avant en redressant mon fauteuil.

— Un meurtre ? Vous en etes bien sur ? Et les flics ?

— Ils ne sont pas concernes.

— C’est impossible, lui dis-je avec le sentiment profondement decu que j’avais affaire a un detraque plutot qu’a un riche client. C’est un crime de dissimuler un meurtre a la police.

En realite, ce que je pensais, c’etait : Le meurtrier, c’est toi, Johnny ?

Il sourit tout en secouant la tete.

— Pas dans ce cas, dit-il.

— Que voulez-vous dire ?

— Ce que je veux dire, H. Lamia, c’est qu’un meurtre a bien ete commis, mais que la police locale ou hegemonienne n’en a pas connaissance, car cela ne fait pas partie de sa juridiction.

— Impossible, repetai-je tandis qu’au-dehors les etincelles d’un chalumeau de soudage industriel retombaient en cascade dans la tranchee parmi la bruine rouillee. Expliquez-vous.

— Le meurtre dont je vous parle a ete commis en dehors du Retz. En dehors du Protectorat. Dans un endroit ou il n’y a pas d’autorites locales.

Cela aurait pu se tenir, a la rigueur. Sauf que je ne voyais vraiment pas de quel genre d’endroit il voulait parler. Les mondes coloniaux et meme les etablissements des Confins ont leurs flics. Peut-etre a bord d’un vaisseau spatial ? Meme pas. Un tel cas relevait de la juridiction de l’Agence Interstellaire de Transit.

— Je vois, soupirai-je.

Il y avait quelques semaines que j’etais sans boulot.

— Donnez-moi tous les details, lui dis-je.

— Et cette conversation demeurera secrete meme si vous ne vous chargez pas de l’affaire ?

— Absolument.

— Si vous vous en chargez, par contre, vous ne communiquerez vos resultats a personne d’autre que moi ?

— Bien entendu.

Mon client potentiel hesita encore en se frottant le menton. Il avait des mains exquises.

— Tres bien, finit-il par dire.

— Commencez par le commencement. Qui a ete assassine ?

Il redressa la tete, comme un ecolier que l’on interroge. Son visage respirait la sincerite.

— Moi, repondit-il.

Il me fallut dix bonnes minutes pour lui tirer toute l’histoire. Quand il eut fini, je ne pensais plus qu’il etait fou. C’etait moi qui avais perdu l’esprit. Ou qui le perdrais si jamais j’acceptais de m’occuper de cette fichue affaire.

Johnny – son vrai nom etait un ensemble code de chiffres, de lettres et de rangees de zeros plus long que mon bras – etait un cybride.

J’avais deja entendu parler des cybrides, comme tout le monde. J’avais meme un jour accuse mon ex-mari d’en etre un. Mais je ne m’attendais pas a en rencontrer un, ni a me retrouver assise en face de lui dans la meme piece, ni a le trouver si foutrement seduisant.

Johnny etait une Intelligence Artificielle. Sa conscience, son ego, appelez ca comme vous voudrez, flottait quelque part dans un infoplan de la mega-infosphere du TechnoCentre. Comme tout le monde, a l’exception, peut-etre, du President du Senat et des eboueurs des IA, j’ignorais totalement ou se trouvait le TechnoCentre. Les IA avaient fait tranquillement secession de l’autorite humaine plus de trois siecles auparavant, mais c’etait pour moi de l’histoire ancienne. Ils continuaient de servir l’Hegemonie en tant qu’allies et conseillers de la Pangermie, en supervisant l’infosphere et en utilisant, a l’occasion, leur pouvoir de prediction pour nous eviter des bourdes majeures ou des catastrophes naturelles. Le TechnoCentre, pendant ce temps, poursuivait dans l’ombre ses activites mysterieuses et fondamentalement non humaines.

Pour ma part, je n’avais rien a redire a tout ca.

