Kassad la regardait faire avec la placidite d’un reveur. Elle ota ses vetements, puis le deshabilla a son tour. Leur nudite n’avait plus rien d’erotique, elle etait devenue ceremonielle.

— Tu hantes mes reves depuis des annees, lui dit-il.

— Je sais. Ton passe et mon avenir. L’onde de choc des evenements se deplace dans le temps comme les rides a la surface d’une mare.

Kassad cligna des paupieres tandis qu’elle saisissait une ferule d’or pour lui toucher la poitrine. Il ressentit un leger choc, et sa chair devint un miroir, son visage et sa tete un ovoide lisse refletant les couleurs et les textures de la salle. Un instant plus tard, elle le rejoignit, et sa peau devint une cascade irisee de reflets liquides, comme de l’eau sur du vif-argent sur du chrome. Il vit les reflets de ses propres reflets sur chaque courbe et chaque muscle du corps de Moneta, dont les seins captaient et courbaient la lumiere, les pointes dressees comme de minuscules geysers a la surface lisse d’un lac. Il s’avanca pour l’enlacer, et sentit leurs surfaces se joindre comme des fluides magnetises. Sous les champs connectes, leurs chairs se touchaient.

— Tes ennemis t’attendent aux portes de la cite, murmura-t-elle.

Le chrome de son visage etait anime d’une lumiere mouvante.

— Mes ennemis ?

— Les Extros. Ceux qui t’ont suivi jusqu’ici.

Il secoua la tete, et vit son reflet deforme faire de meme.

— Ils n’ont plus aucune importance, dit-il.

— Ils en ont, murmura Moneta. Les ennemis sont toujours importants. Tu dois t’armer.

— Avec quoi ?

Au moment meme ou elle disait ces mots, il sentit qu’elle le touchait avec une sphere de bronze, ou plutot un tore d’un bleu terne. Son propre corps modifie communiquait maintenant avec lui aussi clairement qu’un soldat au rapport dans l’implant de son circuit de commandement. Il sentit le sang affluer en lui avec une vigueur turgescente.

— Viens, souffla Moneta en le guidant de nouveau vers le desert.

La lumiere solaire semblait lourde et polarisee. Il se sentit glisser le long des dunes, couler comme un liquide dans les rues de marbre blanc de la cite abandonnee. Pres de l’extremite ouest des ruines, la ou les restes delabres d’un monument laissaient encore lire sur leur linteau le nom d’Amphitheatre des Poetes, quelque chose se dressait, qui les attendait.

Un instant, Kassad crut qu’il s’agissait d’une autre personne paree des reflets chrome des champs de force dont ils etaient eux-memes drapes. Mais il n’y avait rien d’humain dans cet assemblage de vif-argent et de chrome. Comme en un reve, Kassad remarqua ses quatre bras, les lames retractiles de ses doigts, la profusion de piquants sur la gorge, au front, aux poignets, aux genoux et sur tout le corps. Mais il ne pouvait, surtout, detacher son regard des deux yeux aux milliers de facettes qui brillaient d’une flamme rouge aupres de laquelle la lumiere du soleil palissait et les ombres prenaient des reflets sanglants.

Le gritche ! se dit Kassad.

— Le Seigneur de la Douleur, chuchota Moneta.

La creature tourna alors les talons et les guida vers la sortie de la cite morte.

Kassad approuvait en connaisseur la maniere dont les Extros avaient organise leurs defenses. Les deux engins d’assaut etaient poses a moins de cinq cents metres l’un de l’autre, leurs canons, projecteurs et tourelles lance-missiles se couvrant respectivement ainsi qu’un champ de trois cent soixante degres de tir. Les fantassins extros avaient pris la peine d’elever des remblais a une centaine de metres de chaque vaisseau, et Kassad apercut au moins deux blindes EM au sol, leurs tubes de projection et de lancement commandant la large plaine marecageuse deserte qui les separait de la Cite des Poetes. Il y avait quelque chose d’anormal dans la vision de Kassad. Il percevait les champs de confinement des vaisseaux, qui se recouvraient en partie, sous la forme de minces rubans de brume jaune, et les detecteurs de mouvement ou les mines antipersonnel comme des ?ufs entoures de pulsations de lumiere rouge.

