Gaby donna une tape sur le canon de l’arme qu’elle avait empruntee. « Peut-etre qu’il est au courant de celui que Robin a descendu. » Elle regarda encore une fois vers le ciel puis hocha la tete. « Mais je ne crois pas que ce soit l’unique raison. Je n’aime pas ca. Je n’aime pas ca du tout. »

Elle jeta un ?il vers Cirocco.

« Eh bien, tu m’as convaincue. Je n’aime pas ca non plus. »

Chris regarda de l’une a l’autre mais elles n’avaient plus rien a ajouter.

Au-dessus, le bombourdon poursuivait son manege. Il semblait attendre quelque chose mais quoi ? Periodiquement, les fleches des esprits-de-sable pleuvaient par paquets de trois ou quatre douzaines. Lancees presque verticalement, elles avaient perdu leur celerite meurtriere en arrivant au sol. L’une d’entre elles avait touche Cornemuse au posterieur droit. Elle avait penetre de cinq ou six centimetres dans le muscle : c’etait douloureux mais on avait pu la retirer facilement, la pointe n’etant pas barbelee. Ce tir de barrage semblait destine a les maintenir cloues au sol plus que toute autre chose. Chris avait lu quelque part que lors d’une guerre, des millions de charges avaient ete utilisees dans ce seul but.

Mais si les esprits voulaient les immobiliser, c’est qu’ils avaient une bonne raison. Ils leur reservaient une surprise ou bien des renforts etaient en route. Dans l’un et l’autre cas, Chris estimait que la riposte logique etait de tenter une percee jusqu’au cable. Ils l’auraient fait sans doute, n’eut ete la presence du bombourdon.

« Penses-tu que les esprits et le bombourdon agissent de concert ? » demanda-t-il.

Gaby le regarda sans repondre immediatement.

« Pour moi, c’est plus que douteux, finit-elle par dire. Autant que je sache, les esprits n’ont jamais collabore avec personne, sinon d’autres esprits, et encore pas tres bien. » Mais lorsqu’elle regarda de nouveau le ciel, elle paraissait pensive. Elle caressa la crosse du pistolet de Robin et s’entraina a viser la cible lointaine, la suivant au collimateur en murmurant d’une voix enjoleuse.

* * *

« Les fleches ont cesse », dit Valiha.

Chris s’en etait rendu compte depuis plusieurs minutes mais s’etait abstenu de formuler son observation, dans la crainte, irraisonnee, de susciter l’apparition d’une nouvelle volee de projectiles. Mais c’etait vrai ; dans la demi-heure qui avait suivi le creusement de leur terrier communautaire, les fleches s’etaient succede a une ou deux minutes d’intervalle alors que maintenant il n’y en avait plus.

« Je suis peut-etre pessimiste, dit Gaby, mais je n’aime pas ca non plus.

— Ils peuvent etre partis, hasarda Cornemuse.

— Et moi je peux etre consideree comme une demi-Titanide. »

Chris n’y tint plus. Il n’etait plus question de se dire que Gaby et Cirocco etaient bien plus agees, sages et avisees en ce domaine que lui.

« Je crois qu’on devrait foncer au cable. Cornemuse est deja blessee. Si nous attendons qu’ils se remettent a tirer, ca risque d’etre bien pis. » Il attendit mais bien que tout le monde eut les yeux fixes sur lui, personne ne dit mot. Il plongea en avant : « Ce n’est qu’une impression, mais je crains que le bombourdon n’attende quelque chose. Peut-etre des renforts. »

Il aurait pu croire que la Sorciere le reprendrait au moins sur ce point : il n’avait rien pour fonder son assertion, hormis le fait que les bombourdons avaient une fois agi en groupe, lors de l’attaque qui avait ete fatale a Psalterion.

A sa surprise, il vit Cirocco et Gaby se regarder mutuellement, apparemment troublees l’une comme l’autre. Il se rendit compte qu’au-dela d’une certaine quantite de connaissances de base, il etait impossible a quiconque, meme a la Sorciere, de deviner les intentions de Gaia. Tant de choses etaient possibles et meme celles qu’on croyait connaitre pouvaient changer du jour au lendemain lorsque Gaia inventait de nouvelles creatures ou bien modifiait le comportement des anciennes.

« C’est un type particulierement veinard qui te dit ca, Rocky, dit Gaby.

— Je sais, je sais. Je ne neglige pas ses sentiments a ce sujet. Je n’ai moi-meme pas grand-chose sur quoi me fonder. Mais il se pourrait justement que le salaud qui est la-haut n’attende que ca. Nous pourrons aller aussi vite qu’il est possible, il aura toujours le temps de nous lancer au moins une attaque et le terrain la-dessus est plat comme une crepe.

