— Disons simplement qu’on evite tout geste susceptible de provoquer une incapacite permanente. Le perdant devrait etre capable de marcher demain. A part ca, tout est permis.

— D’accord. Mais avant qu’on commence, je voudrais savoir une chose : ton tatouage sur l’estomac, c’est pour quoi ? » Elle designa du doigt le ventre de Robin.

Cela aurait pu etre mieux – Robin aurait pu se regarder plutot que fixer son regard sur le doigt tendu –, mais elle fut tout de meme prise de court lorsque Gaby lui balanca son pied, consciencieusement frotte dans la glaise. Elle esquiva le coup mais un paquet de boue l’atteignit au visage, l’aveuglant d’un ?il.

Gaby s’attendait a la voir reculer, prete a en profiter mais les reflexes de Robin furent plus rapides et elle encaissa un coup de pied dans le flanc. Cela la ralentit juste assez pour permettre a son adversaire d’effectuer a son tour son mouvement surprise :

Elle se detourna et s’enfuit au pas de course.

Gaby courut bien apres Robin mais c’etait pour elle une tactique inhabituelle. Elle s’attendait toujours a un coup fourre et donc ne courait pas aussi vite qu’elle aurait pu. Le resultat fut que bientot Robin avait une confortable avance. Elle s’arreta lorsque leur ecart eut atteint dix metres ; quand elle se retourna, son ?il etait ouvert de nouveau. Gaby se dit qu’elle ne devait pas y voir aussi bien qu’avant mais la pluie l’avait debarrassee quand meme de la plus grande part de son handicap. Elle etait impressionnee. Lorsqu’elle entama une nouvelle approche, ce fut avec les plus extremes precautions.

C’etait comme si on repartait de zero. Gaby se sentait handicapee car elle avait rarement eu l’occasion de combattre de cette maniere. Son propre entrainement remontait a bien longtemps, et meme si elle n’etait pas rouillee, il lui etait difficile de se rappeler comment on faisait durant ces seances d’entrainement. Au cours des quatre-vingts dernieres annees, tous les combats ou elle s’etait trouvee impliquee avaient ete absolument serieux, ce qui signifiait que la mort etait toujours au bout. Cela n’avait aucun rapport avec l’entrainement. A l’oppose, Robin devait pratiquer ce genre de chose a longueur de temps. Son comportement en temoignait a l’evidence.

Il n’y avait aucune raison que le combat dure plus de quelques minutes, meme en amortissant les coups. Gaby sentait confusement que les choses ne tourneraient pas ainsi. Elle s’approcha donc en sautillant sans lancer le poing ou le pied, laissant ainsi a Robin une ouverture qu’elle etait, a ses yeux, susceptible d’exploiter. Mais elle n’en fit rien et les deux femmes se retrouverent donc au corps a corps. C’etait un agrement tacite. Gaby le respecterait. En rendant plus strictes encore les regles qu’elles s’etaient fixees au depart, Robin lui montrait son desir de ne voir aucune d’elles blessee. Ce qui signifiait que Gaby etait une adversaire jugee assez honorable pour ne pas meriter de blessure.

Cela dura un bon moment. Gaby realisa qu’elle avait perdu tous les avantages qu’elle aurait pu retirer en luttant ainsi. Mais elle s’en fichait. Elle comptait perdre mais ca ne l’empechait pas de se donner a fond. Robin s’en souviendrait.

* * *

« Pouce ! hurla Gaby. N’en jetez plus, je me rends ! »

Robin relacha son etreinte et le poignard de la douleur se retira lentement de son epaule. Elle leva son visage colle dans la boue et se retourna avec precaution. En fin de compte, elle retrouverait peut-etre un jour l’usage de son bras.

Elle apercut Robin, assise la tete entre les jambes, qui haletait comme une locomotive.

« Deux sur trois ? » suggera Gaby.

Robin se mit a rire. A pleine voix, sans retenue.

« Si j’avais su, rien qu’une minute, que tu parlais serieusement, parvint-elle a dire enfin, je t’aurais ligotee et bouclee dans une cage. Mais t’aurais sans doute reussi a ronger tes chaines.

— J’ai bien failli t’avoir deux fois, pas vrai ?

