— La ramener a sa tente, bien sur.

— Je ne crois pas qu’elle appreciera. »

Gaby n’avait jamais vu une Titanide dans une telle colere que Hautbois.

« Vous, les humains et vos jeux imbeciles, hennit-elle. Je n’ai pas a me conformer a ses regles, ni aux tiennes, d’ailleurs. »

* * *

Robin vit Hautbois deboucher de derriere le rideau de pluie. Bon sang, Gaby lui avait renvoye la cavalerie, pas de doute.

« Je suis venue de moi-meme, dit la Titanide en tirant Robin du bourbier. Quels que soient les concepts humains que par cet acte insense vous tentez de defendre, ils ne seront pas violes puisque aucune ingerence humaine ne vous tire de la.

— Pose-moi par terre, espece de gros dada monte en graine », essaya d’articuler Robin mais elle n’entendit tomber de ses machoires flasques que croassements et gargouillis depites.

« Je vais m’occuper de vous », dit Hautbois avec tendresse.

Robin etait calme lorsque la Titanide la deposa sur le sac de couchage. Cesse de lutter, cede, attends ton heure pour gagner. Pour l’instant, tu es sans defense, mais tu te rattraperas.

Hautbois revint avec un seau d’eau chaude. Elle baigna Robin, la secha, la soutint comme une poupee robot dereglee et la glissa dans les fines dentelles de sa chemise de nuit. Robin aurait pu ne pas peser plus d’une feuille de papier lorsque Hautbois la souleva d’une main pour l’introduire dans son sac de couchage. Elle le lui remonta jusqu’au cou.

Elle se mit a chanter.

Robin sentit une boule dans le fond de sa gorge. Elle etait horrifiee. Se faire border, baigner, habiller… c’etait un affront terrible pour sa dignite. Elle aurait du etre capable d’eprouver plus de colere que ca. Elle aurait du preparer l’eclatante attaque verbale qu’elle lui assenerait des l’instant qu’elle aurait repris ses esprits. Et au lieu de cela, elle etait simplement submergee par une emotion suffocante, depuis bien longtemps oubliee.

Pleurer : c’etait inconcevable. Une fois qu’on s’y etait laisse aller, l’auto-apitoiement vous guettait. C’etait sa plus grande peur, elle en etait terrifiee au point d’oser rarement en parler.

Seule, parfois, il lui etait arrive de pleurer. Elle en etait incapable devant quelqu’un.

Et pourtant, en un sens, elle etait bien seule. Hautbois elle-meme l’avait dit. Les regles humaines, les concepts du Covent n’avaient pas a s’appliquer ici. Cela allait meme plus loin : le Covent n’avait jamais exige d’elle qu’elle ne pleure pas ; c’etait une discipline qu’elle s’etait imposee elle-meme.

Elle entendit un gemissement et comprit qu’il sortait de sa bouche. Des larmes coulaient du coin de ses yeux. Puisqu’elle ne pouvait avaler la boule qui lui obstruait la gorge, il fallait bien qu’elle sorte.

Robin se rendit et s’endormit en pleurant dans les bras de Hautbois.

* * *

Chris etait allonge sur son sac de couchage dans cette foutue penombre. Il tremblait. Depuis des heures, il avait l’impression que l’attaque etait imminente mais elle refusait de se declencher. Ou bien avait-elle commence ? Comme il l’avait explique a Gaby, il etait mal place pour juger s’il etait en crise. Mais ce n’etait pas entierement exact ; s’il avait eu une attaque, il ne s’en rendrait pas compte, son esprit trouverait parfaitement raisonnable de fonctionner comme une machine aux poulies tordues et aux engrenages fausses. Et il ne serait pas la a transpirer.

Il se dit que c’etait la lumiere, et cette pluie qui battait contre la toile de tente. La lumiere n’allait pas. Discernee au travers des parois de la tente, c’etait soit celle de l’aube, et il etait temps de se lever, soit celle du crepuscule et il etait bien trop tot pour dormir. Ca ne ferait pas une nuit convenable.