— Je ne pense pas etre ralenti, dit Cornemuse.

— Je peux me charger de Robin, avisa Hautbois.

— Bordel, c’est vous les Titanides qui avez le plus a perdre dans cette affaire, gueula Cirocco. Je pense que je pourrais m’enterrer dans ce sable en quelques secondes mais vous, meme en vous aplatissant, vous avez encore le cul qui depasse d’un metre cinquante.

— Je prefererais quand meme detaler d’ici, retorqua Cornemuse. Je n’ai aucune envie de rester allongee pour me voir transformee en pelote d’epingles. »

Chris commencait a se dire qu’on ne parviendrait a aucune decision. Confrontee a deux choix deraisonnables, Cirocco avait soudain perdu l’assurance acquise durant le voyage. Il n’avait franchement pas l’impression que le commandement fut son point fort, sinon pour entretenir le moral des troupes. Gaby, quant a elle, avait besoin de temps pour s’habituer a jouer un role qui lui repugnait fondamentalement. Robin etait paralysee et les Titanides n’avaient jamais fait mine de vouloir disputer le pouvoir soit a Gaby, soit a Cirocco.

Quant a Chris, il n’avait jamais ete dans son enfance le capitaine des equipes de jeux ni celui qui decidait ou aller et que faire, avec ses copains. Et dans son age adulte trouble, personne ne lui avait jamais demande de diriger quoi que ce soit. Mais un pressant besoin de prendre les renes montait en lui. Il se prit a songer que si la situation n’etait pas debloquee tres rapidement, ce pourrait bien finalement etre son heure.

Et puis soudain, en un instant, tout fut bouleverse : il y eut une explosion assourdissante, comme si la foudre etait tombee a moins de dix metres, suivie du vrombissement caverneux d’un bombourdon qui s’eloignait.

Tout le monde s’etait aplati par reflexe. Lorsque Chris osa regarder en l’air, il en vit trois autres approcher en silence, rasant le sommet des dunes, dans le miroitement irreel provoque par l’air brulant. Il ecrasa la joue contre le sable mais garda l’?il sur eux tandis qu’ils s’epanouissaient, d’abord simples points coupes d’un trait puis gueules voraces et ailes immenses. La legere incidence de celles-ci les faisait ressembler, de face, a des chauves-souris figees.

Ils passerent au-dessus d’eux a cinquante metres d’altitude. Chris vit un objet tomber de l’un d’eux : c’etait un cylindre qui se vrilla dans l’air avant d’atterrir derriere une dune sur sa gauche. Quand apparut la gerbe de flammes, Chris en sentit la chaleur sur sa peau.

« Nous sommes bombardes ! » hurla Cirocco. Elle s’etait a demi dressee. Gaby essaya de la tirer vers le bas mais elle indiquait une troisieme escadrille de bombourdons en provenance du nord-est. Ils etaient bien trop hauts pour venir les eperonner et effectivement, alors qu’ils allaient passer au-dessus d’eux ils firent une legere ressource, revelant leur ventre d’ebene aux pattes d’atterrissage repliees. Une nouvelle volee d’?ufs meurtriers fut lachee. Cornemuse aida Gaby a coucher Cirocco a l’instant meme ou les bombes explosaient, recouvrant d’une gerbe de sable leurs corps etendus.

« Tu avais raison ! » cria Gaby par-dessus son epaule tout en sautant sur ses pieds. Chris n’en tira guere de reconfort. Il se redressa, se tourna en quete de Valiha et se retrouva souleve du sol avant d’avoir compris ce qu’il se passait.

« Vers le cable ! » lanca Valiha. Chris faillit laisser echapper son pistolet a eau lorsqu’elle se rua en avant. Un coup d’?il par-dessus l’epaule lui revela qu’une riviere de flammes devalait la dune derriere eux tandis que du brasier jaillissaient tous les hotes de l’enfer.

Il y en avait des centaines et la plupart etaient en flammes. Les esprits-de-sable n’etaient que des amas informes de tentacules, un enchevetrement qui ne ressemblait a rien de ce que Chris connaissait. Ils etaient de la taille de gros chiens. Ils progressaient de biais, comme des crabes, et presque aussi vite, par a-coups, sans elan. Ils etaient translucides, tout comme les flammes, si bien qu’en brulant ils se transformaient en tourbillons de lumiere sans aucune ombre. Les oreilles de Chris etaient torturees par un crissement presque supersonique et des claquements metalliques analogues a ceux d’une piece chauffee au rouge et qui refroidit.

« Un bombardement qui tombait a point ! » cria Gaby, brusquement apparue a sa droite, montee sur Hautbois. La Titanide tenait Robin nichee dans ses bras. « Difficile de croire que les bombourdons travaillent avec

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