— Tu sauras jamais a quel point ! »

Gaby s’etonna de se sentir aussi bien, vu qu’elle avait mal absolument partout. Elle attribua le fait a l’euphorie de l’exploit, cette detente totale qui suit un effort epuisant. Et apres tout, elle n’etait pas blessee. Quelques bleus, l’epaule un peu affaiblie mais c’etait plus d’epuisement que de contusions qu’elle souffrait.

Robin se leva lentement. Elle lui tendit la main.

« Descendons au fleuve. T’as besoin d’un bain. »

Gaby lui prit la main et parvint a se redresser. Robin boitillait et elle ne se sentait guere stable elle-meme, aussi est-ce en se soutenant mutuellement qu’elles parcoururent les difficiles premieres centaines de metres.

« Je voulais vraiment savoir, a propos de ton tatouage », dit Gaby tandis qu’elles approchaient de la berge.

Robin s’essuya le ventre avec les mains ; en vain. « On n’y voit rien. Y a trop de boue. Qu’est-ce que t’en penses ? »

Gaby faillit repondre de facon neutre et polie puis elle se ravisa :

« J’en pense que c’est l’une des choses les plus hideuses que j’aie jamais vues.

— Precisement. C’est une source intense de labra.

— Tu pourrais t’expliquer ? Est-ce que toutes les sorcieres se defigurent de la sorte ?

— Je suis la seule. De la vient le labra. »

Elles penetrerent dans l’eau avec precaution et s’y assirent. La pluie s’etait reduite a un fin crachin tandis qu’au nord une dechirure entre les nuages laissait passer quelque lumiere.

Gaby ne pouvait plus voir le tatouage mais elle ne cessait d’y songer. Il etait grotesque, effrayant, presque. Il representait, avec le rendu d’une planche anatomique, la dissection des couches de tissus, rabattus successivement avec une precision chirurgicale pour reveler les organes internes. Les ovaires ressemblaient a des fruits pourris et grouillants de vers. Les trompes de Fallope etaient un paquet de n?uds. Mais le pire restait encore l’uterus : gonfle, debordant par l’« incision » et se vidant de son sang par une blessure dechiquetee. Il etait clair que la blessure avait ete occasionnee de l’interieur, comme si quelque chose cherchait a sortir de force. On ne voyait de la creature qu’abritait la matrice qu’une paire d’yeux rouges et sanguinaires.

* * *

La pluie redoubla alors qu’elles allaient reprendre leurs vetements. Gaby ne s’alarma pas en voyant Robin trebucher et tomber ; le sol etait glissant et sa cheville etait encore fragile. Mais a partir de sa quatrieme chute, il fut evident que quelque chose ne tournait pas rond. Elle titubait, tremblait, la machoire crispee avec determination. « Laisse-moi t’aider, proposa Gaby en n’y tenant plus.

— Non, merci. Je peux me debrouiller toute seule. » Une minute plus tard elle retomba et ne se releva pas. Ses membres tremblaient doucement, lentement. Son regard etait vague. Gaby s’agenouilla et passa un bras sous les genoux de Robin, l’autre derriere son dos. « Nnnn… nnnnooon. Nnnooon.

— Quoi ? Sois raisonnable, ma vieille. Je ne peux pas te laisser la sous la pluie.

— SSSiii. SSSiiii. Laiiii-ssse. Laissssse-me… me… moi. » C’etait un foutu probleme. Gaby la reposa, se redressa en se grattant le crane. Elle considera le campement, pas tres loin, puis Robin a nouveau. Elles etaient au sommet d’une colline basse ; la crue n’etait pas un probleme. Elle ne risquait pas non plus d’etre noyee par l’averse. Cette region d’Hyperion etait depourvue de gros predateurs dangereux, seuls quelques petits animaux pouvaient venir la mordiller.

On reglerait cela plus tard. Il faudrait bien trouver une solution car Gaby ne ferait pas ca deux fois. En attendant, elle fit demi-tour pour regagner le camp.

* * *

Hautbois se leva, inquiet, en voyant Gaby revenir seule. Gaby savait que la Titanide les avait vues partir ensemble ; il etait meme probable qu’elle avait devine la raison de leur equipee sous la pluie. Gaby s’empressa de la rassurer avant qu’elle ne tire des conclusions hatives.

« Elle va bien. Du moins je le suppose. Elle est en pleine crise et refuse mon aide. On pourra la recuperer au moment de partir. Mais ou vas-tu ?

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