accompagner la fricassee.

Ils avaient presque fini de manger lorsque la penombre exterieure palit, puis s’eclaircit tout d’un coup. Le consul se retourna sans quitter son banc. Un rayon de soleil penetra dans la cabine, qu’il emplit d’une chaude lumiere doree.

Il y eut un soupir de soulagement collectif. Ils avaient eu l’impression que la nuit etait tombee depuis des heures, mais ils s’apercurent, en grimpant au-dessus d’une mer de nuages percee par un archipel de montagnes, que le soleil couchant etait encore vigoureux. Le ciel d’Hyperion avait perdu sa couleur glauque du jour pour prendre les teintes lapis-lazuli plus foncees du couchant. Le soleil illuminait d’un rouge dore les nuages cotonneux et les sommets de roche et de glace. Le consul regarda autour de lui. Ses compagnons, qui lui paraissaient pales et accables, une demi-minute plus tot, dans la penombre de la cabine, semblaient maintenant rayonner en harmonie avec le soleil dore.

Martin Silenus leva son verre.

— On se sent mieux ainsi, par Dieu !

Le consul suivit des yeux le cable massif qui grimpait devant eux. Il se perdait, au loin, avec l’epaisseur d’un cheveu, jusqu’a ce qu’il n’y ait plus rien. Sur un sommet encore distant de plusieurs kilometres, le pylone suivant jetait des eclats de lumiere doree.

— Cent quatre-vingt-douze pylones en tout, recita Silenus sur le ton blase d’un guide touristique. Chacun a une hauteur de quatre-vingt-trois metres et une structure en duralumin et carbone renforce.

— Nous devons etre deja tres haut, murmura Lamia.

— Le point culminant du parcours, d’une longueur totale de quatre-vingt-seize kilometres, domine le sommet du mont Dryden, le cinquieme en altitude de toute la Chaine Bridee, a neuf mille deux cent quarante-six metres, continua Silenus sur le meme ton.

Le colonel Kassad regarda autour de lui.

— La cabine est pressurisee, dit-il. J’ai senti le changement tout a l’heure.

— Regardez ! s’ecria Lamia.

Le soleil etait depuis un bon moment sur la ligne d’horizon formee par les nuages. Il etait en train de s’enfoncer dans le tapis cotonneux, illuminant le ciel d’orage de l’interieur de cette masse et projetant une panoplie de couleurs spectaculaires sur tout le bord occidental du globe. Des corniches de glace luisaient sur les versants enneiges des pitons qui s’elevaient a mille metres ou plus au-dessus de la cabine qui grimpait toujours. Quelques etoiles, les plus brillantes, apparurent dans le ciel de plus en plus fonce.

Le consul se tourna vers Brawne Lamia.

— Pourquoi ne pas nous raconter maintenant votre histoire, H. Lamia ? Nous aurons tous envie de dormir, plus tard, avant d’arriver a la forteresse.

Elle vida le fond de son verre de vin.

— Tout le monde est d’accord ? demanda-t-elle.

Toutes les tetes acquiescerent dans la lumiere rosatre, a l’exception de Silenus, qui se contenta de hausser les epaules.

— Tres bien, dit-elle.

Elle posa son verre, mit ses jambes sur le banc, adossee a la paroi, les coudes reposant sur les genoux, et commenca son recit.

Le recit de la detective :

« Le long adieu »

Je compris que l’affaire n’allait pas etre comme les autres des l’instant ou il entra dans mon bureau. Il etait beau. Et je ne veux pas dire effemine ou « mignon », a l’image des stars de la TVHD. Il etait simplement… beau.

C’etait un homme de petite taille, pas plus grand que moi, qui suis nee et qui ai grandi sous les 1,3 g de Lusus. Il etait cependant bien proportionne selon les criteres du Retz. Athletique et mince. Son visage exprimait tout entier une energie et une volonte de fer. Sourcils bas, pommettes saillantes, nez compact, machoires fortes et large bouche, traduisant a la fois un cote sensuel et une tendance a l’entetement. Ses yeux noisette etaient grands, et il ne semblait pas avoir plus d’une trentaine d’annees standard.