Et quant a la pluie… C’etait etonnant, tout ce qu’il avait pu entendre. Le chant tranquille des Titanides, les craquements et le crepitement du feu. Quelqu’un s’etait approche de sa tente, s’etait arrete et son ombre s’etait silhouettee sur la paroi, puis s’etait eloigne. Plus tard, il avait entendu le bruit d’une conversation, des pas qui s’eloignaient. Bien plus tard, quelqu’un etait revenu.

Et voici maintenant que quelqu’un d’autre encore s’approchait. Meme la Sorciere n’aurait pas jete une ombre de cette envergure.

« Toc, toc.

— Entre, Valiha. »

Elle portait une serviette et, tout en passant la tete et le torse par l’embrasure pour maintenir ouverts les battants de la tente, elle s’en servit pour essuyer la boue de ses sabots frontaux avant de se hasarder sur le tapis. Elle fit de meme avec ses posterieurs, levant une jambe apres l’autre, arquee de biais, dans l’attitude d’un chien qui se gratte derriere l’oreille. Elle portait un impermeable violet qui etait presque une tente a lui tout seul. Lorsqu’elle l’eut enleve et suspendu a une patere pres de la porte, Chris etait devenu des plus curieux de l’objet de sa visite.

« Ca te derange que j’allume la lanterne ?

— Ne te gene pas. »

La tente etait prevue pour une Titanide, ce qui voulait dire qu’elle pouvait tenir debout en son centre, avec une place juste suffisante pour s’y retourner. La lampe decoupait des ombres fantastiques avant qu’elle ne la suspende au mat ; elle s’assit, jambes croisees.

« Je ne puis rester longtemps, commenca-t-elle. D’ailleurs, je fais peut-etre meme une erreur en venant ici. En tout cas, je suis la. »

Si elle avait eu l’intention de le subjuguer, elle n’aurait pu s’y prendre mieux. Ses mains jouaient nerveusement avec le rebord de sa poche, un spectacle pour Chris difficilement supportable : les pouces passes dedans, elle l’etirait comme si c’etait la doublure elastique d’un costume de bain.

« Je m’inquiete depuis que je me suis rendu compte que tu… que tu ne te rappelles vraiment pas les cent revs que nous avons passes ensemble une fois que je t’ai eu decouvert, errant sous l’Escalier de Cirocco, apres ton Grand Saut.

— Quelle duree representent cent revs ?

— Un peu plus de quatre de tes jours. Une rev fait soixante et une minute.

— Ca fait un bail. On s’est paye du bon temps ? »

Elle leva les yeux sur lui.

« Moi oui. Et ca t’a plu aussi, m’as-tu dit. Ce qui m’a le plus tourmente, c’est ton impression d’avoir ete utilise simplement comme porte-bonheur, la premiere fois que tu as repris tes esprits. »

Chris haussa les epaules. « Ca ne me generait pas meme si c’etait vrai. Et si je t’ai porte chance, j’en suis ravi.

— Ce n’est pas ca. » Elle se mordit la levre inferieure et Chris vit avec surprise briller une larme, rapidement essuyee. « Gaia me damne, gemit-elle. Je ne parviens pas a le dire comme il faut. Je ne sais meme pas ce que je voudrais te dire, en dehors de merci. Meme si tu ne te rappelles rien. » Elle puisa dans sa poche pour en ramener un objet qu’elle lui pressa dans la main. « Voici pour toi », dit-elle en se levant ; elle etait partie pratiquement avant qu’il ait saisi ce qu’il s’etait passe.

Il ouvrit la main et contempla l’?uf de Titanide.

Sa couleur dominante etait le jaune, a l’instar de la robe de Valiha, mais avec des diaprures noires. Sa surface dure etait gravee d’une inscription redigee en anglais en minuscules pattes de mouches :

Valiha (Solo eolien) Madrigal : Forte Cote en Majeur

26e Gigarev ; 97618685°Rev. (2100 apr. J.-C.)

« Les Tours de Gaia Sont Impenetrables. »

Вы читаете Sorciere
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату