avec nervosite. Les monts Euphoniques etaient plus escarpes que les dunes qu’ils venaient de traverser mais pas suffisamment a son gout. Il se serait senti plus a l’aise s’ils s’etaient trouves dans un canyon etroit au point de les contraindre a progresser en file indienne. Les collines devant etaient toutefois plus elevees, formant parfois meme des sortes de mesas. Bien entendu, plus le terrain etait escarpe et plus leur avance etait lente et donc plus se prolongeait leur sejour dans la region des esprits-de-sable.

D’un autre cote, il craignait encore plus les bombourdons. Peut-etre que lorsqu’il verrait les esprits il changerait d’avis.

« Ils vivent sous le sable, expliquait Cirocco. Ils peuvent courir, ou nager, je ne sais, sous le sable et ils le font a la meme vitesse que moi je cours sur le sol.

« Leur existence est passablement difficile puisque pour eux l’eau est un poison. Je veux dire que lorsque l’eau entre en contact avec leur corps, elle les tue et il n’en faut pas des masses. Ils mourraient par un jour d’ete si l’hygrometrie depassait de beaucoup quarante pour cent. Les sables de Tethys sont secs comme l’os en bien des endroits a cause de la chaleur du sous-sol qui chasse toute trace d’humidite. La seule exception est dans la zone ou l’Ophion court sous le sable. Bien qu’il s’ecoule dans un lit rocheux tres encaisse, il pollue toutefois encore le sable sur dix kilometres dans toutes les directions au regard des esprits. Tant et si bien que Tethys est partagee en deux tribus d’esprits totalement separees. S’ils avaient l’occasion de se rencontrer, il est probable qu’ils se battraient a mort, puisqu’ils se battent tout le temps meme dans les zones plus petites delimitees par les eaux de ruissellement aux periodes d’inondation eclair.

— Il pleut donc bien ici ? demanda Robin.

— Pas des masses. Disons une fois l’an, et ce n’est qu’une ondee. Elle aurait depuis longtemps fait disparaitre les esprits s’ils n’avaient la possibilite de faire croitre une coquille a l’interieur de laquelle ils hibernent quelques jours des qu’ils la sentent venir. C’est ainsi que j’ai pu parler a l’un d’eux ; je suis venue ici durant un orage, j’en ai deterre un et l’ai enferme dans une cage.

— Toujours les bons offices, remarqua Gaby, affectueusement taquine.

— Ben, ca valait le coup d’essayer. Le probleme, avec cet itineraire, c’est qu’a l’heure actuelle les montagnes sont particulierement seches. Et justement, la route circulaire suit de pres le sillage de l’Ophion sous le desert.

— Ce n’est pas par accident, tu peux me croire, intervint Gaby. J’ai pense que c’etait aussi logique que de rester en remblai pour traverser un marecage.

— Oui, c’est vrai. Le fait est que nous pourrions tomber sur quelques esprits la-haut. J’espere que la couverture nuageuse les empechera de sortir mais j’ignore combien de temps elle se maintiendra. La bonne nouvelle est qu’ils forment rarement des groupes de plus d’une douzaine et je pense que nous avons assez de bras pour contrer une attaque.

— J’aurais du troquer mon arme contre un pistolet a eau, remarqua Robin.

— Etait-ce une plaisanterie ? » demanda Hautbois en puisant dans sa sacoche gauche. Elle en sortit deux objets : une grande fronde et un tube court equipe d’une poignee avec une detente et termine par un orifice grand comme un trou d’epingle. Robin le prit, pressa la detente et fit jaillir un mince jet d’eau qui decrivit une arabesque de dix metres avant de toucher le sable. Elle parut ravie.

« Fais comme si c’etait un lance-flammes, lui conseilla Cirocco. La precision est inutile. Tu tires dans la direction approximative de la cible en arrosant largement. Meme un coup manque les blessera et si l’on tire suffisamment la vapeur d’eau saturera l’air et les chassera dans leur trou. Et maintenant cesse de tirer », ajouta- t-elle en hate alors que Robin essayait a nouveau. « La mauvaise nouvelle, c’est qu’il n’y a plus de sources a Tethys et que toute l’eau que nous utiliserons pour nous battre sera de l’eau que nous n’aurons plus a boire ensuite.

— Pardon. A quoi sert la fronde ? » Elle la contemplait avec envie et Chris voyait bien qu’elle brulait d’envie de l’essayer egalement.

« Arme a longue portee. Pour balancer des poches a eau. Tu les mets dans la coupelle, tu tires en arriere et hop ! » Cirocco tenait un objet de la taille d’un ?uf de Titanide. Elle le lanca a Chris. Lorsqu’il le pressa doucement, un filet d’eau s’ecoula dans sa main.

Valiha fouillait elle aussi dans ses fontes. Elle en sortit une fronde et une canne courte qu’elle mit dans sa poche puis un autre pistolet a eau qu’elle tendit a Chris. Il l’examina avec curiosite, le soupesa, regrettant de ne pouvoir s’exercer avec.

« La fronde exige le coup de main, et je l’ai, expliqua Valiha. Fais ce que te dit la Sorciere, n’essaie pas de viser tes cibles. Contente-toi de tirer. »

En levant les yeux, il vit que Cirocco rigolait.

« On se sent comme un heros ? demanda-t-elle.

— Plutot comme un petit garcon qui jouerait a l’etre.

— Tu changeras d’avis si jamais tu vois un esprit. »

30. Coup de Tonnerre

« Je n’ai jamais dit que ca marchait a tous les coups. » Cirocco mit les mains sur les hanches et scruta le ciel une nouvelle fois, sans plus de succes qu’auparavant. Gaby la regarda en eprouvant pour la premiere fois depuis des annees ce desir irrationnel de voir la Sorciere accomplir quelque miracle. Elle avait beau savoir que les pouvoirs de la Sorciere ne fonctionnaient pas de cette facon. Elle aurait voulu qu’elle fasse pleuvoir.

« Elle avait promis de fournir une couverture nuageuse, remarqua Gaby.

— Elle a dit qu’elle essaierait, la corrigea Cirocco. Tu sais bien que Gaia ne peut controler le temps dans ses moindres details. C’est trop complexe.

— Alors, elle continue de l’affirmer. » Devant le regard que faisait Cirocco, Gaby garda pour elle le reste de sa remarque.

« Nous n’avons pas vu d’esprit pour le moment, dit Robin. Peut-etre que les nuages ont suffi a leur flanquer la trouille avant de se dissiper.

— Ils sont probablement loin sous le sable », rencherit Hautbois.

Gaby ne dit rien. Elle saisit plutot dans la sacoche de Cornemuse un fruit a vessie de la taille d’une balle de baseball.

Le groupe avait franchi les derniers vallonnements marquant les contreforts orientaux de la Ligne Bleu Roi. Non loin a l’est se dressait le cable central de Tethys avec, a peine visible derriere lui, le trait fin de la route peripherique de Gaia. Un ultime avant-poste de roche nue formait droit devant eux une large cuvette emplie de sable dont la bordure etait submergee en plus d’un endroit.

Debout sur le dos de Cornemuse et prenant appui d’une main sur l’epaule de Cirocco, Gaby projeta la vessie suivant un arc eleve qui l’amena au centre de la cuvette.

Les resultats furent spectaculaires : Neuf lignes divergerent a toute vitesse du point d’impact. Il y avait une excroissance a l’avant de chaque trait et derriere une depression peu profonde que le sable comblait a nouveau rapidement. Les excroissances se mouvaient avec la rapidite d’une taupe de dessin anime sous une pelouse de banlieue. En quelques secondes, il n’en restait plus trace.

Cirocco s’etait dressee sur les genoux lorsque le projectile avait touche le sable. Elle se laissa retomber en position assise.

« Qu’est-ce que tu veux faire ? demanda-t-elle. Mettre cap a l’ouest vers Thea ?

— Non. Je suis sure que tu te rappelles qui voulait faire ca et qui voulait rester a la maison.

— Et boire un coup », ajouta Cirocco.

Gaby l’ignora. « J’aurais l’air idiot a te conseiller d’eviter Tethys apres avoir passe tout ce temps a te persuader simplement de venir. Voyons ce qu’on peut faire. »

Cirocco soupira. « Comme tu voudras. Mais faites gaffe, tous. Je veux que les humains surveillent le ciel. Les Titanides, gardez l’?il sur le sol. On peut en general voir une gerbe de sable avant que les esprits ne jaillissent a la surface. »

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