touchant presque le sable.

Elle ne pouvait pas les mouvoir. Le sable lui semblait se contorsionner sous ses yeux. Elle ne pouvait se forcer a toucher cette chaleur repugnante, elle ne pouvait se resoudre a y coller son ventre en attendant l’arrivee des esprits.

Un grand poids s’abattit sur elle et elle poussa un hurlement. Elle hurla lorsqu’elle sentit le sable presser contre son corps puis se mit a vomir.

« C’est parfait », dit Hautbois en se relevant juste assez pour lui permettre de tourner la tete. « J’aurais voulu avoir cette idee. Toute cette humidite va les tenir a distance. »

Humidite, humidite… Robin ne percut consciemment que ce seul mot et sans tarder bloqua son esprit sur cette unique pensee. Le sable etait humide. L’humide tiendrait les monstres a distance. Sueur, larmes, crachat, vomi… voici que toutes ces choses devenaient recommandables. Elle etreignit le sable : comme il etait merveilleusement humide !

« Que se passe-t-il ? Est-elle en train d’avoir une attaque ? cria Cirocco.

— J’en ai peur, dit Hautbois. Je vais m’occuper d’elle.

— Garde-la juste plaquee au sol. Il se peut qu’il ne nous ait toujours pas reperes. »

Robin entendit le bruit d’un bombourdon tres haut, tres loin. Elle tourna la tete, juste assez pour le voir apparaitre derriere le sommet de la dune. Encore en hauteur, il fit un virage sec, revelant des ailes effilees de planeur, puis amorca sa descente dans leur direction.

« Le voila ! cria Cirocco. Tout le monde a ras de terre. Il n’a pas le bon angle pour nous faire du mal. »

Ils contemplerent le bombourdon avec un doute croissant jusqu’a ce qu’il devienne clair que la creature n’allait pas faire de passage en rase-mottes. Elle les survola a cinq ou six cents metres, volant encore plus lentement que ne se le rappelait Robin.

« Cette chose m’a l’air singuliere », emit Gaby en osant se lever un poil.

« T’occupe ! » coupa Cirocco en se redressant pour scruter le ciel. « Il s’apprete a repasser. Gaby, continue de l’observer et les autres, commencez a creuser. Je voudrais une large fosse de deux metres de profondeur mais je me contenterai d’un metre. Ca risque d’etre dur dans le sable. Humidifiez-le avant de creuser. Oh, et si l’un de vous est pris d’un besoin pressant de pisser, qu’il le fasse tout de suite, pas de fausse pudeur ! Dans votre vessie, ca ne sert a rien. » Cirocco s’interrompit en voyant la tete que faisait Robin et en constatant que l’etat dans lequel etait la culotte de la jeune femme n’avait rien d’intentionnel.

Robin s’etait deshonoree. Elle remercia la Grande Mere qu’aucune de ses s?urs n’ait ete la pour le voir mais c’etait une bien maigre consolation. Ces six-la etaient maintenant devenus ses s?urs pour la duree du voyage et sans doute au-dela.

Mais, si mal que vont les choses, elles peuvent toujours empirer. Robin put verifier ce principe lorsqu’elle essaya de bouger et s’apercut que c’etait impossible. L’assertion de Hautbois – faite sans doute dans l’intention de preserver son amour-propre – s’etait revelee exacte : elle etait paralysee.

L’espace d’un instant elle crut vraiment qu’elle allait devenir folle. Elle etait avachie par terre, sur le ventre, affalee sur le sable repugnant de Tethys, une surface qui la terrorisait au point qu’elle avait peut-etre trahi tout le groupe par son incapacite a la toucher. Mais en guise de folie, ce fut un detachement plein de fatalisme qui l’envahit. Insouciante et sereine, elle percevait les bruits d’une activite frenetique sans y comprendre grand-chose. Quelle importance, si un esprit emergeait en dessous d’elle et commencait a la dechiqueter. Elle avait un gout de vomi dans sa bouche emplie de grains de sable. Elle sentit un filet de sueur glisser le long de son nez. Elle pouvait distinguer quelques metres de sable et son propre bras etendu en travers. Elle ecouta.

