commence.
— Donc, Cirocco aurait eu largement le temps de s’abriter sous le cable. Nous devrions d’abord chercher du cote des brins exterieurs. » Il n’ajouta pas qu’il etait persuade que ceux qui etaient restes dehors devaient etre morts.
Ils sentaient tous que le temps etait compte et pourtant ne pouvaient s’arracher a leur refuge si cherement acquis. Ils gagnerent du temps en examinant et en pansant leurs blessures. Robin etait la moins touchee et Chris n’avait besoin que de quelques bandages. Pour Valiha, le traitement fut plus long. Une fois sa jambe blessee ligaturee, elle hesitait toujours a s’appuyer dessus.
« Qu’en pensez-vous ? leur demanda Chris. Elles pourraient tres bien etre du cote oppose en train de scruter le desert pour nous localiser.
— On pourrait se separer, suggera Robin. Elles pourraient etre a la lisiere. En cherchant dans les deux directions…»
Chris se mordillait la levre. « Je ne sais pas. Dans tous les films que j’ai vus, chaque separation annoncait une grosse catastrophe.
— Tu fondes tes tactiques sur des films ?
— Qu’est-ce que j’ai d’autre ? Tu en sais plus que moi ?
— J’ai pas l’impression, conceda Robin. On a bien fait des exercices pour parer a diverses sortes d’invasions mais je ne vois pas tres bien ce qui pourrait etre applicable ici.
— Ne nous separons pas, dit fermement Valiha. Division est synonyme de vulnerabilite. »
Mais ils n’eurent pas le temps de prendre une decision. En regardant le desert, Robin vit apparaitre Gaby au sommet d’une dune. Elle bondissait sans difficulte avec ces longs sauts que permettait la faible gravite et qui ne paraissaient plus etranges a Chris. Il connaissait assez bien cette demarche pour voir qu’elle etait epuisee. Elle progressait legerement penchee, comme si elle souffrait d’un point de cote.
Elle s’approchait rapidement. Alors qu’elle etait encore a cinq cents metres d’eux, elle leur fit un signe de la main en criant a tue-tete mais ils n’entendaient pas ce qu’elle disait.
Et elle non plus ne pouvait pas les entendre lorsqu’ils se mirent tous les trois a crier frenetiquement pour essayer de l’avertir du danger, pour elle invisible, car il venait par l’arriere.
Valiha partit en courant la premiere. Chris ne tarda pas a la suivre mais la Titanide eut tot fait de le distancer. Elle etait encore a trois cents metres de Gaby lorsque le bombourdon leva le nez et largua sa cargaison mortelle. Chris la vit virevolter lentement dans les airs, tandis que ses pieds martelaient le sable, sans qu’il s’inquiete de savoir sur quoi il marchait. La bombe tomba juste devant Gaby et elle leva les mains au moment ou le mur de flammes lui coupait le passage.
Elle en ressortit au pas de course. Elle semblait voler presque.
Elle etait en feu.
Il vit ses mains battre les flammes, il l’entendit hurler. Elle ne savait plus ou elle allait. Valiha essaya de l’intercepter mais la manqua. Chris n’hesita pas. Il sentit l’odeur de chair et de cheveux brules au moment ou, d’une bourrade de l’epaule il l’envoya au sol, puis Valiha la maintint par terre tandis qu’elle se debattait en criant et que Chris, des deux mains, lui lancait du sable. Ils la firent rouler en la tenant allongee, ignorant la douleur de leurs mains qui brulaient elles aussi.
« On va la suffoquer ! » protesta Chris lorsque Valiha ecrasa Gaby sous le poids de son propre corps.
« Il faut etouffer le feu », dit la Titanide.
Lorsqu’elle cessa de se debattre, Valiha la souleva et saisit Chris en manquant lui demettre le bras. Il se lanca sur son dos et elle fonca vers le cable avec Gaby dans ses bras, inconsciente, morte peut-etre. Ils rattraperent Robin qui avait deja fait demi-tour presque aux abords du cable d’ou ils avaient assiste a la plus grande partie du drame. Chris prit sa main et la hissa derriere lui. Valiha ne ralentit pas avant qu’ils n’aient regagne le sol rocheux.