Habituellement, les IA font leurs affaires avec les humains et leurs machines uniquement par l’intermediaire de l’infosphere. Ils peuvent creer des holos interactifs si le besoin s’en fait sentir. Je me souviens, par exemple, que, lors du rattachement d’Alliance-Maui, les ambassadeurs du TechnoCentre presents a la signature du traite ressemblaient tous etrangement a l’ancien acteur holo Tyrone Bathwaite.

Les cybrides sont quelque chose d’encore different. Fabriques a partir de materiaux genetiques humains, ils nous ressemblent beaucoup plus dans leur aspect physique et leur comportement que de simples androides. Et des accords tres stricts entre l’Hegemonie et le TechnoCentre limitent severement le nombre de cybrides en circulation.

Je regardai mon Johnny de plus pres. Du point de vue d’une IA, le corps splendide et la personnalite fascinante assis en face de moi ne devaient etre qu’un prolongement parmi beaucoup d’autres, quelque chose de plus complexe mais pas plus important que les milliers de terminaux, capteurs, manipulateurs, engins autonomes ou telecommandes qu’une IA devait utiliser au cours de sa journee de travail. La destruction d’un « Johnny » ne devait pas troubler cette IA davantage que, pour moi, la perte d’une rognure d’ongle.

Quel gachis ! me disais-je.

— Un cybride, repetai-je a haute voix.

— Oui. Et tous mes papiers sont en regle. J’ai mon visa delivre par le Retz.

— Parfait, m’entendis-je murmurer. Et… quelqu’un a donc assassine votre cybride, et vous voulez que j’enquete pour savoir qui ?

— Pas exactement.

Le jeune homme assis en face de moi avait des boucles auburn qui, au meme titre que son accent ou sa coupe de cheveux, m’echappaient momentanement. Son aspect avait quelque chose d’archaique, bien sur, mais j’etais certaine d’avoir vu tout cela quelque part.

— Ce n’est pas seulement le corps que vous voyez qui a ete tue, reprit-il. Mon agresseur m’a assassine.

— Vous ?

— Moi.

— Vous en tant que… euh… IA ?

— Precisement.

Je ne saisissais pas tres bien. Les IA ne peuvent pas mourir. Pas a la connaissance des citoyens ordinaires du Retz, en tout cas.

— Je ne saisis pas tres bien, lui dis-je.

Johnny hocha quelques instants la tete.

— Contrairement a la personnalite humaine, qui peut etre… de l’avis general, je pense… detruite par la mort, ma conscience d’IA ne peut etre… euh… annihilee. Cependant, a la suite de l’agression dont je vous ai parle, il y a eu, disons… une interruption. Je possedais, bien sur, ce que l’on pourrait appeler des… sauvegardes de mes souvenirs, personnalites, etc. Mais il y a eu des pertes. Certaines donnees ont ete detruites. C’est dans ce sens que mon agresseur a commis un meurtre.

— Je vois, mentis-je.

Je pris une longue inspiration avant de demander :

— Pourquoi n’etes-vous pas alle exposer votre cas aux autorites IA – si elles existent – ou bien aux cyberflics de l’Hegemonie ?

— Pour des raisons tout a fait personnelles, me dit le beau jeune homme dont j’essayais de me persuader qu’il etait un cybride. Il est tres important et meme indispensable que je ne m’adresse pas a ces autorites.

Je haussai un sourcil. Ce langage ressemblait davantage a celui de mes clients habituels.

— Je vous assure, reprit-il, qu’il n’y a absolument rien d’illegal dans cette affaire. Rien qui ne soit contraire a la morale, non plus. Il s’agit seulement de… faits embarrassants pour moi, a un niveau dont je ne peux pas vous parler.

Je croisai lentement les bras.

— Ecoutez, Johnny. Votre histoire est deja assez tarabiscotee comme ca. Comprenez-moi bien, c’est vous qui dites que vous etes un cybride. Vous pourriez aussi bien etre le roi des arnaqueurs, a ce que j’en sais.

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