essayait de gagner du temps pour economiser ses hommes et preconisait l’emploi d’armes a fusion pour servir de fer de lance a sa contre-attaque. Lorsque les Extros se retirerent enfin, quatre-vingt-dix-sept jours apres que la Force eut « sauve » Bressia, Kassad avait gagne le surnom a double tranchant de « Boucher de Bressia », et l’on murmurait que meme ses propres hommes etaient terrorises devant lui.
Mais pendant tout ce temps, Kassad continuait de la voir, dans des reves qui etaient un peu plus et un peu moins qu’un songe.
Le dernier soir de la bataille de Stoneheap, dans le dedale noir des galeries ou Kassad et son groupe de choc utilisaient des soniques et des gaz T-S pour nettoyer les derniers terriers des commandos extros, le colonel s’endormit au milieu des flammes et des cris, et sentit le contact de ses longs doigts sur sa joue ainsi que la douce pression de ses seins contre lui.
Quand ils etaient entres dans la Nouvelle-Vienne, le lendemain matin de la frappe nucleaire spatiale ordonnee par Kassad, les troupes victorieuses suivant les sillons vitrifies de vingt metres de large jusque dans la cite devastee par les missiles, le colonel avait contemple sans broncher les rangees de tetes humaines soigneusement alignees sur les trottoirs comme pour souhaiter la bienvenue, de leur regard accusateur, aux troupes liberatrices de la Force. Puis il avait regagne son VEM de commandement. Apres avoir verrouille les portes, il s’etait couche en chien de fusil dans la chaude obscurite ionisee, impregnee d’odeurs de caoutchouc et de plastique surchauffe. Il avait alors entendu sa voix qui lui murmurait des mots doux, couvrant le babillage de la radio et de ses implants de communication.
La nuit qui avait precede la retraite des Extros, Kassad avait quitte la conference de commandement, a bord du vaisseau amiral
Comme c’est souvent le cas dans un univers apparemment gouverne par l’ironie, Fedmahn Kassad passa indemne au travers de quatre-vingt-dix-sept jours des pires combats que l’Hegemonie eut connus pour se faire grievement blesser deux jours apres le depart du dernier Extro dans son vaisseau d’essaim en deroute. Il se trouvait a l’interieur du Centre Civique de Buckminster, l’un des trois seuls immeubles encore debout de toute la ville, occupe a repondre de maniere laconique a une serie de questions stupides posees par un mediatique du Retz, lorsqu’une bombe-piege au plasma, pas plus grande qu’un microrupteur, explosa quinze etages plus haut. Le souffle ejecta dans la rue, par une grille de ventilation, le mediatique et deux des collaborateurs de Kassad. L’immeuble s’ecroula sur les autres.
Kassad fut medevacue jusqu’au QG de division, puis distransporte a bord du vaisseau portier en orbite autour de la deuxieme lune de Bressia. On le ressuscita et on le maintint en vie pendant que les plus hauts militaires et politiciens de l’Hegemonie decidaient de ce qu’il convenait de faire de lui.
En raison des liaisons distrans et de la couverture mediatique en temps reel des evenements de Bressia, Kassad etait plus ou moins devenu une figure celebre. Les milliards de personnes qui s’indignaient de la sauvagerie sans precedent de la campagne de Bressia auraient ete heureux de voir le colonel Kassad traduit devant une cour martiale qui l’aurait condamne pour crimes de guerre. Mais la Presidente Gladstone, ainsi que beaucoup d’autres, considerait Kassad et les autres commandants de la Force comme des sauveurs.
Finalement, Kassad fut mis dans un vaisseau de la Force a effet de spin pour accomplir le lent voyage de retour au Retz. Comme, de toute maniere, les interventions chirurgicales necessaires pouvaient se faire en etat de fugue, il paraissait sense de grouper les blesses et les morts ressuscitables a bord de ce vieux navire-hopital. Lorsqu’ils arriveraient dans le Retz, ils seraient tous retablis et bons pour le service actif. Mais, chose tres importante pour Kassad, il aurait accumule dans l’intervalle un deficit de temps au moins egal a dix-huit mois standard, et il y avait de fortes chances pour que les controverses dont il etait l’objet soient alors oubliees.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, il vit la silhouette obscure d’une femme qui se penchait sur lui. Un instant, il crut que c’etait
— Est-ce que je suis mort ? murmura-t-il.
— Vous l’avez ete. Vous vous trouvez a bord du vaisseau-hopital
Il souleva un bras pour se cacher les yeux. Malgre la desorientation due a la fugue, il avait de vagues souvenirs des douloureuses seances de therapie, des longues heures passees dans les bains de virus ARN et sur la table d’operation. Surtout la table d’operation.
— Quelle route faisons-nous ? demanda-t-il sans cesser de s’abriter les yeux. J’ai oublie comment nous allons regagner le Retz.
Elle sourit, comme si c’etait une question qu’elle entendait chaque fois qu’il sortait de fugue. Ce qui etait bien possible.
— Nous ferons escale sur Hyperion et sur Garden, dit-elle. Nous sommes actuellement sur le point de nous mettre en orbite autour de…
Elle fut interrompue par un vacarme de fin du monde. Des barrissements de trompette, des dechirures de metal, des hurlements de furies. Il se laissa rouler a bas de son lit, enroulant le matelas autour de lui dans sa chute sous une gravite d’un sixieme de g. Une tornade balaya le pont, faisant voler plateaux, eprouvettes, literie, livres, infirmieres, instruments de metal et innombrables autres objets divers dans sa direction. Hommes et femmes glapissaient, avec des voix de fausset de plus en plus aigues a mesure que l’air quittait la cabine. Le matelas de Kassad heurta une cloison. Il regarda a travers ses mains crispees demeurees sur ses yeux.
A un metre de lui, une araignee de la taille d’un ballon de football, dont les pattes s’agitaient frenetiquement comme des tentacules, etait en train d’essayer de se forcer un passage a travers une breche soudain apparue dans la cloison. Elle semblait s’acharner a battre de ses tentacules en folie les papiers et autres detritus qui tourbillonnaient autour d’elle. Puis elle pivota vers Kassad, et celui-ci realisa qu’il s’agissait de la tete du medecin qui lui avait parle. Elle avait ete arrachee par la premiere explosion, et sa longue chevelure s’agitait frenetiquement en direction du visage horrifie de Kassad. Puis la breche s’elargit, et la tete s’y engouffra.
Il se redressa juste au moment ou l’axe des mats de spin cessa de tourner et ou le « haut » et le « bas » cesserent d’exister. Les seules forces encore en action etaient les tornades, qui precipitaient tout vers les breches de la cloison, et l’ec?urant mouvement de tangage et de ballottement du vaisseau. Kassad s’efforcait de remonter le courant, en se halant vers la porte de la coursive ou se trouvait l’axe de spin au moyen de tout ce qui pouvait lui fournir une prise. Il parcourut les derniers metres en se propulsant d’un coup de talon. Un plateau de metal le heurta au-dessus de l’?il. Un cadavre aux yeux degoulinants de sang faillit le repousser en arriere dans la salle de soins. La porte etanche battait inutilement contre le cadavre d’un
Kassad hurla aussi, essayant de se liberer de la pression qui menacait de faire eclater ses poumons et ses tympans. L’axe de spin aspirait toujours de l’air. Il etait entraine, sur les cent trente metres qui le separaient du corps principal du vaisseau, en compagnie du cadavre du