Il lui fallut vingt secondes pour faire sauter les attaches de secours de la combinaison du marine, puis une minute pour l’en extirper et s’y introduire a sa place. Il mesurait au moins dix centimetres de plus que le mort et, bien que la combinaison fut en partie ajustable, elle lui faisait mal au cou, aux poignets et aux genoux. Le casque lui pressait le front comme un etau rembourre. Des gouttelettes de sang et d’une matiere blanchatre et humide maculaient l’interieur de la visiere. L’eclat de shrapnel qui avait tue le marine avait laisse un trou d’entree et un trou de sortie, mais la combinaison s’etait autoreparee de son mieux. Cependant, la plupart des voyants etaient au rouge, et Kassad n’obtint aucune reponse quand il demanda une evaluation des dommages. Le respirateur fonctionnait encore, mais avec un sifflement inquietant.

Il essaya la radio. Rien, pas meme un souffle. Il trouva le fil de raccordement du persoc, fiche dans un termex relie a la coque. Rien non plus. Le vaisseau eut a ce moment-la un brusque mouvement de tangage, et une succession de chocs metalliques se repercuta jusqu’a Kassad, qui fut projete contre la paroi du puits de l’axe. L’une des cages de transport passa devant lui en culbutant, ses cables sectionnes battant comme les tentacules d’une anemone de mer affolee. Il y avait des cadavres a l’interieur, et d’autres ballottes dans les parties encore intactes de l’escalier en spirale qui faisait le tour du puits a l’exterieur. Kassad se propulsa jusqu’a l’extremite du puits, et trouva toutes les portes etanches fermees. Le diaphragme du puits s’etait egalement referme, mais il y avait des breches dans la cloison primaire par lesquelles on aurait pu faire passer un VEM civil.

Le vaisseau fit une nouvelle embardee, et tout fut secoue de plus belle a l’interieur. Kassad se trouva anime, ainsi que tout ce qui se trouvait a l’interieur du puits, par des forces complexes de Coriolis. Il se raccrocha a une poutrelle de metal tordue et se hissa a travers une breche de la triple coque du Merrick.

Il faillit eclater de rire en voyant dans quel etat se trouvait l’interieur. Ceux qui avaient pris pour cible le vieux vaisseau-hopital n’avaient pas fait les choses a moitie. La coque avait ete eventree avec des BCC jusqu’a ce que les joints de pressurisation cedent, que les unites d’autopressurisation se desagregent, que les detecteurs d’avaries soient satures et que les cloisons interieures s’effondrent. Le vaisseau ennemi avait alors deverse ses missiles, munis de charges militaires curieusement baptisees « mitraille » par les specialistes de la Force, a l’interieur de la coque. L’effet equivalait a peu pres a celui qu’aurait pu produire une grenade antipersonnel explosant a l’interieur d’un labyrinthe rempli de rats de laboratoire.

La lumiere penetrait par mille ouvertures, se transformant en rayon irise partout ou elle trouvait une base colloidale suffisante dans les nuages flottants de poussieres, de lubrifiants et de sang. De l’endroit ou se tenait Kassad, secoue par les trepidations du vaisseau, il apercevait plus d’une vingtaine de cadavres, nus et dechiquetes, qui dansaient avec la grace sous-marine trompeuse d’un ballet d’outre-tombe sous gravite zero. La plupart des corps flottaient au centre d’un microcosme de tissus et de sang. Plusieurs regardaient Kassad de leurs yeux exorbites comme dans un dessin anime, et les mouvements lents et langoureux de leurs bras et de leurs mains semblaient lui faire signe de s’approcher.

Kassad se propulsa a travers les debris flottants jusqu’au puits de descente qui menait au c?ur de man?uvre du vaisseau. Il n’avait pas vu d’armes jusque-la – apparemment, personne a l’exception du marine n’avait eu le temps de s’equiper d’un scaphandre – mais il savait qu’il devait y avoir une armurerie dans le c?ur de man?uvre ou dans le quartier des marines a l’arriere.

Il s’arreta devant le dernier joint de pressurisation dechiquete. Il laissa echapper un rire, cette fois-ci, derriere sa visiere. Le puits de descente s’arretait la. Il n’y avait plus de troncon arriere. Plus de vaisseau. Le troncon ou il se trouvait – un puits d’axe et un module de soins – avait ete arrache au vaisseau aussi aisement que Beowulf avait arrache un bras au corps du monstre Grendel. La derniere porte, non fermee, du puits de descente s’ouvrait sur l’espace. A quelques kilometres de la, Kassad apercevait une douzaine d’autres fragments ravages du Merrick, culbutant sur eux-memes dans la lumiere eblouissante du soleil. Une planete vert et lapis grossissait, si proche que, lorsque Kassad se tourna vers elle, il fut pris d’un violent acces d’acrophobie qui l’obligea a s’agripper encore plus fort a l’encadrement d’une porte. Au meme moment, une etoile se detacha du limbe de la planete, des lasers de combat cracherent leur morse couleur de rubis, et un troncon mutile de vaisseau, a cinq cents metres de lui, explosa dans l’abime spatial, projetant autour de lui une pluie de particules metalliques vaporisees, de matieres volatiles gelees et de points noirs dont Kassad s’avisa qu’ils devaient etre des cadavres humains.