Comprenez bien que je n’ai pas enregistre tous ces details a l’instant ou il est entre. Ma premiere pensee fut plutot : Est-ce un client ?, et ma deuxieme : Merde, quel beau mec !

— H. Lamia ?

— Ouais.

— H. Brawne Lamia, de l’Agence Pangermique de Recherches et Filatures ?

— Ouais.

Il regarda autour de lui comme s’il n’y croyait pas vraiment. Je comprenais un peu ce qu’il devait penser. Mon bureau se trouve au vingt-troisieme etage d’un vieux rucher industriel dans le quartier des Reliques, a Gueuse, sur Lusus. J’ai trois grandes fenetres qui plongent sur la tranchee d’entretien 9, toujours plongee dans l’obscurite et toujours bruineuse a cause des ecoulements abondants du filtre du rucher au-dessus. La vue donne principalement sur des quais de chargement automatique abandonnes et sur des poutrelles rouillees. Mais le loyer est bon marche, merde. Et, n’importe comment, la plupart de mes clients preferent appeler au lieu de passer en personne.

— Puis-je m’asseoir ? demanda-t-il, acceptant apparemment l’idee qu’une agence de detectives qui se respecte puisse operer dans un contexte si sordide.

— Bien sur, dis-je en lui designant une chaise. Et a qui ai-je l’honneur… ?

— Johnny.

Il n’etait pas du genre, me disais-je, a se faire appeler par son prenom par des inconnus. Quelque chose chez lui criait qu’il etait bourre de fric. Ce n’etaient pas ses vetements, plutot sobres, de couleur noire et anthracite, bien qu’ils fussent de bonne qualite. Non, c’etait plutot l’impression qu’il donnait d’avoir de la classe. Peut-etre son accent, aussi. Je m’y connais assez dans ce domaine, c’est plutot utile dans ma profession, mais j’etais incapable de situer sa planete natale, et encore moins la region d’ou il venait.

— Que puis-je faire pour vous, Johnny ? demandai-je en lui presentant la bouteille de scotch que j’etais sur le point de ranger avant son arrivee.

Il secoua negativement la tete. Il croyait peut-etre que je lui suggerais de boire a la bouteille. Merde, j’ai un peu plus de classe que ca, quand meme. J’avais des gobelets en carton a cote du distributeur d’eau glacee.

— H. Lamia, me dit-il avec cet accent cultive qui ne cessait de me turlupiner depuis le debut, j’ai besoin de faire une enquete.

— Je suis la pour ca.

Il hesita. Il etait timide. Beaucoup de mes clients le sont au moment de m’expliquer ce qu’ils veulent. Rien d’etonnant a ca, vu que quatre-vingt-quinze pour cent des affaires que je traite concernent des divorces et des histoires conjugales. J’attendis patiemment qu’il me deballe son truc.

— Il s’agit d’une question assez delicate, commenca-t-il.

— Ouais. Ecoutez, euh… Johnny, presque toutes mes activites entrent dans cette categorie. Je suis assermentee aupres de l’UniRetz, et tout ce qui se passe entre mes clients et moi tombe sous le coup de la loi sur la protection de la vie privee des individus. Tout est strictement confidentiel, y compris le fait que nous parlions ensemble en ce moment. Meme si vous decidez de n’avoir pas recours a mes services.

C’etait essentiellement du baratin, dans la mesure ou les autorites pouvaient avoir acces a mes fichiers en un instant si elles le voulaient. Mais je sentais qu’il fallait mettre ce gus a l’aise d’une maniere ou d’une autre. Dieu, ce qu’il etait beau !

— Hum… fit-il en regardant de nouveau autour de lui puis en se penchant en avant. H. Lamia, j’ai besoin que vous fassiez une enquete sur un meurtre.

Il avait reussi a m’interesser. J’avais les pieds sur mon bureau. Je les posai par terre et me penchai en

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