Il s’agissait d’un de ces petits mondes tranquilles et independants, qui se satisfaisait a la fois d’un acces commode au reste du Retz et des quelque huit mois de voyage qui l’en separaient. Il s’enrichissait de plus en plus grace au commerce des diamants, de la racine de bourre et de son inegalable cafe. Il refusait modestement de devenir une colonie a part entiere, mais continuait de compter sur le protectorat de l’Hegemonie et sur son marche commun pour repondre a ses objectifs economiques en tres forte expansion. Comme la plupart des autres planetes de cette categorie, Bressia etait fiere de sa Force de Defense Autonome, qui comprenait douze vaisseaux-torches, un porte-croiseurs remis a neuf – rachete a l’Hegemonie, qui l’avait mis au rancart un demi- siecle auparavant – une cinquantaine de petits patrouilleurs orbitaux rapides, une infanterie de quatre-vingt-dix mille engages, une marine planetaire respectable et tout un stock d’armes nucleaires dont le role etait principalement symbolique.
La signature Hawking des Extros avait ete detectee par les stations de surveillance hegemoniennes, mais interpretee a tort comme une nouvelle migration d’essaim qui passerait a plus d’une demi-annee-lumiere du systeme de Bressia. Au lieu de quoi, avec une seule correction de trajectoire qui ne fut detectee que lorsque l’essaim se trouva a l’interieur du nuage d’Oort, les Extros fondirent sur Bressia comme un fleau de l’Ancien Testament. Sept mois standard au moins separaient la planete de toute expedition hegemonienne de secours ou de represailles.
La Force de Defense Autonome de Bressia fut aneantie en moins de vingt-quatre heures de combat. L’essaim extro injecta alors plus de trois mille vaisseaux dans l’espace cislunaire de Bressia, et entreprit la reduction systematique de toutes les defenses planetaires.
Bressia avait ete colonisee par d’austeres pionniers venus d’Europe centrale lors de la premiere vague d’emigration hegirienne. Ses deux continents, tres prosaiquement, portaient les noms de continent Nord et de continent Sud. Le continent Nord comprenait des deserts, une toundra d’altitude et six villes de moyenne importance, principalement peuplees d’exploitants agricoles de racine de bourre et de travailleurs du petrole. Le continent Sud, au climat et a la geographie beaucoup plus souriants, abritait la grande majorite de la population planetaire, forte de quatre cents millions de personnes. C’etait la, egalement, que se trouvaient les immenses plantations de cafe.
Comme s’ils voulaient faire une demonstration complete des horreurs de la guerre ancienne, les Extros lacherent sur le continent Nord un deluge de plusieurs centaines de bombes nucleaires sans retombees ainsi que des bombes tactiques au plasma. Il y eut ensuite les rayons de la mort et, pour couronner le tout, des virus modifies. Seule une poignee de residents parmi les quatorze millions en rechappa. Le continent Sud, par contre, ne fut pas bombarde, a l’exception de quelques missiles lances sur des objectifs militaires, des aeroports et les installations portuaires de Solno.
La doctrine de la Force etait que, s’il etait possible de reduire une planete a partir d’une position orbitale, il etait tout a fait impossible, par contre, d’envisager l’occupation militaire d’un monde industrialise. Les problemes de logistique, les dimensions de la zone a occuper et les effectifs inadequats de l’armee d’invasion rendaient la tache beaucoup trop difficile.
De toute evidence, les Extros n’avaient pas connaissance des manuels de theorie militaire de la Force. Vingt-trois jours apres le debut de l’attaque, plus de deux mille vaisseaux de descente et d’assaut s’abattirent sur le continent Sud. Le reste de l’aviation bressiane fut detruit dans les premieres heures de cette invasion. Deux engins a charge nucleaire exploserent bien dans la zone de rassemblement extro, mais les effets du premier furent devies par des champs energetiques et le second ne detruisit qu’une unite de reconnaissance qui etait peut-etre un leurre.
Les Extros, comme on devait s’en apercevoir bientot, avaient effectivement change au cours de ces trois siecles. Ils preferaient bien evoluer dans un environnement a gravite zero, mais leur infanterie mobile etait munie d’exosquelettes motorises tres performants, et il ne lui fallut que quelques jours pour amener ses troupes aux longs membres, en uniforme noir, a pied d’?uvre devant les cites de Bressia comme une armee d’araignees geantes.
Les dernieres velleites de resistance organisee s’eteignirent le dix-neuvieme jour de l’invasion. Buckminster, la capitale, tomba dans la meme journee. Le dernier message megatrans de Bressia a destination de l’Hegemonie fut coupe en pleine transmission une heure a peine apres l’entree des troupes extros dans la ville.
