Il plongea a travers l’ouverture en se propulsant des deux pieds, conscient d’offrir une cible parfaite a la fois pour les occupants du calmar et pour ceux de l’epave. Son scrotum se retracta de panique comme chaque fois qu’il s’etait senti expose ainsi. Mais aucun coup ne fut tire. Les ordres et les demandes continuaient de se succeder dans son casque comme des glapissements. Il ne les comprenait pas, il ignorait d’ou ils venaient, et il ne tenait pas a engager le dialogue.
Son manque de controle sur le scaphandre lui fit presque rater le calmar. L’idee le traversa qu’un tel gag risquait de sonner le glas approprie de l’univers sur ses pretentions martiales. Le vaillant guerrier de l’espace s’eloignant, sur une orbite quasi planetaire, sans aucun dispositif de man?uvre, sans aucun propulseur, sans masse de reaction d’aucune sorte. Meme le pistolet etait sans recul. Sa carriere finirait aussi derisoirement et inutilement que celle d’un ballon lache par un enfant.
Il tendit les deux bras jusqu’a ce que ses jointures craquent, happa l’extremite d’une antenne flexible et se hala, centimetre par centimetre, jusqu’a la coque du calmar.
Ou etait ce foutu sas ? La coque etait relativement lisse pour un vaisseau spatial, mais ornee d’une multitude de motifs, plaques et panneaux representant, supposait-il, l’equivalent des avertissements de la Force, du genre : « Ne pas pietiner » ou bien : « Danger, propulseur ». Il ne voyait d’entree nulle part. Il etait probable que des Extros se trouvaient a bord, au moins un pilote, et ils devaient se demander pourquoi leur commando se trainait sur la coque comme un crabe boiteux au lieu d’actionner le sas. Mais peut-etre savaient-ils deja pourquoi et l’attendaient-ils de pied ferme, le doigt sur la detente. N’importe comment, personne, de toute evidence, n’allait lui ouvrir la porte.
Les Extros ne devaient pas laisser trainer beaucoup d’objets dans leurs vaisseaux. Seul l’equivalent de quelques pieces de monnaie et attaches trombones se deversa en meme temps que l’air du vaisseau. Kassad attendit la fin du geyser et se glissa a l’interieur a travers la bulle.
Il se trouvait dans la section du materiel, une soute capitonnee qui ressemblait a la chambre de largage des paras de n’importe quel vaisseau de descente ou bien a l’interieur d’un blinde de transport de troupes. Kassad nota mentalement qu’un calmar devait pouvoir contenir une vingtaine de commandos extros en tenue de combat spatial. Mais celui-ci semblait vide.
Une porte etanche ouverte menait au cockpit. Seul le pilote etait reste a bord, et il etait occupe a se dessangler lorsque Kassad l’abattit. Il traina le corps dans la soute et se sangla dans ce qu’il esperait etre le siege de pilotage.
Une chaude lumiere penetrait par la verriere au-dessus de lui. Les moniteurs video et les holos montraient des vues de l’avant et de l’arriere du calmar ainsi que quelques apercus, pris par une camera portative, de la fouille qui se deroulait a l’interieur de l’epave. Kassad entrevit le cadavre de la femme nue du bloc operatoire et les lasers chirurgicaux en action contre plusieurs silhouettes en scaphandre.
Dans les holofilms qu’il avait vus dans sa jeunesse, les heros de Fedmahn Kassad savaient toujours faire marcher du premier coup les engins exotiques et autres vehicules EM dont ils s’emparaient. Kassad etait entraine a piloter des transports militaires, des tanks, des engins d’assaut et meme des vaisseaux de descente, si la situation l’exigeait. Seul a bord d’un vaisseau de la Force, il aurait pu, si jamais cette situation improbable s’etait presentee, retrouver son chemin dans le dedale du c?ur de man?uvre au moins pour communiquer avec l’ordinateur central ou pour lancer un message de detresse a la radio ou dans un megatrans. Mais ici, dans le fauteuil de pilotage d’un calmar extro, il n’avait pas idee de ce qu’il fallait faire pour commencer.
Plus exactement, il reconnaissait les alveoles de manipulation des tentacules, et il pensait pouvoir se servir de plusieurs autres commandes pour peu qu’on lui laisse trois heures de reflexion et d’experimentation. Malheureusement, il ne disposait pas d’un tel delai. L’ecran lui montrait, a l’avant, trois silhouettes en scaphandre qui se propulsaient vers le calmar tout en tirant devant elles. La figure pale, curieusement extra-terrestre, d’un commandant extro se dessina soudain dans le foyer de la console holo tandis qu’une pluie de jurons se deversait des plaquettes audio de son casque.
