Iseut flatta Husdent de la main et dit :

«Sire, epargnez-le ! J'ai oui parler d'un forestier gallois qui avait habitue son chien a suivre, sans aboyer, la trace de sang des cerfs blesses. Ami Tristan, quelle joie si on reussissait, en y mettant sa peine, a dresser ainsi Husdent ! »

Il y songea un instant, tandis que le chien lechait les mains d'Iseut. Tristan eut pitie et dit :

« Je veux essayer ; il m'est trop dur de le tuer. »

Bientot Tristan se met en chasse, deloge un daim, le blesse d'une fleche. Le brachet veut s'elancer sur la voie du daim, et crie si haut que le bois en resonne. Tristan le fait taire en le frappant ; Husdent leve la tete vers son maitre, s'etonne, n'ose plus crier, abandonne la trace ; Tristan le met sous lui, puis bat sa botte de sa baguette de chataignier, comme font les veneurs pour exciter les chiens ; a ce signal, Husdent veut crier encore, et Tristan le corrige. En l'enseignant ainsi, au bout d'un mois a peine, il l'eut dresse a chasser a la muette : quand sa fleche avait blesse un chevreuil ou un daim, Husdent, sans jamais donner de la voix, suivait la trace sur la neige, la glace ou l'herbe ; s'il atteignait la bete sous bois, il savait marquer la place en y portant des branchages ; s'il la prenait sur la lande, il amassait des herbes sur le corps abattu et revenait, sans un aboi, chercher son maitre.

L'ete s'en va, l'hiver est venu. Les amants vecurent tapis dans le creux d'un rocher : et sur le sol durci par la froidure, les glacons herissaient leur lit de feuilles mortes. Par la puissance de leur amour, ni l'un ni l'autre ne sentit sa misere.

Mais quand revint le temps clair, ils dresserent sous les grands arbres leur hutte de branches reverdies. Tristan savait d'enfance l'art de contrefaire le chant des oiseaux des bois ; a son gre, il imitait le loriot, la mesange, le rossignol et toute la gent ailee ; et, parfois, sur les branches de la hutte, venus a son appel, des oiseaux nombreux, le cou gonfle, chantaient leurs lais dans la lumiere.

Les amants ne fuyaient plus par la foret, sans cesse errants ; car nul des barons ne se risquait a les poursuivre, connaissant que Tristan les eut pendus aux branches des arbres. Un jour, pourtant, l'un des quatre traitres, Guenelon, que Dieu maudisse ! entraine par l'ardeur de la chasse, osa s'aventurer aux alentours du Morois. Ce matin-la, sur la lisiere de la foret, au creux d'une ravine, Gorvenal, ayant enleve la selle de son destrier, lui laissait paitre l'herbe nouvelle ; la-bas, dans la loge de feuillage, sur la jonchee fleurie, Tristan tenait la reine etroitement embrassee, et tous deux dormaient.

Tout a coup, Gorvenal entendit le bruit d'une meute : a grande allure les chiens lancaient un cerf, qui se jeta au ravin. Au loin, sur la lande, apparut un veneur ; Gorvenal le reconnut : c'etait Guenelon, l'homme que son seigneur haissait entre tous. Seul, sans ecuyer, les eperons aux flancs saignants de son destrier et lui cinglant l'encolure, il accourait. Embusque derriere un arbre, Gorvenal le guette : il vient vite, il sera plus lent a s'en retourner.

Il passe. Gorvenal bondit de l'embuscade, saisit le frein, et, revoyant a cet instant tout le mal que l'homme avait fait, l'abat, le demembre tout, et s'en va, emportant la tete tranchee.

La-bas, dans la loge de feuillee, sur la jonchee fleurie, Tristan et la reine dormaient etroitement embrasses. Gorvenal y vint sans bruit, la tete du mort a la main.

Lorsque les veneurs trouverent sous l'arbre le tronc sans tete, eperdus, comme si deja Tristan les poursuivait, ils s'enfuirent, craignant la mort. Depuis, l'on ne vint plus guere chasser dans ce bois.

Pour rejouir au reveil le c?ur de son seigneur, Gorvenal attacha, par les cheveux, la tete a la fourche de la hutte : la ramee epaisse l'enguirlandait.

Tristan s'eveilla et vit, a demi cachee derriere les feuilles, la tete qui le regardait. Il reconnait Guenelon ; il se dresse sur ses pieds, effraye. Mais son maitre lui crie :

« Rassure-toi, il est mort. Je l'ai tue de cette epee. Fils, c'etait ton ennemi ! »

Et Tristan se rejouit ; celui qu'il haissait, Guenelon, est occis.

Desormais, nul n'osa plus penetrer dans la foret sauvage : l'effroi en garde l'entree et les amants y sont maitres. C'est alors que Tristan faconna l'arc Qui-ne-faut, lequel atteignait toujours le but, homme ou bete, a l'endroit

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