Il se hata de retourner dans la securite relative des profondeurs de l’epave et considera la situation. La combinaison du marine lui permettrait de survivre encore une heure au maximum. Deja, il sentait l’odeur d’?uf pourri du respirateur deregle. Il n’avait vu, en traversant l’epave, aucun compartiment etanche, aucun caisson d’air. Et meme s’il decouvrait un sas ou un compartiment susceptible de l’abriter, en quoi cela l’avancerait-il ? Il ignorait si la planete qu’il avait vue etait Garden ou Hyperion, mais il etait sur que la Force n’occupait aucun de ces deux mondes. Il etait egalement certain qu’aucune force de defense locale n’etait capable de tenir tete a un vaisseau extro. Des jours s’ecouleraient avant qu’une patrouille ne vienne explorer cette epave. Et il n’etait pas impossible que l’orbite de la carcasse pourrie qui lui servait d’abri se degrade peu a peu, precipitant ses milliers de tonnes de metal vers une atmosphere qui la consumerait avec tout ce qu’elle contenait. Les autochtones n’apprecieraient pas beaucoup cela, mais il etait peut-etre preferable pour eux de laisser un morceau de ciel leur tomber sur la tete que de faire quelque chose qui risquerait de mecontenter les Extros. Si la planete possedait des systemes de defense orbitale, meme primitifs, ou bien des BCC sol-espace, se disait-il avec un sourire sinistre, il serait plus intelligent pour eux de pulveriser l’epave que de s’attaquer au vaisseau extro.

Pour Kassad, de toute maniere, cela ne ferait aucune difference.

Il serait mort longtemps avant que la carcasse ne penetre dans l’atmosphere ou que les autochtones ne passent a l’action.

L’ecran amplificateur du marine avait ete fele par le shrapnel qui l’avait tue, mais Kassad fit descendre ce qu’il en restait a hauteur de sa visiere. Des voyants rouges clignoterent. Cependant, il restait assez d’energie dans la combinaison pour afficher une vue amplifiee d’un vert pale sur le fond craquele. Kassad repera ainsi le vaisseau-torche des Extros, a une centaine de kilometres de la, avec ses champs de protection qui occultaient les etoiles a l’arriere-plan. Plusieurs objets furent lances a ce moment-la. Un instant, Kassad fut persuade que c’etait le coup de grace et qu’il n’avait plus que quelques secondes a vivre. Un sourire amer eclaira son visage. Puis il remarqua la faible vitesse des engins, et augmenta legerement l’amplification. Les voyants rouges clignoterent de plus belle, et l’amplification tomba en panne, mais Kassad avait eu le temps d’apercevoir les formes ovoides, effilees a l’arriere, herissees de propulseurs et de bulles de cockpit. Chaque engin remorquait un enchevetrement de six bras manipulateurs sans articulations. Les militaires de la Force appelaient ces vaisseaux d’abordage extros des « calmars ».

Kassad s’enfonca au c?ur de l’epave. Il estimait qu’il ne disposait que de quelques minutes avant que les calmars n’arrivent jusqu’a lui. Combien d’Extros pouvait-il y avoir a bord de ces engins ? Une dizaine ? Vingt ? Pas moins de dix, en tout cas, et ils seraient puissamment armes, equipes de viseurs infrarouges et de detecteurs de mouvements. Ce seraient des commandos d’elite, l’equivalent des marines de l’Hegemonie, non seulement entraines a se battre sous gravite zero mais vivant depuis toujours en impesanteur. Leurs longs membres, leurs orteils prehensiles et leur prothese caudale leur donnaient un avantage accru dans ce type d’environnement. Et des avantages, ils en avaient deja bien plus qu’il ne leur en fallait pour affronter Kassad.

Il se tapit silencieusement au milieu des morceaux de ferraille tordus, en luttant contre la montee d’adrenaline qui le poussait a se precipiter, hurlant de peur, dans les tenebres exterieures. Que cherchaient les Extros ? Des prisonniers. C’etait une maniere immediate de resoudre son probleme de survie. Il n’avait qu’a se rendre. L’ennui, c’etait qu’il avait vu des holos des services de renseignement de la Force montrant l’interieur des vaisseaux extros captures dans l’espace de Bressia. L’un des vaisseaux contenait dans ses soutes de conservation plus de deux cents prisonniers. Et les Extros avaient du avoir beaucoup de choses a demander a ces citoyens de l’Hegemonie. Peut-etre etait-ce du a leur desir de ne pas s’encombrer de tant de bouches a nourrir et de tant de prisonniers a garder. Peut-etre etait-ce le fait de leur maniere de proceder aux interrogatoires. Toujours est-il que les civils de Bressia et les militaires captures de la Force avaient ete trouves ecorches vifs, eventres et cloues sur des rateliers comme des grenouilles dans un laboratoire de biologie, leurs organes baignant dans des fluides nutritifs, leurs bras et leurs jambes amputes avec une precision chirurgicale, leurs yeux retires, leur cerveau prepare pour l’interrogatoire a l’aide de rudimentaires contacts corticaux et de derivations connectees directement

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