Des globules de transpiration se formerent devant ses yeux, flottant a l’interieur du globe. Il les secoua de son mieux en se concentrant sur les commandes. Il appuya sur quelques plaques dont il croyait deviner l’usage. Si ce vaisseau etait pilote par commande vocale, par programmation a distance ou par une sorte d’ordinateur de bord, il etait fichu. Il y avait deja pense une seconde ou deux avant d’abattre le pilote, mais il n’avait pas trouve de solution pour forcer l’homme a cooperer. Il n’y avait que ce moyen-la, se disait-il en enfoncant d’autres plaques de commande.
Une tuyere fit entendre le sifflement de sa mise a feu. Le calmar tira sur ses amarres. Kassad se sentit pousse en avant puis tire en arriere dans son harnais.
— Merde ! s’exclama-t-il, parlant pour la premiere fois depuis qu’il avait demande a la femme medecin de la Force sur quelles planetes le vaisseau faisait escale.
Il se pencha le plus possible en avant, essayant d’introduire les doigts de son gantelet dans les alveoles. Quatre des six manipulateurs se mirent en mouvement. Le premier derapa sur la coque. Le dernier finit par arracher un morceau de cloison a l’epave du
Le calmar se libera d’une secousse. Les cameras video montrerent deux silhouettes en scaphandre qui rataient leur cible et une troisieme qui se raccrochait a la meme antenne qui avait sauve la vie de Kassad. Celui-ci savait a present plus ou moins ou se trouvaient les commandes des propulseurs. Il les actionna frenetiquement. Un voyant s’alluma sur le tableau. Les projecteurs holos s’eteignirent. Le calmar se lanca dans une man?uvre complexe qui reunissait tous les plus violents elements du tangage, du lacet et du roulis. Kassad vit passer la silhouette en scaphandre au-dessus de la verriere du cockpit, l’ecran video avant la montra une fraction de seconde, puis l’ecran arriere prit le relais jusqu’a ce que l’Extro ne fut plus qu’un point bientot invisible. Et pendant tout ce temps, il – ou elle – continuait de decharger son pistolet a energie jusqu’a ce que tout disparaisse.
Kassad luttait pour ne pas perdre conscience en raison des violents mouvements desordonnes de l’engin. Toutes les alarmes vocales et visuelles etaient dechainees. Il actionna de nouveau les commandes des propulseurs, et estima que ses efforts etaient couronnes de succes lorsqu’il ne se sentit plus ecartele dans cinq directions a la fois mais dans deux seulement.
Une manipulation de camera au hasard lui montra que le vaisseau-torche s’eloignait. Parfait. Il ne doutait pas que les Extros fussent capables de le detruire a tout instant, et ils le feraient a coup sur s’il s’approchait d’eux ou s’il les menacait de maniere quelconque. Il ignorait si le calmar etait arme, mais il ne devait pas contenir beaucoup plus que des armes antipersonnel. Dans tous les cas, aucun commandant de vaisseau-torche ne prendrait le risque de laisser s’approcher une navette incontrolee. Kassad supposait que les Extros savaient tous maintenant que le calmar etait aux mains d’un ennemi. Il ne serait pas surpris – simplement decu – d’etre vaporise d’une seconde a l’autre par le vaisseau-torche. En attendant, il tablait sur deux emotions au plus haut degre humaines – sinon extro-humaines – la curiosite et le desir de vengeance.
La curiosite, comme il le savait, pouvait etre aisement court-circuitee dans les moments de stress, mais il comptait sur une societe semi-feodale et paramilitaire comme celle des Extros pour placer au plus haut les concepts d’honneur et de vengeance. Toutes choses etant egales par ailleurs, n’ayant pas la moindre chance de leur faire davantage de mal ni de leur echapper, il semblait bien que le colonel Kassad fut devenu le candidat le mieux place pour l’accession a l’un de leurs plateaux de dissection. C’etait son dernier espoir.
Il jeta un coup d’?il au moniteur video avant, fronca les sourcils et relacha juste assez longtemps son harnais pour regarder par la verriere au-dessus de lui. L’engin tournoyait toujours, mais pas aussi violemment que precedemment. La planete semblait se rapprocher. L’un des hemispheres emplissait l’horizon « superieur », mais il n’avait aucune idee de la distance qui le separait de l’atmosphere. Il etait incapable de lire les parametres affiches. Il ne pouvait que faire des conjectures sur sa vitesse orbitale et sur la violence du choc en cas de rentree. Son examen visuel attentif de l’epave du
Il voulut essuyer la transpiration sur son front, et poussa un juron lorsque le bout flasque de son gantelet cogna la visiere de son casque. Il etait epuise. Il n’y avait que quelques heures qu’il etait sorti de fugue, et on l’avait ramasse corporellement mort a peine quelques semaines de voyage avant cela.
Il aurait bien voulu savoir si la planete au-dessous de lui etait Hyperion ou Garden. Il ne connaissait ni l’une ni l’autre, mais il savait que Garden etait plus peuplee et sur le point de devenir une colonie de l’Hegemonie. Il esperait que c’etait celle-la.