Cirocco : « Comme ils ne peuvent pas s’approcher, ils sont bien obliges d’employer une forme d’arme a moyenne portee. Au debut, ils balancaient des cailloux mais depuis une dizaine d’annees, ils utilisent une espece d’arc ou d’arbalete. »

Chris : « Ce n’est pas rejouissant. On aura du mal a s’abriter dans ce sable. »

Cirocco : « Il y a du bon et du mauvais : ils etaient salement efficaces avec leurs cailloux. Ces etres sont batis… bon, tu n’en as pas encore vu et ce n’est pas facile de les decrire, mais ils etaient tres bons au jet de pierres. Seulement, dans le fond ce sont des trouillards et pour les lancer ils etaient obliges de s’approcher beaucoup. Avec des fleches, ils peuvent se tenir bien plus en retrait. »

Hautbois : « Maintenant, dites-nous vraiment le mauvais, Rocky. »

Cirocco : « C’etait cela. Le bon, c’est qu’ils sont nuls en tir a l’arc. Ils sont incapables de viser. Alors ils se contentent de tirer au petit bonheur. »

Gaby : « Et ils se rattrapent en balancant des quantites de fleches. »

Hautbois : « Je savais bien qu’il y aurait un truc. » On entendit dans le lointain le vrombissement saccade typique d’un bombourdon.

Gaby : « Je persiste a dire que cette creature a quelque chose de bizarre. Je distingue mal mais on dirait une protuberance sur son dos. » Cornemuse : « Je la vois, egalement. » Cirocco : « Vous avez une meilleure vue que moi. » Pendant quelques instants, on n’entendit plus que des bruits de respiration et parfois le crissement d’une reptation sur le sable. A un moment, Robin sentit quelqu’un lui effleurer la jambe. Puis Cornemuse lanca un cri d’avertissement. Quelque chose tomba sur le sable dans l’angle de vision de Robin. Elle etait juste en train d’examiner l’ongle de son pouce ; elle accommoda pour observer l’intrus. C’etait une fine aiguille de verre, longue de cinquante centimetres.

L’une de ses extremites etait encochee, l’autre s’etait fichee dans le sable.

« Quelqu’un de touche ? » C’etait la voix de Cirocco. Il y eut quelques reponses negatives. « Ils ont simplement tire en l’air. Ils doivent etre derriere cette dune. Dans un moment ils trouveront le courage de jeter un ?il par-dessus et leurs tirs se feront plus precis. Preparez vos frondes. » Peu apres, Robin percut la detente des armes titanides. Chris : « Je crois que tu as mis au but, Valiha. Oups ! Celles-ci ne sont pas passees loin ! »

Cirocco : « Bon Dieu ! Regardez Robin ! On ne peut pas faire quelque chose ? Ce doit etre epouvantable. » Robin avait entendu la derniere volee de fleches toucher le sable, sentit quelques grains de sable lui fouetter la jambe. C’etait sans aucune importance. Elle entendit de nouveaux frottements et une main saisit la fleche qu’elle avait contemplee, l’arracha et la jeta au loin. Le visage de Gaby apparut, a quelques centimetres du sien.

« Comment ca se passe, gamine ? » Elle prit le bras de Robin, l’etreignit puis lui tapota la joue. « Est-ce que ca serait plus facile si tu pouvais y voir mieux ? Je ne vois pas de moyen de te proteger sinon, j’en aurais fait profiter tout le monde.

— Non, repondit Robin, de tres loin.

— Je voudrais… et merde. » Gaby ecrasa le poing sur le sol. « Je me sens impuissante. J’imagine comment tu dois te sentir. » Devant l’absence de reponse de Robin, elle se pencha plus pres.

« Ecoute, ca t’embete si je t’emprunte ton arme quelques instants ?

— Je m’en fous.

— Est-ce qu’il te reste quelques-unes de ces balles-fusees ? Avec les tetes explosives.

— Trois chargeurs.

— J’en aurai egalement besoin. Je vais essayer de descendre un bombourdon si jamais il passe assez bas. Toi, tu tiens bon en essayant de ne penser a rien. On va tenter sous peu une percee vers le cable.

— Je vais tres bien », dit Robin, mais Gaby etait partie.

« Et c’est moi qui vous porterai », dit la voix de Hautbois, derriere elle. Elle sentit la main de la Titanide venir effleurer sa joue, qui etait humide. « Ne mesurez pas vos larmes, petite fille. Non seulement cela soulage l’ame, mais encore la moindre goutte nous protege tous. »

31. Eclair de Chaleur

« A ton avis, quelle est l’intelligence de ces bestioles ? » demanda Chris en regardant le bombourdon solitaire virer sur la gauche pour effectuer un nouveau passage en altitude.

Gaby le regarda elle aussi et fit la grimace.

« Cela ne paie jamais de sous-estimer l’intelligence des creatures rencontrees a Gaia. Une bonne regle empirique est d’estimer qu’elles sont au moins aussi intelligentes que nous et deux fois plus tordues.

— Alors, qu’est-ce qu’il fiche la-haut ? »

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