Elle s’appretait a deposer Gaby lorsqu’en se retournant elle vit approcher un nouveau bombourdon. C’etait incroyable mais il foncait vers le cable a pleine vitesse, selon une trajectoire qui enverrait la bombe a l’endroit precis ou se tenait Valiha. Lorsqu’il opera sa ressource pour la larguer, dans le hurlement de son reacteur a pleine poussee, afin de grimper assez vite pour survivre, Valiha s’etait deja engouffree dans le dedale obscur des brins de cable monolithiques.
Il y eut plusieurs explosions derriere eux. Il etait impossible de savoir si l’une d’elles traduisait la mort du bombourdon. Valiha ne ralentit pas. Elle s’enfonca plus avant dans la foret de brins et ne fit une halte que lorsque l’obscurite fut devenue totale.
« Ils continuent d’arriver », dit Chris. Il ne s’etait jamais senti aussi desespere. Derriere eux, se decoupaient a contre-jour sur une mince bande de ciel visible entre deux cables les ombres de croissants convexes typiques des bombourdons vus de face. Il en compta cinq mais savait qu’il y en avait plus. L’un d’eux s’inclina a droite, puis a gauche pour se faufiler entre les brins a une allure suicide. Ils entendirent une explosion loin derriere, puis une plus rapprochee et la creature les survola dans un rugissement. Dans l’obscurite la flamme bleue de sa tuyere etait a nouveau visible.
Il y eut une monstrueuse explosion droit devant et l’interieur du cable fut soudain baigne d’une lumiere orange. Les ombres des brins danserent au rythme des flammes invisibles et l’espace d’un eclair Chris vit le corps brise de la creature tomber en vrille. Valiha prit le galop.
Un second bombourdon arriva derriere eux et ils entendirent un troisieme s’ecraser contre un brin du cable sur leur gauche. Le napalm enflamme s’ecoula le long du cable pour former une mare a cent metres d’eux, telle la cire degouttant d’une chandelle. De nouvelles bombes explosaient devant.
Les ondes de choc commencerent a deloger de grosses pierres et autres debris massifs des interstices decroissants separant les brins loin au-dessus d’eux. Un roc aussi gros que Valiha vint s’ecraser dans une pluie d’etincelles a vingt metres devant eux. Valiha le contourna alors qu’ils entendaient un nouvel impact de bombe suivi rapidement par deux autres et ponctues par le rugissement plus lointain des projectiles largues.
Valiha ne s’arreta qu’en arrivant en vue de l’edifice en pierre marquant l’acces au cerveau regional de Tethys. Elle s’immobilisa, hesitant a y penetrer. Seuls les bombourdons avaient pu la pousser a venir aussi loin, en un lieu que son espece evitait traditionnellement.
« Il faut qu’on entre, la pressa Chris. Tout le coin est en train de s’effondrer. L’un de ces machins va finir par nous avoir si un rocher ne nous ecrabouille pas avant.
— Oui, mais…
— Valiha, fais ce que je te dis. C’est Forte-Cote-en-Majeur qui te parle. Crois-tu que je te ferais faire quelque chose qui ne soit pas le bon choix ? »
Valiha hesita encore une seconde puis elle franchit le seuil voute et trotta sur le sol empierre jusqu’a l’entree de l’escalier haut de cinq kilometres.
Elle commenca la descente.
32. L’Armee des ombres
Les flammes s’etaient depuis longtemps eteintes lorsque Cirocco, a pied et suivie de Cornemuse, deboucha de la courbe du grand cable. La Titanide claudiquait sur trois pattes, son posterieur droit maintenu par une attelle. Elle avait une fracture du boulet.
Cirocco portait elle aussi les stigmates de la bataille : Elle avait un bandage autour du crane, qui lui recouvrait un ?il. Son visage etait macule de sang seche. Elle avait le bras droit en echarpe et deux doigts de la main droite gonfles et tordus.
Ils progressaient sur l’assise rocheuse entourant la base du cable, ne voulant pas se hasarder sur le sable. Bien que les derniers esprits-de-sable qu’ils eurent rencontres fussent depourvus de ce pouvoir d’ignorer l’eau qui avait permis a certains d’entre eux de se colleter aux humains et aux Titanides, Cirocco ne prenait aucun risque. Le dernier qu’elle avait tue avait abandonne une mue souple et transparente au moment de mourir. Elle avait la consistance du vinyle.
Elle apercut quelque chose dans le desert, s’immobilisa et tendit le bras. Cornemuse lui passa une paire de jumelles qu’elle mit maladroitement devant son ?il valide. C’etait Hautbois. Elle n’en etait certaine qu’a cause des