Le colonel Fedmahn Kassad arriva avec la Premiere Flotte de la Force vingt-neuf semaines standard plus tard. Trente vaisseaux-torches de la classe Omega, assurant la protection d’un seul portier equipe d’un distrans, penetrerent le systeme a grande vitesse. La sphere de singularite fut activee trois heures apres la descente. Dix heures plus tard, il y avait quatre cents unites de la Force en ligne a l’interieur du systeme. La contre-invasion debuta vingt et une heures apres.
Telle fut la realite mathematique des premieres minutes de la bataille de Bressia. Mais, pour Kassad, le souvenir de ces jours et de ces semaines n’etait pas fait de mathematiques. Il etait fait de la terrible beaute du combat. C’etait la premiere fois qu’un vaisseau portier etait utilise a un niveau superieur a celui d’une division, et il s’ensuivit une confusion qui n’etait pas tout a fait inattendue. Kassad traversa a une distance de cinq minutes de lumiere et tomba sur une pente de gravier et de poussiere jaune, car la porte distrans du batiment d’assaut faisait face a un versant de colline escarpe rendu glissant par la boue et le sang des premiers escadrons qui venaient de passer. Il demeura quelques instants dans la boue, contemplant, au pied de la colline, un spectacle de pure folie. Dix des dix-sept batiments d’assaut equipes de distrans etaient en train de bruler au sol, disperses parmi les collines et les plantations comme des jouets disloques. Les champs de confinement des vaisseaux rescapes se retractaient sous les assauts des missiles et des BCC, qui transformaient les zones d’arrivee en domes de feu orange. Le viseur tactique de Kassad etait en pieces. Son casque n’affichait qu’un impossible emmelement de vecteurs de tir et de points rouges clignotants indiquant les endroits ou les unites de la Force gisaient agonisantes, sur fond de brouillage extro generant des images fantomes en surimpression.
— Bordel de Dieu ! gemissait une voix sur son circuit primaire de commandement. Bordel de Dieu !
La ou les instructions de son groupe de commandement auraient du se trouver, ses implants ne captaient plus qu’un grand vide. Un soldat l’aida a se relever. Il secoua son baton de colonel pour en degager la boue et s’empressa de s’eloigner pour laisser place au nouvel escadron qui allait arriver par le distrans. La guerre etait bien partie.
Des les premieres secondes sur le continent Sud de Bressia, Kassad avait compris que le Nouveau Bushido etait mort et enterre. Quatre-vingt mille fantassins de la Force, superbement armes et entraines, s’avancerent neanmoins au combat, esperant que l’affrontement aurait lieu sur un champ de bataille desert, tandis que les Extros battaient en retraite derriere des lignes de terre brulee ou il n’y avait que des mines et des cadavres de civils. La Force utilisa ses modulateurs distrans pour contourner les positions de l’ennemi et le forcer a accepter le combat, mais les Extros repliquerent par des tirs de barrage d’obus nucleaires et au plasma qui clouerent les fantassins de l’Hegemonie sous les abris des champs de force, donnant ainsi a leur propre infanterie le temps de se retirer sur des positions de defense preparees a l’avance aux abords des villes et des zones de rassemblement des vaisseaux de descente.
Aucune victoire spatiale ne vint compenser les revers du continent Sud. Malgre quelques belles man?uvres et quelques engagements feroces, les Extros demeurerent maitres de la situation dans un rayon de trois UA autour de Bressia. Les unites spatiales de la Force se replierent, ne cherchant plus qu’a demeurer a portee de distrans et a proteger leur vaisseau portier.
La bataille, au lieu de durer deux jours au sol, comme l’avaient prevu les etats-majors, s’etira sur trente jours, puis soixante. Les methodes de guerre avaient regresse jusqu’au XXe ou XXIe siecle. Les sinistres campagnes se succedaient sur les ruines des villes et les cadavres de la population civile. Les quatre-vingt mille soldats hegemoniens du debut furent decimes, renforces par cent mille autres, et le massacre continuait toujours lorsque des renforts de deux cent mille hommes furent demandes. Seule l’obstination farouche de Meina Gladstone, soutenue par une douzaine de senateurs tout aussi determines, maintint la guerre en vie et les troupes au casse-pipe tandis que des milliards de voix, dans toute la Pangermie et a l’Assemblee consultative des IA, reclamaient le desengagement.
Kassad n’avait pas tarde a comprendre le changement de tactique. Ses instincts de bagarreur des rues avaient pris le dessus avant que sa division ne fut totalement aneantie dans la bataille de Stoneheap. Alors que les autres commandants etaient paralyses par cette serie de violations du Nouveau Bushido, Kassad, a la tete de son regiment, et bientot de toute une division a la suite de la destruction nucleaire du centre d’operations Delta,