, le cruciforme dont parlaient les Bikuras. Et il avait ete place ici des millenaires auparavant – dix mille ans, peut-etre – bien avant que l’humanite ne quitte pour la premiere fois l’Ancienne Terre, sans doute avant meme que le Christ ne diffuse son message en Galilee.

Je me mis a prier.

Je suis maintenant au soleil, apres avoir fini de classer mes disques holos. J’ai pu avoir confirmation, en les revoyant, d’un fait que j’avais a peine remarque, dans mon excitation, en remontant de ce que j’appelle maintenant « la basilique ». Le sentier continue. Il y a des marches qui descendent dans la Faille. Elles ne sont peut-etre pas aussi usees que celles qui menent a la basilique, mais elles sont tout aussi etonnantes. Dieu seul sait quelles autres merveilles attendent en bas.

Il faut que le monde soit prevenu de cette decouverte !

Quelle ironie que ce soit justement moi qui l’aie faite ! Sans l’affaire d’Armaghast et mon exil, il aurait peut-etre fallu attendre encore des siecles ! L’Eglise se serait eteinte avant que ces revelations ne lui insufflent une nouvelle vie !

Mais la decouverte est la, et c’est moi qui l’ai faite.

D’une maniere ou d’une autre, je reussirai a faire sortir d’ici mon message.

Cent septieme jour :

Je suis prisonnier.

Ce matin, je me lavais a l’endroit habituel, non loin du bord de la falaise ou le cours d’eau se jette en cascade dans le vide, lorsque j’ai entendu du bruit derriere moi. Del etait la, en train de m’observer avec de grands yeux. Je lui ai fait un signe d’amitie de la main, mais il a pris ses jambes a son cou. Cela m’a laisse perplexe. C’etait la premiere fois que je voyais un Bikura courir. J’avais du enfreindre leur puissant tabou sur la nudite en me montrant torse nu a Del.

Je secouai la tete en souriant, m’habillai et retournai au village. Si j’avais su ce qui m’y attendait, je n’aurais pas eu envie de sourire.

Les Soixante-dix au complet me regardaient approcher. Je me suis arrete a une dizaine de pas d’Alpha.

— Bonjour, lui ai-je dit.

Il a fait un geste, et six Bikuras se sont jetes sur moi. Immobilisant mes bras et mes jambes, ils m’ont cloue au sol. Beta s’est avance, et il – ou elle – a tire de dessous sa robe une longue pierre a l’arete tranchante. Je me suis debattu comme un diable, mais en vain. Beta a alors lacere mes vetements jusqu’a ce que je me retrouve presque nu.

J’ai cesse de me debattre tandis que les Bikuras s’approchaient pour me regarder, en murmurant des commentaires a voix basse. Je sentais mon c?ur battre a se rompre.

— Je regrette d’avoir enfreint vos lois, leur ai-je dit. Mais ce n’est pas une raison pour…

— Silence ! s’est ecrie Alpha.

Il s’est tourne vers un grand Bikura, celui qui a une cicatrice a la paume d’une main et que j’appelle Zed.

— Il n’appartient pas au cruciforme, a-t-il dit.

Zed a hoche la tete.

— Laissez-moi vous expliquer…

Alpha m’a fait taire d’un grand coup du dos de la main, qui m’a fait saigner de la levre et bourdonner des oreilles. Mais il n’y avait pas plus d’hostilite dans son geste que lorsque je fais taire mon persoc en frappant une touche.

— Qu’allons-nous faire de lui ? a demande Alpha.

— Ceux qui ne servent pas la croix doivent mourir de la vraie mort, a repondu Beta tandis que la foule des Bikuras faisait un pas menacant en avant.

Plusieurs de ces sauvages avaient une pierre tranchante a la main.

— Ceux qui n’appartiennent pas au cruciforme doivent mourir de la vraie mort, a repete Beta sur le ton de ces litanies religieuses qui acquierent une autofinalite complaisante a force d’etre repetees.

— Mais je sers la croix ! ai-je proteste tandis que la foule me forcait a me relever.

J’agrippai le crucifix que je porte au cou et reussis, malgre la pression des Bikuras, a le brandir au-dessus de mon front. Alpha leva aussitot les deux mains, et le silence se fit. Brusquement, on entendit de nouveau la riviere qui coulait trois mille metres plus bas, au fond de la Faille.

— C’est vrai qu’il porte une croix, dit Alpha.

Del s’avanca.

— Mais il n’appartient pas au cruciforme ! protesta-t-il. Je l’ai vu. Ce n’est pas ce que nous pensions. Il n’appartient pas au cruciforme !

Il y avait une violence meurtriere dans sa voix.

Je me maudis d’avoir ete si stupide et si imprevoyant. L’avenir de l’Eglise dependait de ma survie, et j’avais gache toutes mes chances en agissant comme si les Bikuras etaient des enfants bornes et inoffensifs !

— Ceux qui ne servent pas la croix doivent mourir de la vraie mort, repeta alors Beta.

C’etait le ton d’une sentence sans appel.

Soixante-dix mains se leverent avec leurs pierres tranchantes lorsque je hurlai, sachant que je jouais ma derniere carte et que je courais le risque d’attiser leur fureur.

— Je suis descendu dans la Faille et j’ai prie devant votre autel ! Je suis le serviteur de la croix !

Alpha et les autres hesiterent. Je vis qu’ils peinaient sur cette nouvelle idee.

— Je sers la croix, et je veux appartenir au cruciforme, declarai-je d’une voix aussi calme que possible. J’ai prie devant votre autel.

— Ceux qui ne servent pas la croix doivent mourir de la vraie mort, a rappele Gamma.

— Il sert la croix, a replique tranquillement Alpha. Il a prie dans la salle.

— C’est impossible, a fait Zed. Ce sont les Soixante-dix qui prient la-bas, et il ne fait pas partie des Soixante-dix.

— Nous savions deja qu’il n’en fait pas partie, dit Alpha en plissant legerement le front devant le probleme de concordance des temps.

— Il n’appartient pas au cruciforme, murmura Delta prime.

— Ceux qui n’appartiennent pas au cruciforme doivent mourir de la vraie mort, rencherit Beta.

— Il sert la croix, fit remarquer Alpha. Est-ce qu’il ne pourrait pas appartenir au cruciforme ?

Un cri collectif s’eleva. Au milieu du vacarme et de l’agitation, j’essayai de me degager, mais les mains qui m’immobilisaient ne cederent pas.

— Il ne fait pas partie des Soixante-dix et il n’appartient pas au cruciforme, resuma Beta d’une voix qui semblait maintenant plus intriguee qu’hostile. Pourquoi ne devrait-il pas mourir de la vraie mort ? Il faut que nous lui tranchions la gorge avec nos pierres pour faire couler le sang jusqu’a ce que son c?ur s’arrete de battre. Il

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