Il cligna plusieurs fois des paupieres, conscient d’une autre anomalie qu’il ne parvenait pas a definir. Puis il comprit soudain. En plus de la consistance de la lumiere et de sa perception augmentee des champs d’energie, c’etait l’absence de tout mouvement qui etait inhabituelle. Les Extros qu’il apercevait, y compris ceux qui se trouvaient dans une posture de mouvement, etaient aussi figes que les soldats de plastique avec lesquels il jouait, enfant, dans les bidonvilles de Tharsis. Les blindes etaient en position basse au centre de leurs fortifications, mais meme leurs radars d’acquisition – qu’il percevait sous la forme d’un triangle d’arcs mauves concentriques – etaient immobiles. Il leva les yeux vers le ciel et vit une sorte de gros oiseau en suspens, comme un insecte dans une inclusion de resine. Il passa a portee d’un nuage de poussiere soulevee par le vent, elle aussi en suspens, tendit une main de chrome et fit tomber a terre des spirales de particules brillantes.

Devant eux, le gritche s’avancait sans se presser a travers le dedale rouge des mines a detecteur de presence, enjambait les cordons bleutes des rayons de declenchement, se baissait pour passer sous les pulsations mauves et immobiles des detecteurs des batteries de tir automatique, traversait le champ de confinement jaune puis le mur bleu-vert du perimetre de defense sonique, et penetrait dans l’ombre de l’engin d’assaut, suivi de Moneta et de Kassad.

Comment est-ce possible ?

Il se rendit compte qu’il avait formule la question par un moyen qui n’etait pas tout a fait de la telepathie mais qui depassait de beaucoup les possibilites technologiques d’un simple implant de conduction.

Il controle le temps.

Le Seigneur de la Douleur ?

Evidemment.

Que faisons-nous ici ?

Elle fit un geste en direction des Extros figes.

Ce sont tes ennemis.

Kassad eut l’impression de sortir finalement d’un long reve. Tout cela etait reel ! Les yeux de l’Extro devant lui, qui ne clignaient pas sous son casque, etaient reels, de meme que le vaisseau d’assaut extro, dresse comme une pierre tombale geante couleur de bronze.

Fedmahn Kassad s’avisa alors qu’il aurait pu les tuer tous, jusqu’au dernier – commandos, marines, equipages – sans qu’ils puissent rien faire pour se defendre. Le temps ne s’etait pas arrete, il le savait, pas plus qu’il ne s’arretait lorsqu’un vaisseau passait en mode de propulsion Hawking. C’etait juste une question de vitesse relative. L’oiseau fige finirait par achever son battement d’ailes au bout quelques minutes ou de quelques heures. La paupiere de l’Extro battrait si Kassad avait la patience de l’observer jusque-la. Mais, dans l’intervalle, Kassad, Moneta et le gritche pouvaient les tuer tous sans qu’ils sachent meme qu’ils etaient attaques.

Ce ne serait vraiment pas juste, se disait Kassad. Cela representerait la violation ultime du Nouveau Bushido, pire, a sa maniere, que le massacre gratuit des civils. L’essence de l’honneur residait dans l’instant de l’affrontement d’egal a egal. Il allait faire part de ces reflexions a Moneta lorsqu’elle lui dit – ou plutot, pensa :

Regarde bien !

Le temps s’etait remis a couler, dans une explosion qui n’etait pas sans rappeler l’irruption brutale de l’air dans un sas. L’oiseau reprit son cercle et son vol vers le haut. La brise du desert souffla de nouveau ses particules de poussiere contre le champ de confinement a charge statique. Un commando extro qui avait un genou a terre se releva pour voir le gritche et les deux silhouettes humaines, cria quelque chose dans son equipement de communication tactique et leva le canon de son pistolet a energie.

Le gritche ne parut pas se deplacer. Pour Kassad, il cessa simplement d’etre a un endroit pour apparaitre simultanement a un autre endroit. Le commando poussa un deuxieme cri, plus bref, puis baissa les yeux, comme incredule, tandis que la main du gritche se retirait de sa poitrine en tenant son c?ur entre ses doigts de metal acere. Il ouvrit la bouche pour parler, puis s’ecroula.

Kassad pivota sur sa droite pour faire face a un autre Extro en combinaison de combat, qui levait lourdement une arme. Kassad avanca la main, percut le bourdonnement du champ de force aux reflets de chrome et vit le tranchant de sa main penetrer la combinaison, le casque et la base du cou de l’Extro, dont la tete se detacha et roula dans le sable.

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